La guerre ne souffre pas les velléités, encore moins la paix. En s’invitant brutalement sur le théâtre de l’Histoire, le Président Poutine a, à sa façon, rappelé cette vérité de toute éternité.
Les déclarations sur la non-entrée de l’Ukraine dans l’Otan étaient aux yeux de Moscou insuffisamment sincères, a fortiori pour une mémoire russe qui conserve depuis trois décennies le sentiment de s’être fait filouter par l’Ouest quant à sa promesse de non-élargissement de l’Otan aux ex-membres du Pacte de Varsovie. Mépriser l’histoire, et la géographie indissociable de celle-ci, c’est prendre le risque que l’une et l’autre finissent par se venger. Ces 24 dernières heures en sont la cruelle illustration.
La sidération qui s’est emparée des esprits dirigeants et médiatiques depuis l’offensive russe a pour conséquence de renforcer, sous le feu des émotions, les mésinterprétations. Tout en vient à se passer comme si le poutinisme était une sorte d’hiltlero-stalinisme. Sa dynamique constituerait un hybride du brigandage territorial des années 1930 et une résurgence de la guerre froide. L’impact instantané de cette facilité intellectuelle est inversement proportionnel à sa réalité dans la durée. Non qu’il n’y ait pas agression et agression il y a, mais cette agression est le fruit aussi de nos indifférences hostiles à ce que les Russes considèrent comme leurs intérêts moraux et matériels. Nous avons, depuis trois décennies, traités ceux-ci comme des vaincus, alors qu’ils ne l’étaient plus d’une part et que d’autre part il n’est jamais bon de rajouter l’humiliation à la défaite, quand bien même défaite il y eut.
Nous n’avons pas fini de solder les fautes d’orgueil occidentales de l’après-communisme, à l’instar du traité de Versailles qui avait préparé en son temps le réveil inéluctable des pulsions guerrières. Ces dernières se sont aussi aujourd’hui d’autant plus réveillées qu’elles se fondent du point de vue du maître du Kremlin sur nos propres faiblesses quasi-civilisationnelles et sur la force d’un partenariat stratégique sino-russe dont la montée en puissance résulte, entre autres, de l’alignement quasi-systématique des positons européennes sur Washington. En précipitant Moscou dans les bras de Pékin, l’Europe et la France avec elle sont passées à côté du cours de l’Histoire. Par-delà le fracas immédiat des armes et des troupes, c’est à cette transformation géopolitique majeure que nous allons devoir faire face.
Ce n’est pas une guerre froide, ni chaude dans laquelle le monde paraît entrer, mais une guerre par intermittences ou tiède, alternant par certains côtés affrontements et embuscades, recherche de compromis et de coup de poker, instabilité durable dans tous les cas. Et conséquences immédiates aussi pour nos économies qui feront traverser de fortes zones de turbulences à des sociétés qui s’apprêtaient à sortir d’une crise sanitaire, mais qui sont déjà ébranlées par la première secousse tectonique de ce qu’il faut peut-être appeler la post-mondialisation…
© Arnaud Benedetti
Arnaud Benedetti, Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne, est Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Merci à notre auteur JP L.
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