OPINION. Pour éviter la violence et la destruction, Charles Rojzman défend l’idée qu’accepter un certain niveau de conflictualité est parfois nécessaire. En somme, préférer la saine confrontation au couvercle sur la marmite. ( Ecrit avant la Guerre en Ukraine )
En Allemagne, en France, aux États-Unis, dans l’ensemble du monde occidental, s’opposent ceux qui alertent sur les risques d’une islamisation et d’une immigration de masse et ceux qui nient ce péril et veulent croire à la possibilité d’une sorte « d’extension du domaine de la tolérance ». Les uns accusant les autres d’un racisme et d’une islamophobie maladive et les autres d’une naïveté bien-pensante et politiquement correcte. Ces points de vue manichéens et absolus qui s’affrontent ne traduisent qu’une partie de la réalité. Les idéologies interprètent la réalité au travers d’une grille de lecture partiale et partielle.
Ce qui manque aujourd’hui, c’est la parole populaire des habitants de ce pays et celle des professionnels de terrain qui œuvrent chaque jour dans l’obscurité médiatique. Leur parole brute est entendue, certes, et traduite dans les médias, à l’occasion d’enquêtes sociologiques ou d’événements traumatiques où des journalistes interrogent des personnes choquées et virulentes. Cette parole, malheureusement, n’est pas dégagée de la gangue du politiquement correct ou inversement du ressentiment. Faussée, elle s’adresse à des gens envers lesquels la personne concernée n’a pas confiance, et cherche à leur plaire ou à leur faire peur, à les provoquer ou à les révulser. C’est un monologue qui surtout n’a pas été mis en confrontation avec d’autres paroles et n’a pas pu entendre les autres morceaux de la réalité qu’elle ne peut connaître depuis sa seule fenêtre. Or ce sont ces paroles-là, vraies, et expressions d’intelligence, qu’il nous faut entendre et mettre en résonance avec d’autres paroles pour avoir enfin une idée de cette réalité si complexe qu’est le monde d’aujourd’hui, quel que soit le pays.
C’est tout le sens de ce travail de la thérapie sociale que nous avons entrepris, un peu partout, approfondi, développé avec mes compagnons Nicole et Igor Rothenbühler, et pratiqué dans ce que nous avons appelé « l’intervention en thérapie sociale » par tous ceux que nous avons formés. Entendre et faire résonner des paroles conflictuelles afin précisément de lutter contre les guerres civiles qui sourdent et aussi contre une tentation totalitaire qui peut s’emparer indifféremment de tous, mais qui, aujourd’hui, séduit de nombreux musulmans. Le succès grandissant de l’islam radical et du salafisme en est la preuve.
En effet, un nouveau totalitarisme, l’islam politique et radical, comparable au communisme ou au national-socialisme, veut imposer sa foi et ses lois au reste de l’humanité. Il a ses compagnons de route antiracistes, racialistes, indigénistes, et ses idiots utiles. Il use, comme les précédents, de la terreur et de la ruse pour s’attaquer à des démocraties, fatiguées et malades qui ne savent réagir que par la guerre ou par un déni et une passivité qui pourraient aller, dans un futur proche, jusqu’à des formes plus ou moins extrêmes de collaboration avec l’ennemi. Ce totalitarisme séduit en critiquant les vices de cette démocratie libérale qu’il méprise.
Face à lui, effectivement, la démocratie libérale est une démocratie faible et malade, gangrenée par des malaises et des violences qui se manifestent dans tous les milieux, dans les organisations, les institutions, les écoles, les familles. Une démocratie malade également, faute d’une véritable expression populaire, dégagée des peurs et des jeux de pouvoir des groupements communautaires et des culpabilisations.
Pratiquement toutes les sociétés occidentales sont divisées : une nouvelle lutte des classes oppose des bourgeois « éduqués » et une masse populaire qui exprime ses peurs, légitimes ou non, par le rejet de « l’autre » quel qu’il soit et du repli sur ses identités nationales ou ethniques. La vie collective se tribalise de plus en plus en se morcelant en communautés rivales qui n’ont pratiquement plus de projet commun. Or, pour résister efficacement à ce nouveau totalitarisme, il serait nécessaire que la société reste unie et que la démocratie se renforce. La thérapie sociale que je préconise après l’avoir longtemps pratiquée un peu partout se propose de donner des outils pour récréer une démocratie vivante, c’est-à-dire conflictuelle au sens positif de ce terme, et tenter de guérir les maladies de la vie démocratique. La lutte contre le totalitarisme exige ce renouveau de la démocratie, le pouvoir d’un peuple gouverné par la raison.
