Laurine Martinez. Au milieu des bombes, l’Occident cible la culture russe

Le malaise a commencé lorsque l’université de Milan a brièvement supprimé des programmes d’étude des œuvres de Dostoïevski avant de revenir sur sa décision prise sous pression des Woke. J’ai d’abord ri jaune en imaginant le directeur de l’université, drapeau ukrainien posé sur sa page Facebook, louant le courage des opposants russes et des soldats ukrainiens, mais incapable de résister à quelques excités ni de faire régner la pluralité des opinions dans une démocratie libérale. Puis, je me suis demandé s’il avait déjà existé en Russie un grand auteur russe qui n’avait jamais eu de problème avec les autorités. En ce qui concerne Dostoïevski, les woke ont été mal inspirés. Quoique… Un homme envoyé au bagne pour avoir lu des livres interdits par le Tsar, avec eux on ne sait plus si c’est le Tsar ou l’auteur qui est à imiter. Ça aurait pu s’arrêter là, mais depuis, les annulations de concerts de programmes russes à la Philharmonie de Strasbourg, et la démission forcée de Tugan Sokiev à l’opéra de Toulouse sont tombés. Ce dernier s’est par la même occasion retiré de ses fonctions au Bolchoï de Moscou. Sommes-nous collectivement en train de devenir fous ?

Tugan Sokiev

Des musiciens russes interdits de concours internationaux

L’arrivée des woke dans l’actualité en ce moment est en soi une mauvaise farce, mais elle est suivie de près par la hargne de l’extrême centre, très en forme vu les postures intellectuelles autocratiques qu’elle prend tout en les reprochant aux autres candidats de la présidentielle devenus bien étonnements modérés. En une phrase : les pro-russes de la droite radicale se taisent, la haine de la gauche progressiste s’allume. L’extrême centre se caractérise plus que jamais par l’amour de la pensée complexe en une phrase et l’acceptation de l’autre à coup d’anathème et de mépris. Je les observe de temps en temps se méfier et se draper dans la raison résumée en cette réplique : « Ne serait-ce pas une fake new du FSB ? » Un pianiste est interdit de concours international ? Sans doute un pro russe payé par Poutine pour diffuser des fake news, tout ça sans vérifier quoi que ce soit. Et si j’extrapole : Que faisait-il à part des gammes, ce pianiste, quand les manifestations pour Navalny ont commencé ?

La vérité est que s’il avait présenté Tchaïkovski en pensant aux homosexuels, s’il avait joué hardiment Prokofiev inspiré par sa lutte acharnée face à Staline, les wokistes n’auraient pas eu les références pour comprendre et l’extrême centre aurait trouvé que ce n’était pas assez. Les parangons de vertu, avec la guerre en Ukraine contaminent les représentants supposés de la modération.

Comment aurait réagi la droite ? Ils se seraient dit qu’un musicien doit faire de la musique. Aucune responsabilité morale. Puis, ils auraient raillé la gauche en faisant la liste des artistes ou auteurs collabo passés à la postérité, insistant sur ceux de gauche. Ces débats en France on les connait par cœur, de Céline à Sartre, de Reggiani et ses loups dans Paris en passant par la francisque de Mitterrand.

Si l’art est clairement politique et si les artistes représentent toujours un bout de leur pays, il est affligeant de voir qu’effacer la Russie du monde de la culture paraît une réponse saine à un conflit armé et aidera la paix.  En vérité personne ne connait ni les opinions politiques ni les dangers et pressions que les artistes russes rencontrent dans leur vie au quotidien ou pas. On ne reproche pas encore à certains d’avoir cherché à survivre, mais ça ne saurait tarder. Poutine, Poutine, Poutiniste, Poutinophobe (il en reste pour utiliser le terme). Merde. Les ukrainiens sont bombardés et c’est l’horreur. Au passage, il y a la guerre depuis 8 ans. Mais qu’est-ce que la culture russe à avoir avec ça ?

Cancel-russia

Mis à part les cas où les gens souhaitent supprimer tout ce qui est russe comme Varsovie l’a fait pour Boris Godounov, il semble y avoir une volonté claire en Occident de mettre au ban les artistes ayant des liens avec le Kremlin ou l’ayant soutenu. Et alors là, la question est vertigineuse et mériterait la plume d’un Kundera ou d’un Axionov pour narrer les trente dernières années de vie en Russie des artistes proches du régime, de la naissance des amitiés de Gergiev et Poutine en 1993 à l’ascension de l’exceptionnelle d’Anna Netrebko.

