Aujourd’hui dès l’aube a commencé le jeûne de Pourim. Chaque année, le 14 Adar, en accomplissant les mitzvots liées à cette fête, nous réaffirmons l’attachement à nos valeurs.
Ces valeurs qui ont permis la survie du peuple juif au temps de Mordechaï et Esther.
Ma mère se préparait longuement à l’avance pour cette journée. A Pourim, il était recommandé d’échanger des cadeaux sous forme de douceurs. Elle réalisait des montagnes de gâteaux aux amandes et aux noix qu’elle distribuait aux voisins et à la famille.
Notre salle à manger était impraticable tant elle était encombrée de plateaux de toutes dimensions et de toutes tailles. Des ovales, des ronds, des carrés remplis de gâteaux, soigneusement disposés en lignes régulières et couverts d’un napperon en lin brodé.
Nous étions assignés dès le matin à cette tâche que nous remplissions avec joie, nous portions les plateaux qu’elle avait soigneusement préparés pour leurs destinataires.
Nous recevions en échange ceux qui nous étaient destinés, je dois avouer que ceux de ma mère étaient les plus beaux et les plus savoureux. Ma mère avait le sens de l’esthétisme, ses friandises étaient légères, peu colorées et croustillantes, contrairement à celles que nous recevions couvertes d’une couche épaisse de fondant blanc. A Pourim, et par cet échange de gâteaux nous savions qui était fine pâtissière et qui ne l’était pas. C’est la fête la plus joyeuse du calendrier hébraïque. Les enfants se déguisent et reçoivent des étrennes sous forme d’argent sonnant et trébuchant.
A la synagogue, contrairement aux autres jours où nous devions nous tenir sages comme des images. Ce jour là, pour écouter la Méguila d’Esther, il nous était permis de taper des pieds et de faire tourner nos crécelles dans une cacophonie assourdissante.
Pour tous les enfants, c’était un jour béni. Nous allions recevoir de l’argent, des billets et non des jouets que les adultes de la famille nous distribuaient. Les grands parents, oncles, tantes et même cousins éloignés venaient dès le matin nous donner les étrennes que nous attendions avec l’impatience de nos jeunes années.
Dans la rue principale de la ville, les commerçants arabes étalaient sur le bitume différents jouets bruyants et multicolores que nous échangions contre nos billets fraîchement acquis. Nul ne savait par quel miracle les étals contenant habituellement les fruits et légumes se transformaient ce jour là en objet hétéroclites qui faisaient les délices de notre journée. Les lois du commerce sont comme les voies du Seigneur….
Des sirènes hurlantes, des formes vrombissantes et des crécelles stridentes faisaient leur apparition , nous achetions ce qui faisait le plus de bruit possible, et munis de nos jouets sonores, on rejoignait nos parents à la synagogue pour écouter la méguila d’Esther.
Dès que le nom d’Hamman était prononcé, on tapait des pieds en faisant voler et tournoyer nos crécelles en criant : harrour hammane ! Maudit soit hammane.
A l’inverse, nos visages s’éclairaient à l’évocation de Mordechaï. Point de tapage ni de bruit de sirène, juste une phrase : Barouckh Mordechaï ! Béni soit Mordechaï.
Elle, comme d’habitude mais plus encore ce jour là s’était levée aux aurores, elle préparait les petits plombs à la vapeur qu’elle nous servait avec du lait et du beurre frais. Ces bols fumants nous étaient servis à notre retour de la synagogue. Les graines se détachaient une à une imitant le couscous.
Pour ceux qui aimaient, elle les parfumait à la fleur d’oranger et à la cannelle, pour les autres elle y mettait de la coriandre et du beurre salé. Ma mère ajoutait toujours une touche d’originalité aux recettes transmises depuis des années. Elle voulait le meilleur pour nous, son plaisir était de nous régaler et elle y parvenait sans difficultés tant elle était douée pour la générosité et le don de soi. Elle était aidée par deux femmes que nous appelions les « petites bonnes » mais je la voyais s’agiter telles les déesses indiennes aux multiples bras.
Tôt dans l’aprèsmidi c’était le « michté de pourim » le festin de Pourim.
Il fallait se régaler, manger le mets les plus fins et les plus raffinés. C’était le seul jour où il était permis de s’enivrer au point de confondre Mordechaï le salvateur de Hammane l’intrigant et le malfaiteur.
Dès le matin elle avait préparé une quantité de brioches aux différentes formes, des poissons, des ciseaux, des couronnes.
Toutes ces formes de brioches contenaient dans leur centre un œuf dur maintenu par des croisillons de pâte dorée.
Avant de les consommer, nous rompions l’œuf avec une fourchette comme nous l’aurions fait en infligeant ce supplice à Hammane.
Sur la table toutes sortes de mets longuement préparés pour faire de cette journée un festin destiné à nous régaler.
Les hommes se hâtaient d’avaler le repas pour aller jouer aux cartes et boire jusqu’à plus soif, ils avaient l’excuse d’un tel commandement pour cette journée.
A vrai dire mon père étant très sobre, je ne l’ai jamais vu s’adonner à cette prescription. Ni boire ni jouer aux cartes. Je sais qu’autour de nous, des salons étaient transformés en tripots pour cette journée.
Je sais aussi que les gens de Meknès sont connus pour être dans la mesure et la retenue et que cette journée n’a jamais donnée lieu à des débordements liés aux jeux et à l’enivrement.
Imma Simha ma grand mère maternelle a rejoint le ciel le jour du jeûne de Pourim. Demain en m’adonnant à cette prescription je serais en pleine communion avec elle.
Je me souviens du bruit des F16 déchirant le ciel de Jérusalem le jour des obsèques de ma mère. C’était le début de la première guerre du Golfe.
Je me souviens de la liesse des israéliens à l’issue de cette même guerre. C’était Pourim et la fin de la chivaa de ma mère.
Pourim restera pour moi lié aux peines et aux joies.
© Annie Khachauda Toledano
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