Façon d’avant-propos
Handicap, jeu anglais datant du XVIIIe siècle, littéralement la main dans le chapeau : plusieurs objets se trouvent dans un chapeau. Le joueur, à l’aveugle, va plonger la main dans le chapeau. Au hasard, il pourra en sortir divers objets : une confiserie, un caillou, un bouton, une livre sterling… La vie, débute par ce jeu de hasard et continue ainsi.
Du chapeau, on peut tirer différentes choses : être noir en Alabama en 1960, être gay pendant les années sida en 1983, être une femme pauvre atterrie à Paris en 1850, contrainte à la prostitution dans les maisons de passe, être un enfant orphelin en 1850, être fils de mineurs en 1830, être tuberculeux dans un sanatorium, être noble juste avant la révolution française et se retrouver sur l’échafaud sans avoir rien fait de mal, être marquis et riche en 1721, être le fils ou la fille du Bill Gates au XXIe siècle, être Teddy Riner, avoir 20 ans en 1914 en France ou en Allemagne, être juif européen en 1942… ce chapeau est extrêmement bien doté d’une infinité d’éléments déterminants pour la vie future ou même pour la mort.
Certes, dans ce déterminisme, il y a quelques exceptions qui s’en sortiront quand même. Mais ce n’est pas à la majorité. La vie débute et se prolonge dans un grand jeu de hasard.
1.Comment des éléments de ma vie personnelle ont pu, avec le temps, influer sur cette réflexion
Ce grand jeu de hasard qui posera les fondations de nos vies respectives.
«Je ne suis pas ce qui m’est arrivé. Je suis ce que je choisis de devenir.»
Carl Gustav Jung
Si je me penche sur ma vie, je sais que mes parents à l’hiver 1961, se sont retrouvés bloqués dans leur road trip à la française durant lequel il vivaient de petits boulots, dans une vieille caravane dans un champ prêté par des cultivateurs de l’Eure, dans l’incapacité de repartir faute d’argent pour payer le plein de la voiture. Ces cultivateurs, inquiets de ne voir plus aucune activité dans cette caravane, sont venus leur rendre visite : les parents étaient en léthargie, des stalactites de glace dans la caravane et rien pour s’alimenter. Les cultivateurs sont venus avec un bol de soupe et un billet de 500 Fr. qui leur a permis de repartir et de continuer à vendre des montres à la sauvette. Plus tard, ils revinrent sur ce lieu douloureux pour rembourser leur dette, façon de remercier les agriculteurs de leur avoir sauvé la vie.
Je suis né trois ans plus tard dans cette famille. Nous sommes quatre dans cette fratrie. Le déterminisme social n’a pas pu agir. L’ainé a créé sa chaîne de télévision locale, moi le cadet je suis devenu cadre supérieur de l’éducation nationale, la cadette est historienne de l’art, le benjamin est artiste contemporain mondialement connu, pas par tout le monde, et a été pensionnaire de la villa Médicis.
Et pourtant, le 2 mai 1978, mon père se donnait la mort. Ma mère, de 36 ans avec ses quatre enfants, quitta le pays de Caux pour installer sa petite famille dans un HLM de la banlieue de Rouen. Elle avait trouvé un travail payé au SMIC. Néanmoins, aussi surprenant que cela paraisse, nous pensions tous les quatre enfants que nous vivions dans le luxe dans ce HLM parce que nous quittions une maison en préfabriqué dans laquelle il n’y avait pas de chambre pour chacun. Quand on est un enfant pauvre, on ne se définit pas ainsi parce que on ne le sait pas, surtout lorsque nous avons des parents aimants qui font tout pour que nous puissions manger à notre faim tous les jours.
C’est dans mon nouveau lycée de Rouen que je me suis rendu compte que j’étais pauvre et rural. Je n’avais plus d’amis, on m’a bien fait remarquer que je n’étais pas dans la mode du lycée, du point de vue vestimentaire et comportemental. La violence sociale vient de ses pairs.
