Algérie 1962 : la culture contre le cloisonnement des mémoires, avec R.Depardon, K.Daoud, M.Rahal et N.Juncker

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ÉCOUTER (58 MIN)À retrouver dans l’émission AFFINITÉS CULTURELLES par Tewfik Hakem

Il y a 60 ans, les accords d’Evian mettaient fin à 7 ans de guerre et à 132 ans de colonisation de l’Algérie. Retour sur les derniers moments de la guerre d’Algérie avec Raymond Depardon, Kamel Daoud, Malika Rahal et Nicolas Juncker.

Des passants à Alger en 1961. Photographie de Raymond Depardon issue de l'ouvrage "Son oeil dans ma main. Algérie 1961 - 2019" coéd. Barzakh / Images Plurielles
Des passants à Alger en 1961. Photographie de Raymond Depardon issue de l’ouvrage « Son oeil dans ma main. Algérie 1961 – 2019 » coéd. Barzakh / Images Plurielles• Crédits : © Raymond Depardon/ Magnum Photos

Tewfik Hakem s’entretient avec Raymond Depardon, photographe et cinéaste, Kamel Daoud, journaliste et écrivain, tous deux coauteurs du livre Son œil dans ma main. Algérie 1961 – 2019 (coéd. Barzakh/ Images Plurielles), Malika Rahal, historienne et auteure du livre Algérie 1962. Une histoire populaire (éd. La Découverte) et Nicolas Juncker, scénariste de la bande dessinée Un général, des généraux (éd. Le Lombard).

La guerre d’Algérie d’hier à aujourd’hui

Raymond Depardon n’a pas vingt ans quand il débarque pour la première fois à Alger en 1960. Les photographies qu’il prend à cette époque témoignent des tensions qui règnent dans la ville, mais aussi des communautés qui partagent l’espace public sans jamais se voir, des visages inquiets ou encore des rixes. Il est également l’un des rares photographes de la délégation algérienne à Evian pendant les pourparlers entre le FLN et le gouvernement français. 60 ans plus tard, sous l’impulsion des éditions Barzakh, Raymond Depardon présente ses photographies dans un beau livre coédité avec les éditions Images Plurielles, intitulé Son œil dans ma main. Algérie 1961 – 2019, avec des textes de Kamel Daoud.

Un homme seul qui traverse la pluie à Alger en 1961.
Un homme seul qui traverse la pluie à Alger en 1961.• Crédits : © Raymond Depardon/ Magnum Photos

Quand je suis arrivé en Algérie, je n’avais pas de colère, contre personne. Je ne parlais pas beaucoup, je regrette de ne pas avoir parlé aux Algériens de mon âge mais j’ai photographié des jeunes de ma génération. Et il y avait aussi des jeunes pieds-noirs. Je n’avais aucun apriori, j’ai essayé de faire des photos tendres. C’était difficile parce que les gens me prenaient à partie, ils voulaient casser mon appareil donc j’étais malheureux. Quand j’ai retrouvé ces photos il y a quelques années, je me suis dit : « Il va y avoir un grand anniversaire ». Les 60 ans de l’indépendance de l’Algérie, c’est important, ces photographies n’ont jamais été montrées, je ne suis pas fier de ces photos mais elles existent. (…) Quand j’en ai parlé à Claudine, ma femme, qui vient de Montpellier, qui a entendu l’histoire des rapatriés, je lui ai dit : « Ce serait bien que les Algériens s’approprient ces photos. Au fond, est-ce que ces photos n’appartiennent-elles pas à l’histoire de l’Algérie ? » Raymond Depardon

Des piétons qui traversent une rue d'Alger en 1961.
Des piétons qui traversent une rue d’Alger en 1961.• Crédits : © Raymond Depardon/ Magnum Photos
Krim Belkacem, à la tête de la délégation algérienne lors des négociations des accords d'Evian, lisant un journal dans la villa de Bois d'Avault, en 1961.
Krim Belkacem, à la tête de la délégation algérienne lors des négociations des accords d’Evian, lisant un journal dans la villa de Bois d’Avault, en 1961.• Crédits : © Raymond Depardon/ Magnum Photos

