Anthony Daniels. Éric Zemmour, the Insiders’ Outsider

Tout politicien doit, je suppose, avoir une vision de l’histoire. Le radical a tendance à voir le passé comme une histoire de malheur dans laquelle l’amélioration, si elle s’est produite du tout, est due à des gens comme lui, tandis que le conservateur a tendance à le voir comme une histoire de triomphe gâchée seulement par les semblables de son adversaire actuel. Comme dans l’un de ces dessins chers aux psychologues de la perception, que le spectateur peut voir soit comme un vase, soit comme deux chandeliers mais pas comme les deux, il en va de même pour la version politique de l’histoire : gloire ou damnation, mais pas les deux.

L’un des candidats les plus en vue (et les plus controversés) de la prochaine élection présidentielle française, Éric Zemmour ( ci- dessus), est définitivement a history-as-triumph man

Cela pourrait s’expliquer en partie par son passé. Fils d’immigrés juifs berbères en France peu avant l’indépendance de l’Algérie, il a saisi avec reconnaissance les opportunités que lui offrait le pays d’adoption de ses parents. Il s’est taillé par application, intelligence et talent une brillante carrière de polémiste patriote et de diffuseur dont les livres se vendent maintenant par centaines de milliers. (Il se peut, bien sûr, que la relation causale ait été, et aille, partiellement dans la direction opposée : parce qu’il croyait au modèle républicain français de méritocratie, il a été autorisé ou encouragé à saisir toutes les opportunités qui se présentaient.)

Il se pose désormais comme tout candidat soi-disant populiste se pose, à savoir un étranger à la classe politique, dont il attaque constamment le membre comme des traîtres au passé glorieux et aux traditions du pays. 

La réalité est que, s’il est un étranger à la classe politique, c’est un étranger d’un genre très ambigu. Le fait est que Zemmour connaît depuis de nombreuses années pratiquement toutes les personnalités marquantes de la scène politique et culturelle française. Dans son dernier livre, La France n’a pas dit son dernier mot , il raconte comment, après que quelqu’un l’ait agressé dans la rue et posté la scène sur Facebook, le Président de la République, Emmanuel Macron, lui a téléphoné – ils avaient le numéro privé l’un de l’autre – puis comment ils ont discuté de la question de l’immigration. Autant dire que la plupart des Français ordinaires, les vrais étrangers, n’ont pas le numéro privé du président de la République, ni leur numéro inscrit sur son téléphone. En d’autres termes, la pose de Zemmour en tant qu’étranger est fausse, même si les opinions qu’il exprime sont très inhabituelles, voire extrêmes, pour d’éminents journalistes et personnalités de la radiodiffusion comme lui.

Sa passion est d’arrêter ce qu’il considère comme l’inexorable déclin, économique, social et culturel, de la France, qu’il attribue à deux facteurs principaux : les politiques sociales libérales menées depuis la révolte étudiante de 1968 (dont les dirigeants deviendront bientôt la nouvelle élite dirigeante et culturelle), et l’immigration massive en provenance d’Afrique du Nord – Algérie, Maroc et Tunisie – qui a fracturé ou sapé l’unité culturelle, civilisationnelle et politique fondamentale du pays qui, malgré les nombreux conflits violents de son histoire, existait toujours alors.

L’hostilité et la peur de Zemmour envers l’immigration musulmane sont largement partagées, bruyamment par certaines des classes inférieures, et sotto voce par les classes supérieurs, qui vont parfois même jusqu’au déni. 

Le long déni officiel selon lequel il y avait un problème de croissance de l’islamisme dans ce qui équivalait à des ghettos informels a donné à Zemmour l’occasion de se présenter comme un brave diseur de vérité en opposition à la trahison lâche de la classe politique: il n’y a, semble-t-il, rien de tel que le politiquement correct pour donner leur chance aux démagogues. 

Voici encore une de ces images ambigües des psychologues de la perception : soit tous les immigrés musulmans sont de simples citoyens français qui ne se distinguent des autres que par leur foi musulmane, soit tous les immigrés musulmans sont eux-mêmes djihadistes ou partisans du djihad. Il semble très difficile pour les gens de garder à l’esprit en même temps qu’il existe des citoyens d’origine immigrée musulmane très bien intégrés et qu’il y a des fanatiques d’origine immigrée musulmane qui cherchent à étendre leur pouvoir sur leurs pairs et éventuellement sur l’État lui-même.

Zemmour dégage, me semble-t-il, une haine réelle et non purement théorique des immigrés et de leurs descendants. Parce que j’ai passé ma vie à parler à des milliers d’individus, je ne peux m’empêcher de me demander ce que c’est que d’être l’objet d’une telle haine obsessionnelle d’office , presque, quand on fait de son mieux pour s’intégrer et qu’on ne souhaite rien de plus que la chance d’une vie meilleure pour ses enfants.

Je pense par exemple à un de mes héros tranquilles, mon barbier à Paris. Il a quitté le Maroc il y a vingt-cinq ans. Il dirige une entreprise individuelle dans ce qui n’est guère plus qu’un réduit. Il veut avant tout une vie tranquille et que son enfant soit bien éduqué. Il a un air presque savant et tout ce qu’il dit est réfléchi et intelligent. C’est un fin observateur de sa patrie d’adoption.