Mon premier jour de lycée, au mois de novembre 1979, ressemble trait pour trait à l’arrivée de Charles Bovary au lycée Corneille de Rouen. Il rassemble tous les éléments de l’humiliation sociale, urbanité contre ruralité, autant de la part des professeurs que de la part des élèves, bien encouragés à le faire. C’est la première fois de ma vie que je me suis senti différent, et c’était simplement lié à ma tenue vestimentaire de pauvre cul terreux.
La toute première fois de ma vie où je me suis senti douloureusement stigmatisé, c’est une semaine après le décès de mon père lorsque je revins au collège. J’étais en quatrième, jusqu’à cette date, on m’appelait par mon nom de famille, Terrier. Le 9 mai 1978, il m’a été retiré le nom de mon père pour m’appeler par mon prénom. Les professeurs, certainement à la suite d’une consigne donnée par la direction pour m’accueillir après ce très douloureux drame, ont voulu, à leur manière, faire preuve de bienveillance.
Sans m’en apercevoir sur le moment, c’est beaucoup plus tard que je prends conscience de cela, et Philippe va me le faire remarquer : la société va me déposséder du nom de mon père défunt. Peut-être de peur que je ne l’avais pas réalisé. Dans cette situation de bienveillance morbide, chacun des participants a voulu faire le bien, a voulu me protéger. Cependant, un enfant de 14 ans ne veut pas se sentir stigmatisé, singularisé, renommé et, finalement être définitivement, marqué du sceau de l’orphelin.
À l’époque, l’éducation nationale n’avait jamais réfléchi à la façon dont on pouvait accueillir un enfant frappé de deuil. Aujourd’hui que je suis personnel de direction en Collège, je sais que nous avons des procédures et, peut -être un peu de tact…
Le mois de juin suivant, notre merveilleux curé de la paroisse du village nous emmena comme tous les ans à Paris. Le programme c’était l’Athénée Louis Jouvet, le Roi Lear interprété par Jean Marais. Cependant, un épisode irréprochable parce que rempli de bienveillance et de protection, vint ternir cette merveilleuse journée. Le programme de l’après-midi était le cirque Gruss, inédit cirque à l’ancienne. Lorsque l’on annonça le numéro de trapèze sans filet, l’adorable Abbé David vint me chercher doucement prétextant qu’il avait quelque chose à me dire. Il m’emmena sur la place Beaubourg, puis, un peu embarrassé, il me déclara qu’il ne pouvait me laisser assister à cette partie du spectacle, si dangereuse. Un ado de 14 ans n’attend que les trapézistes, au cirque. Et pourtant, je n’en ai jamais voulu au Père David. Lui aussi, il a fait ce qu’il pensait devoir faire en ces circonstances. 40 ans plus tard, je suis convaincu qu’il a dû passer la nuit précédente à y réfléchir, dans une grande discussion avec Dieu. Ce qui me reste de cette journée c’est d’avoir eu la chance, petit enfant pauvre d’un village du pays de Caux, d’avoir pu assister, dans un magnifique théâtre à une pièce exceptionnelle interprétée par le vieillissant Jean Marais. Merci Père David.
Un des problèmes de ce que je nomme la bienveillance morbide, c’est que on ne peut jamais se révolter et ne jamais en vouloir aux gens qui la pratiquent. Leur seul objectif c’est de vous protéger du monde et de vous-même. Cependant, ils vous empêchent, vous stigmatisent, vous protègent de ce qui LEUR fait peur, limitent vos propres facultés de résilience, installent un plafond de verre au-dessus de votre tête et un filet de protection autour de vous. Si vous, vous décidez d’entrer dans leur démarche, vous intégrerez vous même ces différentes protections : estampillé, nommé, et défini comme orphelin, handicapé, pauvre,, élève à besoin particulier (sic), racisé (on est tous racisés…), maltraités…. Que sais-je encore ? On ne se définit pas par la situation dans laquelle on est, pérenne ou provisoire, si on le fait, cela induit un déterminisme d’autolimitation. Si on se considère en situation de, qu’on ne confond pas la situation et l’essence de notre individu, on peut peut-être s’en sortir. La bienveillance morbide, elle peut être appliquée par les autres, induire chez nous des sentiments identiques, d’auto limitation, d’empêchement de faire, de limitation de l’ambition, et donc un déterminisme mortifère.
