La croissance de la pauvreté en Iran est entrée dans une nouvelle phase, qui depuis les 100 dernières années, est sans précédent. Constat que Shahab Naderi, membre de la commission économique du Parlement, confirmait le 13 mars 2018, en précisant que 80% de la population iranienne vivait sous le seuil de pauvreté.
Des rapports indiquent que cette population, située en-dessous du seuil de pauvreté, a « doublé » au cours des trois dernières années. De même, les recherches menées dans ce domaine des années 2012 à 2021, de nombreuses familles iraniennes, pourvues d’un emploi, ne disposent pas des moyens de subsistance nécessaires à leur famille.
La propagation de la misère et de la pauvreté dans les différentes couches sociales concernées, font que parmi les 60 millions de personnes atteintes par ce fléau, 40 millions sont dans la pauvreté absolue, au point de n’avoir pas accès au strict nécessaire.
Les salaires actuels ne couvrent plus le coût de la vie. Dormir dans des bus ou dans le métro, dormir dans des ruisseaux ou des criques comme dormir dans des cartons sont des phénomènes qu’on voit émerger dans le pays et se propager de la capitale à toutes les régions du pays qui ne connaissent pas de frontières.
Les membres de certaines familles ont été amenés à se déplacer, voire à s’installer, individuellement ou en groupe, dans des endroits aussi aberrants que des bâtiments abandonnés, des tombes ou des bus de collecte de déchets municipaux.
Comment expliquer cette pauvreté et cette misère ? Alors que l’Iran est l’un des plus riches pays du monde, notamment en pétrole et en gaz.
Formation de l’oligarchie financière des mollahs
Après la guerre Iran-Irak dans les années 1990 et sous Rafsanjani, l’ancien président de l’Iran, un processus de faux néolibéralisme s’est installé dans l’économie iranienne. Mais parce qu’il ne respecte, ni les principes de la sécurisation du capital, ni ceux du libéralisme qu’assure une saine concurrence, comme cela peut se voir en Occident ; ce modèle de néolibéralisme économique a peu à voir avec le modèle occidental .
En effet, après la guerre Iran- Irak, pour récompenser les Gardiens de la Révolution (CGRI), utilisés comme force militaire destinée à maintenir un régime basé sur Velayat-e-Faqih (guide suprême), le pouvoir leur a confié les entreprises rentables, de nombreuses terres agricoles fertiles ainsi que les terres coûteuses des villes, qui furent investies par le CGRI. Il en fut de même à l’adresse de personnes soi-disant « initiées », que ce régime continue à ce jour, de récompenser. C’est ainsi que les importations de marchandises sont devenues le monopole des entreprises appartenant aux mollahs et c’est ainsi que s’est formée l’oligarchie des mollahs.
De cette manière, que le CGRI – en plus d’être devenu une force militaire de soutien au Velayat-e Faqih – contrôle au moins la moitié de l’économie iranienne. Le mécanisme de l’offre et de la demande ne jouant pas, les forces économiques ont pu progressivement être monopolisées par le CGRI au détriment du secteur privé qui a progressivement disparu. Comme on dit : « il y a 250 000 millionnaires en Iran ». En fait, c’est une nouvelle classe de super-riches corrompus qui a pu émerger.
Il convient de noter que, malgré le coronavirus, le nombre de millionnaires en Iran a augmenté de 26,6 %, alors que dans les autres pays, il n’a augmenté en moyenne que de 6,6 %. Lors d’un débat électoral, Qalibaf admettait dans une métaphore, que seuls 5 % des mains atteignaient la bouche, au détriment de celles des plus pauvres.
La corruption institutionnalisée en Iran provient des membres de cette classe nouvellement arrivée, qui n’hésite pas en « initiés » qu’ils sont, à détourner des fonds de plusieurs milliards de dollars.
Ce que résume le slogan suivant : « Si on réduit les détournements de fonds, notre problème sera résolu », que profèrent lors de leurs manifestations quotidiennes, les nombreux ouvriers ou employés dont les salaires n’ont pas été payés depuis des mois ou sont inférieurs au seuil de pauvreté absolue.
Citons les plus grandes entreprises économiques d’Iran généralement classées comme suit :
– Compagnie nationale iranienne du pétrole
– L’empire du CGRI, qui contrôle jusqu’à deux tiers du PIB
– L’empire commercial du clergé avec les fondations dont il dispose (comme Astan Quds, qui était dirigée par l’actuel président Ibrahim Reisi avant que celui-ci ne devienne le chef de la législature, puis président)
Il n’y a pas de transparence ni d’audit public de ces entreprises. Elles ne paient pas d’impôts et ne sont soumises à aucune loi, en raison de leur pouvoir d’influence. C’est ainsi, que les institutions économiques qui sont aux mains des Gardiens de la révolution islamique et l’empire commercial des mollahs – qui appartient exclusivement à l’aristocratie des mollahs – ont complètement pris le contrôle de l’économie iranienne.
Confrontés à une économie corrompue, gérée par des « initiés » peu professionnels et éclairés, il n’y a pas de secteur privé qui puisse se développer et réellement générer des emplois.
La production nationale dans l’agriculture ou dans d’autres domaines a fini par disparaître. L’empire commercial des mollahs qui importe des marchandises et fait d’énormes profits, a par ailleurs eu besoin, pour ce faire, de recourir à de nombreuses sociétés ou entreprises empruntant des noms de couverture.
(Lien de mon article) ??
Transformer la société en un baril de poudre à canon
Dans la société iranienne, la classe moyenne a presque disparu. Récemment, les enseignants et les divers groupes sociaux bien informés qui représentent les classes moyennes ont organisé des manifestations massives réunissant 100 000 personnes. Il faut savoir que leur salaire moyen est de $213.00 sachant que le seuil de pauvreté officiellement déclaré en Iran est de $426.00 On assiste à un découplage de cette société à deux étages. Celui de la classe aisée, ces mêmes 5% qui se sont accaparé toutes les richesses. Et les 95 % autres plongés dans la pauvreté.
Lors de l’accord nucléaire de 2015, la monnaie bloquée de l’Iran, correspondant à 150 milliards de dollars, a été libérée, et jusqu’à 2,5 millions de barils de pétrole ont été vendus par jour. Les seuls bénéficiaires en ont été les Gardiens de la révolution et l’empire commercial des mollahs. C’est la raison pour laquelle, en 2018 et 2019, deux soulèvements majeurs se sont formés sur la base de la pauvreté et de l’inflation, tandis que les soulèvements d’Ispahan et du Khouzestan, étaient dus à des pénuries d’eau et ceux du Baloutchistan directement ou indirectement étaient provoqués par la domination de cette aristocratie de l’argent, sur l’économie et l’eau.
Conclusion
Même si l’Iran parvenait à un accord nucléaire et que les sanctions – voire toutes les sanctions – soient levées, l’argent bloqué libéré et que les ventes de pétrole affluent plus encore vers le régime iranien, pour ces raisons structurelles et organisationnelles évoquées, cela ne pourrait entraîner des changements significatifs quant à la situation des 60 millions de pauvres. Au contraire, le fossé entre les classes risquerait d’aller s’élargissant, à moins que ce ne soit le baril de poudre à canon de la société qui finisse, tôt ou tard, par exploser.
© Hamid Enayat
Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l’homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales et en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.
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