Déjà Jules Romains écrivait ceci en 1944 : « Donc, c’est en somme la première fois que l’ensemble d’idées et de valeurs morales, constitué lentement par près de trente siècles de philosophie et près de vingt siècles de christianisme, rencontre en face de lui, dans un duel à mort, un corps d’idées diamétralement adverse et audacieusement démasqué. Il en résulte qu’un travail de rassemblement de nos idées, accompagné s’il y a lieu d’une révision sans complaisance, loin d’être un épisode latéral, se place dans l’axe même du combat. […] Cette fois-ci, il s’agit de mettre fin à une régression, récente et terrifiante, d’une virulence supérieure, qui s’est emparée de certains peuples, et qui a fait d’eux un péril pour le monde entier. Mais cette maladie, si elle est bien, en réalité, une régression à des étapes de l’humanité très anciennes, se présente elle-même comme une nouveauté, comme une création féconde. Elle prétend s’imposer à l’avenir de la planète comme un nouvel ordre. Et si en principe elle professe un certain mépris pour l’activité intellectuelle, elle n’en fait pas moins un grand usage d’idées et de raisonnements pour justifier sa prétention, ou affaiblir la résistance intellectuelle de l’adversaire. Il s’ensuit que les champions de la cause “démocratique” ne peuvent plus se livrer à l’impression confortable d’être portés par l’histoire. Ils ont cette fois à lutter contre l’histoire, à l’empêcher de tourner mal, à réduire un remous énorme où toute une partie des forces morales et matérielles du monde s’est funestement engagée. »
Proposant de réviser l’idée démocratique, nous misons donc sur l’utilité du conflit puisqu’on ne peut éliminer la pensée de l’autre en la qualifiant de sous-pensée : il nous appartient à nous de repenser notre démocratie pour refaire société, en recréant par exemple des environnements réparateurs, en écoutant les douleurs chuchotées, en opérant un travail d’intelligence collective en vue de résoudre des problèmes communs ?
Nous en arrivons ainsi à faire un éloge du conflit, qui fait émerger l’intelligence collective que je vois comme une continuation des idéaux des Lumières, le règne de la raison critique l’emportant contre le fanatisme. Cela passe par une libération de la parole qui a besoin de s’exprimer d’abord et inévitablement avec violence pour arriver à un conflit qui ne serait pas destructeur, mais qui, au contraire, avec méthode peut créer de l’intelligence en confrontant des visions du monde, des points de vue sur l’état de la société, tellement contradictoires et opposés pour le moment.
Mais parfois, il faut bien le dire, les ressources du dialogue pacifique et de la coopération sont dépassées par l’état mental de l’adversaire. Il ne reste que l’usage de la force qui peut paraître brutale, qui l’est certainement, mais qui seule peut le faire reculer ou capituler. Ce n’est donc pas l’idéologie de la bienveillance ou celle opposée de l’intolérance qui doivent décider de notre conduite, mais la connaissance de la réalité et l’adaptation à cette réalité. Il s’agit bien ici encore du conflit tel que nous l’entendons, qui permet à la fois de réconcilier et de réunir, mais aussi de combattre.
© Charles Rojzman
Charles Rojzman est Essayiste et Fondateur d’une approche et d’une école de psychologie politique clinique, « la Thérapie sociale », exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.
Les analyses de Charles Rojzman sont toujours stimulantes. Mais il faut mettre les points sur les i : dans la grande majorité des cas les racistes et les antisémites sont bien ceux qui sont dans le déni et non pas ceux qui dénoncent la réalité. Comment savoir si quelqu’un est raciste aujourd’hui ? Il suffit d’observer son vocabulaire : « islamophobie », « racisé », « privilège blanc », « Israël Etat d’apartheid » et autres formules faisant partie du lexique des nouveaux fascistes.