Autre exemple très concret, aucun élément de votre dossier MDPH ne vous invite ou invite les médecins à indiquer ce que vous pouvez faire…
À ce moment de mon explication, je rejoins totalement Philippe lorsqu’il nous parle de nommer. Être nommé, c’est l’essence même de l’individu. Se faire appeler Monsieur quand on est transgenre, se faire appeler Black quand on est tout simplement de peau noire, se faire nommer israélite lorsqu’on est juif, se faire nommer handicapé lorsque on est simplement dans la situation de handicap, se faire nommer par la couleur de ses cheveux, par son embonpoint, par sa beauté….
Pour finir et pour à nouveau illustrer cette notion de bienveillance morbide, je raconte une dernière anecdote. Enseignant chargé de mission et handicapé, j’étais incapable de revenir devant élèves. En 2011 le président de la république de l’époque a déclaré que les enseignants qui n’étaient pas devant élèves devaient reprendre une classe. Pour moi, c’était juste impossible, je m’en suis ouvert à l’inspectrice d’académie. Celle-ci m’a conseillé de passer le concours de personnels de direction du second degré, grande marche lorsque l’on est enseignant du premier degré. Lorsque que je fus admissible, à ma grande surprise, à ce concours prestigieux et complexe, l’inspectrice avec laquelle je travaillais au quotidien, me déclara à l’heure du café : «Frédéric, vous vous rendez compte de l’investissement et du travail d’un personnel de direction ?» Dans ma tête, je continuai sa phrase : « n’oublie pas, petit chose que tu es malade et handicapé et que cela n’est pas pour toi »
La grande ironie dans cette Histoire est que cette inspectrice, pour le coup un peu jalouse de cette réussite virtuelle, ignore tout de l’entretien que j’ai eu avec sa supérieure qui, elle, croit en moi et explose le plafond de verre.
2. La place inattendue de la bienveillance morbide dans des politiques nationales ayant pour objectif de limiter les inégalités, les fractures et le déterminisme.
Dans la seconde moitié du XXème siècle, des gouvernements occidentaux, conscients de la segmentation de leurs sociétés, de leur morcellement progressif et naturel, des inégalités induites par ces phénomènes, ont tenté, chacun à leur manière, de contrôler, limiter les inégalités et le déterminisme générés. Cela se fit dans une louable et nécessaire volonté de cohésion sociale, de prévention des fractures potentiellement dangereuses. Malheureusement, et de façon imprévisible parce que souvent les études d’impact n’avaient pas été réalisées, les effets pervers et contreproductifs fleurirent sur la durée.
a. L’exemple du Royaume-Uni
Dans les années 90, j’ai emmené ma classe de CM2 dans la belle ville de Leicester. Nous fûmes reçus dans une école élémentaire publique. Mes correspondants professeurs britanniques m’ont accueilli en me faisant visiter leur belle cité. Ce qui m’a beaucoup interpellé lors de cette découverte de la ville, c’est que pour chaque quartier, on m’indiquait d’une part le niveau social de la population majoritaire, et d’autre part, son peuplement ethnique. Certains quartiers étaient ouvriers et anglicans, d’autres CSP+ et anglicans. Cela n’est pas surprenant, toutes les villes sont constituées de quartiers populaires et de quartiers bourgeois depuis la nuit des temps. En revanche, ma surprise fut grande lorsque nous arrivâmes dans les quartiers populaires que l’on dirait maintenant « racisés », peuplés par les natifs du feu empire colonial britannique : certains quartiers étaient peuplés très majoritairement par les indiens, d’autres par les pakistanais, les sikhs…. Tous avec leurs lieux de culte, leurs commerces… il s’agit d’un phénomène que l’on commence à observer en France à notre époque, de façon moins imperméable certes, mais ce mouvement de juxtaposition/séparation des groupes ethniques et religieux était une observation totalement inédite pour moi. Il ne s’agissait pas de ce que l’on nomme aujourd’hui ghettoïsation, parce que cela semblait consenti par les populations concernées et surtout pas imposé par une quelconque politique municipale.