Les photographies de Raymond Depardon sont également exposées à l’Institut du Monde Arabe jusqu’au 17 juillet 2022. En découvrant l’Algérie des années 1960-1961, Kamel Daoud a essayé de se projeter dans ce passé pour produire des textes qui accompagnent les images de Raymond Depardon :

En Algérie, nous avons une histoire qui est désincarnée. C’est une histoire, qui à la fois, donne la part belle, et c’est tout à fait légitime, aux figures du FLN, aux héros fondateurs du récit national, et les Français d’Algérie n’ont pas de visages, pas de corps. Ils sont une sorte d’entité, il s’agit de la France coloniale. D’un coup, avec ces photos, je découvre des corps, des visages, déchirés, des déchirures, mais surtout la complexité humaine. On a évacué la complexité d’un récit qui est très manichéen. Moi qui étais formé, conditionné par l’école et les institutions algériennes, je découvre qu’il ne s’agissait pas uniquement d’une guerre, au sens strict du terme, mais aussi d’une profonde blessure, d’une déchirure, de destins humains, d’un temps incroyablement complexe. Dans toutes ces photos, je retiens l’humain dans toute sa misère, sa splendeur, sa faiblesse. On est entre deux époques, entre deux temps. Kamel Daoud

Deux jeunes femmes à Alger, en 2019.
Deux jeunes femmes à Alger, en 2019.• Crédits : © Raymond Depardon/ Magnum Photos
Raymond Depardon et Kamel Daoud en 2019
Raymond Depardon et Kamel Daoud en 2019• Crédits : © Raymond Depardon/ Magnum Photo

Une BD sur le putsch des généraux du 21 avril 1961

Avec l’aide du dessinateur François Boucq, l’auteur de bande dessinée Nicolas Juncker utilise cette fois sa plume pour raconter l’affaire franco-française du putsch des généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, qui ont tenté de garder l’Algérie française le 21 avril 1961.

C’est un peu comme une pièce de théâtre, une pièce de boulevard entre Alger et Paris. Il y a une espèce de ping pong entre l’Assemblée nationale, Matignon, et le bâtiment du gouvernement général à Alger. (…) On a hérité du système politique gaullien, on est encore dans cette thématique de l’homme providentiel, on n’arrête pas d’en parler encore maintenant. C’est très actuel cette tendance autocratique du pouvoir français qui dénie le pouvoir législatif, avec un pouvoir exécutif très fort. Nicolas Juncker

Extrait de la BD "Un général, des généraux"
Extrait de la BD « Un général, des généraux »• Crédits : François Boucq et Nicolas Juncker, ed. Le Lombard

Algérie 1962 : une historiographie qui retrace enfin le vécu des personnes restées en Algérie

En recueillant un grand nombre d’archives, d’entretiens et de témoignages des personnes qui sont restées en Algérie lors de son indépendance en 1962, Malika Rahal fait de Algérie 1962. Une histoire populaire un livre éclairant qui complète un puzzle historique et politique.

Le but était de donner la voix à ceux dont on ne connaissait pas l’histoire en 1962. Il y a des histoires que l’on connaît mieux, celle de l’exode des pieds-noirs, on connaît un petit mieux l’histoire des harkis, et l’absent de cette fresque c’est le vécu des personnes qui sont restées en Algérie, des Français qui sont devenus Algériens. Le but était d’essayer de retracer leurs expériences diverses, la diversité des phénomènes et des émotions colossales de cette année 1962. Malika Rahal

Archives Ina : 

– La signature des accords d’Evian et le cessez-le-feu le 18 mars 1962 

– Allocution du général de Gaulle le 23 avril 1961 à la suite de la tentative du coup d’Etat à Alger le 22 avril 61, des généraux Challe, Salan, Zeller et Jouhaud, « un quarteron de généraux en retraite ».

Extrait musical

El Hadj Mohamed El-Anka – Chanson de l’indépendance algérienne :  » Dieu merci, il n’y a plus de colonialisme dans notre pays« 

https://www.franceculture.fr/emissions/affinites-culturelles

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