Silence ces dernières semaines : grand tunnel de travail intensif… et puis bien sûr la consternation, la compassion, l’angoisse.
Au coeur de l’actualité et des combats de ce jour, Marioupol… et la ville a pour moi un visage – celui de Raïssa Maritain et de sa soeur Véra Oumançoff qui y passèrent leur enfance dans le judaïsme hassidique, avant les pogroms et l’exil…
La mer d’Azov, « le goût parfait du vin de Pâques, le parfum exquis des pommes de Crimée »… Et les enfants de Marioupol, leurs jeux, leurs larmes, leur poésie, leur innocence, leur goût du paradis perdu.
Un extrait des « Grandes Amitiés »
« Ma petite soeur a grandi. Depuis qu’elle sait parler nous parlons beaucoup ensemble. C’est notre jeu. Nous imaginons qu’elle est ma petite mère, et que je suis son petit garçon qui habitons un monde tout autre que celui qu’habitent les hommes. C’est un monde où on ne pleure pas, où on n’est pas malade, où toute l’année poussent les fleurs et les fruits, où les enfants jouent avec les oiseaux, et peuvent voler comme eux ; où l’âge est fixé une fois pour toutes. Les mères ne vieillissent pas, et les enfants ont toujours l’âge qu’ils avaient lorsqu’on est allé les chercher à la fontaine, c’est-à-dire qu’ils ont toujours l’âge de leur naissance. Ainsi j’avais toujours deux ans. Nous vivions dans ce monde tout le temps où nous pouvions jouer et il a grandi avec nous d’une certaine manière. Lorsque nos fûmes assez grandes pour avoir une idée du bien et du mal, l’idée même du mal dut être exclue de notre monde. Nous devions nous surveiller pour ne pas prononcer les mots qui désignaient le mal, la méchanceté ; ni même les mots qui par contraste pouvaient y faire penser. Ainsi il ne fallait pas dire « bien », pour ne pas avoir à penser « mal », ni « bon » pour ne pas risquer de penser « méchant ». C’était un extraordinaire exercice pour de petites têtes d’enfants, et nous nous trompions souvent… » Raïssa Maritain
Tout le premier chapitre des « Grandes Amitiés« , publié à New York en 1941, et disponible aux éditions Desclée de Brouwer, est consacré à cette enfance à Marioupol.
Historien, Michel Fourcade consacre avec « Feu la modernité? » ( Editions Arbre bleu. Mars 2021) une biographie intellectuelle monumentale à Jacques Maritain, l’auteur d’ »Antimoderne » et « Dieu et la permission du mal » (1882-1973).
Les Grandes Amitiés. Raïssa Maritain. Desclée de Brouwer. New York. 1941
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