Par Agathe Lecoulant
Publié le 05/01/2022 à 15:41
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le rappeur Maître Gims a demandé à ses fans, et tout particulièrement aux musulmans, de ne pas lui souhaiter la bonne année, son anniversaire ou encore Noël. L’essayiste estime que le rappeur refuse ainsi d’adhérer au mode de vie français.
Ancienne élue locale, Céline Pina est essayiste et militante. Elle est la fondatrice de «Viv(r)e la République», elle a également publié Silence coupable (Kero, 2016) et Ces biens essentiels (Bouquins, 2021).
FIGAROVOX. – Invitée de Pascal Praud dans «l’Heure des pros» sur Cnews, la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté déclare que les propos de Maître Gims, qui refuse que les musulmans souhaitent la bonne année, sont «une atteinte à la citoyenneté» . Partagez-vous ses propos ? En quoi ?
Céline Pina. – Maître Gims en tenant ce discours qui cible les vœux de bonne année, le fait de fêter Noël ou les anniversaires dit clairement aux musulmans que respecter leur religion passe par le fait de refuser les fêtes et traditions du pays où ils vivent. C’est à une invitation au séparatisme à laquelle il se livre exactement dans la tradition du mouvement Tabligh qu’il se targue pourtant d’avoir quitté. Ce que dit le rappeur est qu’accepter certaines fêtes et certains symboles est impur pour un musulman, c’est trahir sa religion, se mettre en retrait de l’oumma, la communauté des croyants. Le rappel à l’ordre est réel et très violent. Symboliquement le message de rupture est très fort.
En effet, les temps de fêtes et les rituels collectifs de ce type favorisent le sentiment d’appartenance à un groupe, à une Nation. Elles rythment les temps de la vie et s’inscrivent dans un processus de temps long où nos existences fugaces retrouvent une forme de permanence. Ces fêtes disent que nous existons au sein d’un monde qui nous a précédés et nous survivra. Les rituels et célébrations qui scandent notre existence sont aussi celles qui ont rythmé la vie de nos parents, de leurs parents avant eux… Quand on s’inscrit dans un pays et que l’on s’y intègre, on adopte ce type de coutumes. Les refuser et en faire une frontière distinguant les musulmans des autres est une façon de refuser d’appartenir à un corps social, de faire sécession, c’est distinguer le «Eux» des Kouffars, des impurs, d’un «Nous» musulmans. Or on ne peut faire société si on considère les traditions du pays où l’on vit comme impures, contraire au respect d’une religion. En s’attaquant aux anniversaires comme aux vœux, le rappeur illustre son refus de notre civilité. Rien d’étonnant à cela, l’homme n’a pu obtenir la nationalité française car il serait, aux dires des journaux, polygame. Son refus d’accepter notre mode de vie est patent et revendiqué, il a donc été sanctionné comme il se doit. Le problème est son influence sur une jeunesse peu éduquée, pas le fait qu’il soit incapable de s’intégrer vu qu’il n’est pas Français.
Que l’homme soit par ailleurs un jouisseur adepte de femmes dénudées dans ses clips, de grosses cylindrées et de référence à l’argent roi et à une sexualité débridée n’est pas incompatible avec l’adhésion à un islam politique. Le Tabligh dont il fut adepte a des exigences en matière de comportement incompatible avec le caïdat et le monde du «gangsta rap», bling bling et exhibitionniste, voilà pourquoi cette appartenance n’est qu’une étape. Elle permet surtout de passer à un mode d’action plus idéologique et bien plus axé sur la destruction de la société occidentale et de ses valeurs que sur un idéal de comportement vertueux. C’est ainsi que ce converti influencé par les thèses les plus radicales de l’islam est passé à l’islam politique en mode frères musulmans. L’islam devient alors un slogan pour refuser les lois, les mœurs, la civilité française, prôner le séparatisme, mais n’engage guère au quotidien. Voilà pourquoi nombre d’influenceurs qui font le jeu des islamistes et mettent en avant la religion ne le font que pour interdire toute forme d’intégration. Ils ne sont pas pour autant de grands théologiens ni des adeptes du puritanisme. C’est d’ailleurs une partie de leur force : cette position permet de mettre la société française en accusation, d’appeler une jeunesse à la radicalisation, de justifier la violence, tout en s’extrayant de toute forme d’effort en terme de comportement. Rejeter ce qui est vu comme Français est la première étape pour devenir un bon musulman aux yeux de ces serviteurs du séparatisme. Ils peuvent s’arrêter là sans se sentir hypocrites puisqu’ils font leur part. C’est la théorie du colibri appliquée à l’islamisation de la société. Ces profils sont bien plus courants dans la jeunesse que l’austère pratiquant dévot et intégriste, ils n’en font pas moins de dégâts, voire sont des agents d’influence bien plus efficaces en phase de conquête.