Nous arrivâmes à l’école élémentaire, nous entamâmes la journée d’école par ce que les britanniques nomment Assembly : Celle-ci existe dans toutes les écoles publiques : les élèves et les professeurs se réunissent avant les cours dans une grande salle dans laquelle il chantent, lisent des textes. Ces chants et ces textes sont religieux et se veulent œcuméniques. Très surprenant pour un enseignant de l’école publique et laïque française. Néanmoins, ce qui suscita mon étonnement encore plus élevé et, plus tard, mon questionnement aux collègues britanniques, fut de constater que la majorité des chants étaient d’influence chrétienne chantés par des enfants certains portant le hijab, le foulard écarlate des sikhs, les tenues indiennes, peu de petits chrétiens dans cette école de quartier populaire.
Lorsque, plus tard, je discutais de cela avec mes enseignants correspondants anglais, ils m’expliquèrent : toute école élémentaire décide en conseil d’administration de la religion majoritaire qui sera prédominante dans cette Assembly oecuménique. Dans une école à majorité anglicane, avec des anglais pur souche, c’est toujours la religion chrétienne qui est choisie comme religion majoritaire. Le choix de la religion majoritaire, c’est dans le cadre d’une loi qui permet de mieux respecter la composition religieuse d’une école. Donc, dans l’esprit de cette loi, il est attendu qu’une école à majorité musulmane, par exemple, opterait pour l’Islam. Ce n’est surtout pas le cas dans la pratique : Les conseils d’administration des écoles « ethnicisées » optent presque toujours pour la religion chrétienne de peur de faire fuir les quelques élèves anglicans de leur secteur et de stigmatiser l’école en lui attribuant une religion d’outre mer.
Dans ce cas précis, le législateur a tout fait, de bonne foi, pour permettre aux enfants de baigner dans leur propre religion lors de l’Assembly et c’est exactement l’inverse qui se produit.
Au final, ce n’est le cas que pour les petits anglicans qui fréquentent une école majoritairement anglicane. Le législateur a eu la bienveillance de respecter chacun dans ses pratiques religieuses, cela n’a eu pour effet que de renforcer la situation antérieure, totalement absurde et délétère.
Toujours effectuer une étude d’impact lorsqu’est construite une politique volontariste et bienveillante pour respecter chacun sans le stigmatiser. Les effets pervers, paradoxaux et contre-productifs attendent derrière la porte pour rendre négative la mesure qui se voulait extrêmement positive
b. L’égalité des chances à la mode française, la Française des Jeux ?
1981, Création des « Zones Prioritaires » par le ministre Alain Savary, rapidement renommées Zones d’Education Prioritaires. Les socialistes, fraîchement arrivés au pouvoir, ont une grande conscience des très importantes inégalités éducatives, entre les territoires et en fonction des origines sociales des élèves. Ils déclarent, et c’est très louable, de vouloir « donner plus à ceux qui ont le moins » en augmentant les moyens éducatifs sur les territoires les plus en difficulté. Il s’agit d’une politique inédite et très volontariste, de gros moyens seront débloqués, dans une démarche de discrimination positive, nouvel oxymore. En revanche, comment évaluer, situer sur le territoire national, les points de fragilité et d’inégalité éducative ? On sait qu’elles existent, mais où et sur quels critères ? A cette époque, mis à part les résultats du bac par lycée (donc pas vraiment concernés parce que c’est à l’école et au collège que se cimente l’échec scolaire), il n’y a pas de statistiques nationales sur le plan éducatif, cela a beaucoup changé depuis. L’INSEE cherche. Il n’est en mesure de produire au cabinet de M. Savary que la carte de l’immigration en France. Patatras ! Première erreur, on associera définitivement la ZEP et le couscous, malgré de gros efforts pour y remédier par la suite. De plus, on oubliera longtemps la ruralité en difficulté… Intéressons-nous maintenant à la terminologie, les mots ont un sens.
