Richard Prasquier. Signification de Rachi dans la France d’aujourd’hui

Intervention 17 octobre 2021. Maison de Rachi à Troyes

Ce lieu est magnifique. L’architecte a effectué un travail extraordinaire et vous- mêmes en avez avez fait  un centre d’une grande qualité didactique.
Avant de venir, j’ai consulté les sites internet de la Ville de Troyes, dont celui de Monsieur Schweitzer, qui signale les Aubois célèbres. 
Rachi y figure avec une définition un peu surprenante : le plus célèbre des juifs. 

Ce n’est peut-être pas faux. Ce n’est pas à moi, ancien président du CRIF et juif laïc, de dire toute l’importance de Rachi dans la tradition juive, surtout en présence du Grand Rabbin de France.

Mais dans mon enfance, le vendredi soir chez le Rabbin Rubinstein de la  rue Pavée à Paris, qui avait épousé ma grand-mère, bien des fois j’ai entendu ces mots en yiddish « Rachi hot guizougt » (Rachi a dit….).

Aucun autre nom de l’histoire juive n’était rappelé aussi souvent. Je ne savais pas alors quand vivait Rachi, et encore moins qu’il était français.
C’est en 1475 que le premier livre avec des caractères hébraïques fut imprimé; ce n’était pas la Bible, c’étai le commentaire du Pentateuque par Rachi.
Quelques années plus tard, c’est le  Talmud qui fut édité, de la façon dont il l’est encore aujourd’hui, c’est-à-dire avec le commentaire de Rachi d’un côté et le commentaire des Tosafistes, autrement dit  ses petits-fils, de l’autre.

Car Rachi, c’est également l’une des plus extraordinaires familles du judaïsme.

Mais Rachi, c’est aussi une figure significative pour la France tout entière.
C’est d’abord un  personnage très important de l’histoire du français. Les gloses en dialecte champenois du 11e siècle dont il a émaillé ses commentaires sont un trésor sans équivalent dans notre corpus linguistique.

Cette mine d’or nous permet de retrouver plusieurs milliers d’expressions. Quand il y avait un mot difficile dans le texte de la Bible ou dans le texte du Talmud, Rachi précisait la traduction de la signification du mot en langage commun, c’est-à-dire dans le dialecte champenois, transcrit bien entendu en lettres hébraïques. Cela nous permet de connaître non seulement le mot, mais aussi sa prononciation exacte.

Il y a plus. Nous savons  la gravité des manifestations populaires et la fréquence des mesures contre les Juifs au cours du Moyen Age.  Mais il faut éviter de se complaire dans ce que l’historien américain Salo Baron a appelé l’histoire larmoyante. A l’égard des Juifs, il y a toujours eu des raptus antisémites, parfois malheureusement  prolongés. Nous sommes actuellement dans une période de raptus, ce n’est pas le sujet de ce colloque mais il est bon de se rappeler qu’il y a eu aussi des périodes et des lieux plus paisibles. 

La période où Rachi a travaillé, entre 1065 à 1105, a été relativement calme pour les Juifs. Ils étaient acceptés dans la cité. Rachi, chacun le sait, était un vigneron. Il était en contact la population non juive, comme on le montre d’ailleurs très bien dans les visuels présentés dans cette maison.
Il a étudié dans les grandes villes du Judaïsme de la vallée rhénane, à Mayence et Worms. Ce sont les villes où ont été transportés les premiers rouleaux du Talmud en provenance d’Italie, ces villes où a commencé le judaïsme ashkénaze, et où ont eu lieu les terribles  massacres de Juifs au cours de la première croisade. Mais il n’y a pas eu de persécutions contre les Juifs dans la région champenoise et notamment dans la région de Troyes à cette époque qui correspondait aux dernières années de Rachi.
Au 12e siècle, les descendants de Rachi notamment son célèbre petit-fils Rabenou Tam,  ont vécu, en dehors d’un épisode isolé, dans une Champagne où les Comtes exerçaient un contrôle et empêchaient les manifestations anti- juives.
Rabenou Tam est mort l’année où le frère du Comte de Champagne, lui-même Comte de Blois, avait pour des raisons purement financières envoyé sur le bûcher une trentaine de personnes de la communauté juive dans sa ville de Blois. 
Le Comte de Champagne fut choqué par ce crime, et on  dit que Rabenou Tam en est mort  de tristesse.
Cette aménité de la Champagne se retrouve aussi chez une autre personnalité qui a marqué sa région et son époque, un grand personnage du christianisme : Bernard de Clairvaux. C’est grâce à lui que la deuxième croisade n’a pas entrainé les débordements et les meurtres de Juifs qui ont eu lieu au cours de la première.Beaucoup de juifs portent aujourd’hui en souvenir le nom de Bernard. Bernard de Clairvaux n’était  pas particulièrement favorable au judaisme mais il a su protéger les Juifs grâce à sa parole de feu.

Je pense que la promotion de la figure de Rachi dans le pays séculier qu’est la France doit se fonder sur la tolérance religieuse qui a existé en Champagne à cette époque.
De plus, il faut rappeler  que Rachi est allé de Troyes jusqu’à la vallée rhénane pour étudier dans cette région où ont eu lieu les foires, ces foires où les Juifs étaient des maillons indispensables pour les transactions commerciales.
La Champagne a joué un rôle central dans le monde de transfert et d’échange qui commençait à se développer à cette époque. C’était un monde de passage et Rachi, le grand passeur du judaisme, mais aussi grand passeur de la langue française, en est un beau symbole.

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