« Depuis que je suis arrivé dans ce pays il y a vingt-cinq ans, dit-il, j’ai entendu les mêmes arguments, de la part des mêmes personnes, sur les mêmes sujets. La France est comme un homme qui se plaint d’avoir mal aux dents depuis vingt-cinq ans et qui n’a pas trouvé le temps d’aller chez le dentiste ».

C’était bien, même brillamment, dit; mais pour Zemmour, cet homme fait partie des dents pourries qu’il faut retirer de la bouche nationale, quelles que soient ses qualités personnelles. Je ne pense pas que je devrais me soucier d’être membre d’un groupe détesté par un brillant démagogue et polémiste populaire.

Chaque démagogue a besoin de choquer, et peut-être que les choses les plus choquantes que Zemmour eut à dire sont que le capitaine Dreyfus était peut-être coupable après tout, et que le maréchal Pétain avait sauvé des Juifs de France. Le premier est presque risible; ce dernier en particulier suscite colère et dégoût, notamment parmi les survivants juifs en déclin de Vichy et de l’Occupation.

L’argument de Zemmour est le suivant : 75 % des Juifs de France ont survécu, alors que seuls 25 % des Juifs des Pays-Bas et 48 % des Juifs de Belgique ont survécu. Cela doit être expliqué : et Zemmour l’explique en affirmant que Pétain protégeait les Juifs d’origine française aux dépens des Juifs d’Europe de l’Est qui avaient immigré en France entre les deux guerres. En effet, il a sacrifié les Juifs étrangers au Moloch nazi afin de préserver les Juifs français. Loin d’être un méchant, donc, Pétain était un héros, non seulement de Verdun mais de Vichy. Le tort des historiens, que Zemmour accuse d’être une cabale antipatriotique, est de s’être concentrés sur les 75 000 juifs déportés et tués, et non sur les 225 000 survivants grâce à Pétain.  

Ceci, sans surprise, a suscité de furieuses dénonciations et réfutations, par exemple de la part d’historiens tels Laurent Joly ( La Falsification de l’histoire ) et Jacques Semelin ( Une Énigme française : Pourqui les trois quarts des Juifs en France n’ont pas été déportés ). Ce ne sont pas Pétain et Vichy qui ont sauvé tant de monde, mais des Français ordinaires, ainsi que des fonctionnaires et des policiers qui ont délibérément traîné les pieds et n’ont pas simplement obéi aux ordres.

Quelques anecdotes illustreront cela. Dans l’immeuble où habitait ma belle-mère se trouvait une vieille dame juive dont le frère avait été déporté en 1944, lors du dernier convoi de Juifs de Paris, et dont on n’a plus jamais entendu parler. La vieille dame a échappé au même sort car elle a été recueillie dans un orphelinat protestant et élevée en protestante.

Ma belle-mère a commencé à parler un jour à une dame de son âge dans le bus. Lorsqu’on lui a demandé où elle habitait, elle lui a donné l’adresse. « Quel étage? » a demandé la dame, et ma belle-mère le lui a dit.  « Quel numéro d’appartement ? » C’était précisément l’appartement où elle avait été cachée pendant toute l’Occupation par un couple français non juif. Elle n’osait pas sortir ni être vue à la fenêtre, car la Komandatur allemande se trouvait juste en face.

Ni l’une ni l’autre de ces dames n’avaient beaucoup à remercier le maréchal, me semble-t-il. Mais la question se pose de savoir pourquoi Zemmour a pris la ligne qu’il a enpruntée. Je présume qu’il l’a fait afin de se distancer le plus possible de toute politique identitaire, en dehors de celles de l’identité nationale. 

La dernière chose qu’on attendrait d’un Juif français, c’est de déclarer Dreyfus coupable et Pétain sauveur : eh bien, c’est ce qu’il était prêt à faire pour prouver ses références nationalistes et son éloignement de toute autre identité.

Si la politique identitaire est le sommeil de la raison, elle enfante certainement des monstres.    

© Anthony Daniels

Journaliste, Anthony Daniels a édité l’anthologie Everyman The Best Medicine: Stories of Healing , qui a été publiée en mars de l’année dernière, sous son pseudonyme Theodore Dalrymple. Il écrit sur Quadrant on line.

https://quadrant.org.au/writer/anthony-daniels/

https://quadrant.org.au/magazine/2022/03/eric-zemmour-the-insiders-outsider/

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1 Comment

  1. Je reconnais à Erik Zemmour une certaine culture, un courage physique et une remarquable « santé ». Toutefois, n’ayant pas les mêmes références et en désaccord avec ses analyses et les solutions proposées, je ne peux évidemment pas l’approuver par mon bulletin de vote. Pourtant, il y a un point – un seul – sur lequel je suis entièrement d’accord avec lui, c’est quand il dit que « c’est le catholicisme qui a « fait » la France ». Alors là, je lui réponds : oui…hélas !!! Je ne suis pas spécialement fier de l’histoire de France. Il y a bien sûr des hauts et des bas, mais 13 expulsions des Juifs, depuis les Mérovingiens jusqu’à Louis XV ça fait beaucoup. De « grands monarques de droit divin » comme Philippe-Auguste, vainqueur à Bouvines, ou Philippe le Bel, qui a su résister au Pape, ont aussi bien réussi dans l’expulsion des Juifs, en saisissant leurs biens, sans embourser les dettes, bien sûr, quand il y en avait…

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