ZONE D’EDUCATION PRIORITAIRE
ZONE : désolé, c’est moche… c’est au départ un terme assez militaire, ou géographique (zone marécageuse), le langage populaire dit « C’est la zone ». Durant les décennies qui suivront, on essaiera de remplacer ce terme (réseau, les ZEP deviendront Réseaux de Réussite Scolaire, ah bon, ce n’est pas le coeur de métier de l’Education Nationale, la réussite scolaire ? On va même convoquer les mots Ambition, Réussite, Excellence… On sur-investit le vocabulaire positif à chaque fois que l’on constate que, hein, bon, en fait, cette politique ne donne pas les résultats attendus. Parmi les satellites de l’éducation prioritaire, il y eut « Les cordées de la réussite », les internats d’excellence (sic), c’étaient des internats dans lesquels on intégrait les élèves qui présentaient le moins de chance de réussir leur scolarité, et le meilleur pour la fin, le triomphant acronyme bonapartiste : ARCOL, Aider à la Réussite au Collège et au Lycée.
C’est bien le mot ZONE et l’acronyme ZEP qui ont fait fuir des cohortes d’enfants des classes moyennes, y laissant entre eux les gosses qui n’avaient pas d’autres choix…
EDUCATION : c’est bien, c’est justement le mot qui avait été oublié dans la première version du texte, oups.
PRIORITAIRE : pour vous rassurer, je ne ferai pas référence à l’ambulance et aux pompiers, trop facile. En revanche, une question me taraude, qu’est-ce qui est prioritaire, la zone ou l’éducation ? Au pluriel, on doit écrire des Zones d’Education Prioritaires ou Prioritaire ? Sur quoi la priorité porte-t-elle ?
Et pourtant la politique publique de l’éducation prioritaire, novatrice et inédite, a été volontariste et massive. Son objectif était humaniste et républicain, rétablir l’égalité des chances. Dès le début, elle a permis l’innovation et les partenariats avec le monde extérieur. C’est une politique très ambitieuse. Elle a permis des parcours d’excellence à beaucoup d’élèves même si, en moyenne, les résultats sont restés médiocres à cause de l’aggravation de la carence de la mixité sociale. Néanmoins, elle a contribué à la ghettoïsation scolaire, à cause de la dérogation à la carte scolaire de pans entiers d’enfants des classes moyennes. D’autre part, elle n’a jamais réussi à attirer beaucoup de professeurs expérimentés. Une équipe pédagogique fonctionne mieux quand elle est représentative de plusieurs générations. Paradoxe, malgré les moyens conséquents alloués en ZEP, un collège de ZEP a une masse salariale inférieure à un collège de centre ville, c’est dû à la différence d’ancienneté du personnel…
Hypothétique conclusion provisoire
Doit-on parler de bienveillance morbide collective, de légèreté dans les analyses des conséquences d’une belle politique (sur le papier et dans l’esprit) ou d’un relatif enfer pavé de très bonnes intentions ?
c. La parité et les quotas
Lorsqu’il n’était plus humainement et socialement supportable de constater que les représentantes de la moitié de l’humanité étaient interdites, de fait, de représenter le peuple dans les instances prévues à cet effet par la Constitution, il a été décidé des mesures contraignantes pour les partis politiques qui, visiblement, étaient restés au XIXème siècle sur ce sujet. Je pense que c’était nécessaire, en tant qu’étape provisoire.
En revanche, que dire ? Que dire du sentiment d’une citoyenne élue, non pas pour ses talents, mais à la faveur de son genre ? Que dire de sa légitimité ? Comment fait-elle pour ne pas cultiver un sentiment d’imposture ? Comment est-elle appréhendée par ses mâles collègues ? Par les électeurs ?
Je me souviens de cette amie, fraichement élue sénatrice à la faveur de la première élection sénatoriale de la parité. Lorsque je la félicitais, elle me répondit avec un sourire gêné : « Vous savez, je n’ai pas vraiment était élue, c’est la parité qui m’a nommée. » Rassurons-nous, elle sera maintes fois réélue, sur ces propres valeurs, elle est devenue présidente de commission au Sénat. Cette femme passa brillamment cette étape, la loi sur la parité fit voler en éclat son plafond de verre, mais combien d’autres éphémères élues qui ne poursuivirent pas leur carrière contrairement à la plupart des hommes, même médiocres parlementaires ? (J’ai des noms…)
D’autre part, à ma connaissance, nous sommes encore loin d’une femme présidente de la république, nous n’avons plus eu de 1ère ministre depuis Edith Cresson, qui a vécu à ce poste une misogynie sans vergogne, il y a des progrès, certes, mais les femmes ministres sont rarement nommées à des postes régaliens.