Marlène Schiappa ajoute qu’ «en France, on est un collectif de citoyens et de citoyens point. Il ne doit pas y avoir des citoyens musulmans, des citoyens athées, des citoyens catholiques.» La citoyenneté et la foi sont-elles nécessairement antinomiques ?
La citoyenneté et la foi ne sont pas antinomiques, mais la France ne reconnaît qu’une seule communauté, la communauté nationale. Nous sommes citoyens en tant qu’individus, pas comme représentants d’une communauté religieuse, d’un groupe particulier. C’est tout le sens de la fameuse phrase que tout le monde cite du comte de Clermont-Tonnerre prenant position pour l’accession des Juifs à la citoyenneté française : «Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus. Il faut qu’ils ne fassent dans l’État ni un corps politique ni un ordre. Il faut qu’ils soient individuellement citoyens». Nul n’a jamais demandé aux Français de confession juive d’abjurer leur foi, encore moins de renier leur histoire, simplement de ne prendre la parole qu’en leur nom propre et non en tant que représentant d’une communauté ou groupe d’influence constitué exigeant des lois particulières ou des droits différents. C’est exactement ce qui a été aussi exigé des chrétiens et qu’ils ont accepté.
La citoyenneté dit clairement qu’un individu n’a pas à se prévaloir de sa croyance pour s’exonérer de la règle commune. La citoyenneté constitue un monde commun virtuel que crée le dialogue entre des consciences individuelles. De la confrontation de la raison et des émotions naissent des lois conformes à une vision de l’intérêt général qui constituent une culture politique partagée. Ces lois s’appuient sur des valeurs, des principes et des représentations, lesquelles ne sont pas exemptes de références culturelles, philosophiques, religieuses ou historiques, mais elles ne se résument pas aux courants qui les traversent, elles puisent leur légitimité non dans une référence au divin mais dans la confiance dans la capacité créatrice des hommes. Ceux-ci génèrent leurs propres lois et ne les puisent pas dans une vérité révélée ou dévoilée. Ce sont des individus libres et autonomes qui portent ce dialogue fécond. Il n’y a pas de place dans ce processus pour un affrontement entre représentants patentés de cultes. Il ne doit pas y avoir de force constituée autour de l’appartenance religieuse, qui en fonction des rapports de force entre les différentes religions, imposerait un modèle religieux plutôt qu’un autre. Les individus étant alors réduits à être les petits soldats d’une identité collective assiégée par l’existence de modèles concurrents, se réclamant également d’une légitimité divine. Le citoyen ne s’appartiendrait alors plus, ne serait plus un «je» autonome dans sa pensée, mais un des éléments du «nous» religieux, un simple porte-drapeau. Pour autant cela n’interdit pas la foi, en tant que quête spirituelle et démarche individuelle mais celle-ci est avant tout du domaine du privé, du particulier, même si elle garde une influence culturelle.
La multiplicité des religions et des croyances, toutes se référant à une vérité absolue transcendant toute autre forme d’organisation ne saurait mener qu’à l’affrontement civil, d’où la nécessité de distinguer le domaine théologique du domaine politique, de séparer la question du «salut des âmes», de la structuration de la vie commune. C’est cela qui définit le mouvement de sécularisation. Il n’y a pas de refus de la foi en tant que quête personnelle, mais elle reste une affaire privée et en cas de conflit entre ses convictions et la loi, l’individu doit en rabattre sur ses convictions.
Le tollé provoqué par les propos de Maître Gims n’est-il pas la preuve que la France résiste ?
Ce tollé est en tout cas de bon augure et montre que les Français ne sont pas dupes de ce qui se cache derrière ce type d’attaque. Ce qui est réconfortant également est que nombre de Français de confession musulmane ont trouvé ce rappel à l’ordre totalement déplacé et inconvenant. Ils n’ont pas apprécié l’instrumentalisation de leur croyance pour en appeler au repli communautaire. En revanche, si le rappeur s’est permis une telle sortie c’est aussi qu’il sait pouvoir rencontrer des échos dans une partie de son public, cette jeunesse travaillée au corps par l’islamisme et dont les enquêtes nous montrent qu’elle a un rapport de plus en plus politique à sa religion.
Le rap a toujours promu l’obscurantisme, le racisme, le sexisme et l’homophobie. Les Français sont les Européens qui produisent et écoutent le plus de rap : cela en dit long sur l’état réel du sombre endroit où l’on vit.