Comment tout cela s’est-il passé et au détriment de qui ou de quoi ? La soprano se terre dans un profond mutisme après s’être prononcée contre la guerre tout en soutenant le chef Star du Mariinsky qui l’a découverte en 1994. Alors que la majorité des russes pensent que la guerre se limite au Donbass, elle aurait pu chanter et se prononcer contre la guerre, ses mots auraient pu avoir du poids.

Si ces artistes sont à ce point coupables, des témoignages sortiront si être proche du Kremlin suffit pour justifier la décision, toutes les maisons d’Opéra du monde le savent depuis le début et protègent donc avant tout leur image. Mises à part quelques exceptions qui ont l’admiration de tous parmi les opposants sérieusement : Pro-anti. Comme si c’était si simple.

Berlin, novembre 1989 (après l’ouverture des postes-frontières de la RDA, 9.11.1989). Le violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch jouant un morceau de Bach devant le Mur non loin de Checkpoint Charlie (au fond, l’immeuble d’Axel Springer). 11 novembre 1989 (Succo).

Petit retour en arrière. C’était le 9 novembre 1989, Rostropovitch jouait devant le mur de Berlin. Beaucoup de gens ne savent plus qui est Rostropovitch. Quand j’en parle je dois parfois préciser que c’est l’homme au violoncelle que les collégiens ont (ou avaient) sur la couverture de leur livre d’histoire. Allait-il pouvoir rentrer chez lui ? C’était là, la question.

Galina Vichnievskaya, sa femme, figure d’une forme de résistance artistique sous Staline (pourtant artiste officielle du régime), a ouvert sous Poutine en 2002 une école de chant reconnue, et l’opposante Maia Plissetskaïa devait danser pour ses 90 ans La Mort du Cygne sur la scène du Bolshoï, avant une soirée organisée par le Kremlin. Paix à leur âme et à leur art, elles n’ont pas vu le mémorial des crimes de Staline fermé. Faut-il aussi les condamner dans des anathèmes absurdes? Je me demande quels étaient les liens qu’entretenaient ces femmes de trempe avec la nouvelle génération d’artistes que la presse internationale politique qualifie de marionnettes du Kremlin, comment ont-elles cohabité avec Poutine? Comment tout cela s’est-il élaboré ? Une seule chose est sure : elles n’auraient pas permis un quelconque révisionnisme. Tout le reste mérite un roman.

Et si une femme brisée venait un jour de nulle part cracher à « ce visage-là » ?

Vichnievskaya narre dans sa biographie une scène se passant sous Brejnev : une femme demande à voir un collègue à elle, chanteur, pour lui cracher au visage. Galina découvre que cet homme placide avait donné aux stalinien toute la famille de la malheureuse pour sa carrière. Je me garderai bien de faire des anachronismes. Je ne sais si de telles scènes glaçantes se reproduiront. Hier une ukrainienne m’a dit : « les autorités russes ? Poutine ? Ils s’en foutent de la culture » avant d’ajouter « et moi aussi ». En pleine guerre, je la comprends. Elle m a d ailleurs dit que beaucoup de soldats ukrainiens russophones étaient partis à la guerre en se promettant de ne plus jamais parler russe s’ils revenaient vivants. Pour beaucoup la rupture est consommée.

Mais nous ? Poutine envahit l’Ukraine et c’est la culture composée principalement d’œuvres d’opposants que l’on efface. Il tue des civils, et ceux de Russie qui manifestent sont laissés à l’abandon. 

Pour nos amis ukrainiens et russes qui n’ont rien demandé, pour ces deux chanteuses russe et ukrainienne se prenant dans les bras sur une scène de Naples, ne laissons pas l’échec de la diplomatie et la guerre nous pousser vers l’échec de la culture et de la pensée.

© Laurine Martinez

Laurine Martinez est chanteuse lyrique en fin d études, diplômée de sciences pipo Paris, russophone.

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1 Comment

  1. Ces attaques xenophobes contre la culture et cette censure visant artistes ou intellectuels relèvent de l’extrême droite pure et dure. Celle des wokistes et de l’Eurofascisme 🕸 :
    quand Ursula Himmler 🕷 entend le mot « Culture », elle sort son revolver.

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