La parité actuelle, n’est-ce pas une poudre aux yeux bienveillante mais morbide ?
Aussi, il y a les quotas.
Par exemple, le législateur constatant la dramatique inemployabilité des adultes en situation de handicap promulgua la RQTH accompagnée d’amendes pour les entreprises ne respectant pas les quotas. Cela est une vraie fausse contrainte, beaucoup d’entreprises préfèrent payer les amendes… L’état employeur lui, se soustrayant aisément des contraintes que l’état législateur impose, mais cela est une autre histoire.
C’est une bonne initiative, néanmoins. Nécessaire et à rendre plus efficace.
En revanche, c’est gratifiant d’être recruté à la suite d’un entretien durant lequel on a mis en valeur ses talents et compétences. Ça l’est moins quand c’est sur le critère du handicap. C’est même blessant. ` J’ai recruté des AVS sur ce critère imposé parmi d’autres critères de vulnérabilité sociale… pour accompagner des élèves…eux mêmes en situation de handicap. Merci Kafka.
Moi même, handicap supérieur à 80%, j’ai fait jouer la RQTH et l’obligation d’emploi des fonctionnaires après 4 ans de réflexion pour faire mon coming-out professionnel, de peur que ça nuise à ma carrière. Cela n’a jamais été utile, affectations de personnel de direction en collèges peu accessibles. Là, il n’y a eu aucune bienveillance, même morbide… juste, j’étais définitivement invirable, cela m’a permis de passer mes heures de travail à réfléchir sur ce vaste monde qui poursuit sa course folle…
La vraie et réelle inclusion, dénuée de bienveillance morbide ou de jambes de bois, a encore des marges de progression.
© Frédéric Terrier
Frédéric Terrier écrit pour le labo du Centre Interdisciplinaire de l’Enfance fondé par Judith Lacan
Je remercie la tribune juive de m’avoir publié. C’est mon premier texte sous copyright, ça se fête ?
Toujours est-il que c’est un grand honneur de votre part.
https://medium.com/@terrier.frederic
C’est nous qui sommes honorés. Oui « ça se fête » ( Sourire- )
Un peu Gascon, un peu ashkénaze par mes ancêtres, on a le droit de dire « gashkénaze »
Voici ce que j’ai écrit hier dans un autre texte pour le labo du CIEN :
« Symboliquement, je me représente un côté Gascon, et un côté ashkénaze, ces deux éléments sont dans mon arbre généalogique de façon omnipotente et peut être idéalisée.
Cela ne signifie pas que je sois emprisonné dans l’une ou dans l’autre de ces identités.
Pour simplifier, et sans vouloir faire de tort à personne, le Gascon, lorsqu’il est en colère, il gueule, et au pire, il casse la gueule. L’ashkénaze lui a toujours un bon mot pour neutraliser ce qui l’a fait souffrir. Cela dit, c’est tout sauf scientifique, vous trouverez toujours un ashkénaze pour casser la gueule et un Gascon pour avoir le sens de la répartie en situation complexe.
Dans une vision caricaturale aussi, le Gascon a un ego hypertrophié et l’askhénaze se contente de son sentiment d’imposture, même pas certain d’être digne d’exister.
`
Nous avons convenu avec Philippe, notamment en fonction de ce que j’avais décrit, que j’étais un peu un mix des deux. Lorsque l’on m’agresse, n’ayant ni les moyens ni la volonté de péter la gueule, j’ai toujours utilisé la parole au sens figuré en situation d’ agression plus ou moins grave comme un petit Scud irréprochable, quelles que soient les circonstances. Je l’ai même fait, avec un ancien président de la métropole alors que j’étais sur mon versant professionnel. Symboliquement, est réellement, je lui ai pété la gueule avec humour, respect, il a un peu fait la gueule en l’occurrence. Mais c’est lui qui avait commencé.`
J’ai, ancré, ce sentiment d’imposture et je prends de la place comme César (Yves Montand) »