Deux enquêteurs de la DGSI sont venus à la barre. Le premier pour expliquer le fonctionnement de la cellule de l’État Islamique dédiées aux opérations extérieures et détailler les parcours en Syrie d’Oussama Atar et Osama Krayem. La seconde pour évoquer le parcours syrien d’Abdelhamid Abaaoud, membre du commando des terrasses.
Une sorte de Ministère des Affaires étrangères terroriste
Plusieurs exposés et témoignages entendus jusqu’à présent ont révélé la volonté de l’État islamique de se structurer comme un véritable État, quand bien même il ne jouissait d’aucune reconnaissance internationale de souveraineté. C’est l’un des points cruciaux qui ressort du premier exposé entendu par la cour aujourd’hui, consacré à la cellule de l’EI en charge de planifier et de valider les attentats à l’étranger, une sorte de Ministère des Affaires étrangères terroriste, et dont les attentats du 13 novembre constituent « l’un des exemples les plus aboutis », selon l’enquêteur.
Deux structures jouent un rôle central à cet égard : la Liwa As Saddiq, un bataillon de combattants « d’élite », responsable notamment des exécutions d’otages étrangers, auquel est rattachée la cellule des opérations extérieures (COPEX). Ces deux structures ont été créés par Al-Adnani, par ailleurs porte-parole de l’État Islamique. La COPEX, divisée en bureaux régionaux, était chargée de recruter des combattants pour mener des « opérations extérieures » (en d’autres termes, les attentats à l’étranger), de former les « opérationnels » recrutés, leur fournir un appui logistique et coordonner leur mission. Si une grande liberté est laissée aux « opérationnels » qui choisissent la cible de l’attentat, le mode opératoire et la date, ce sont bien les « cadres supérieurs » de l’État Islamique qui décident quel pays frapper (un comité délégué spécifique évaluait l’intérêt stratégique à viser tel ou tel pays). « Quand les opérationnels quittent la Syrie, il est peu probable qu’ils savent qu’ils vont frapper à Paris et Saint-Denis le 13 novembre, une latitude est laissée aux opérationnels. Ils proposent leur plan au COPEX qui la valide ou pas. » Dans le cas des attentats du 13 novembre, la DGSI n’a pas pu récolter d’informations au sujet du projet initial validé par les dirigeants de l’EI.
En revanche, un nom bien connu du dossier des attentats de novembre 2015 fait son apparition à ce niveau dans la chaîne de commandement : Oussama Atar, visé par un mandat d’arrêt (il sera jugé par la cour d’assises), mais présumé mort en novembre 2017. Les informations obtenues par la DGSI confirment son rôle de commanditaire et d’organisateur des attentats du 13 novembre, étant à la tête de la COPEX. Ce « vétéran » du djihad (il s’est rendu en Irak en 2003, où il a été fait prisonnier par les forces américaines) est arrivé en Syrie à la fin de l’année 2013 et se voit d’emblée confier des fonctions importantes – plusieurs anciens otages ont rapporté qu’il était le supérieur hiérarchique des geôliers de l’hôpital ophtalmologique d’Alep. L’enquête fait ressortir qu’entre 2014 et 2017, c’est « un cadre de premier plan de l’EI, l’un des ressortissants européens avec les fonctions les élevées ». En tant que chef de la COPEX, il a donc participé à la validation des attentats et aurait aussi participé au choix des hommes à envoyer en Europe.
Dans un second temps, l’enquêteur de la DGSI, qui depuis le début de son témoignage s’exprime anonymement derrière un écran blanc (on distingue tout juste la silhouette d’une ombre), développe le parcours d’Osama Krayem au sein de l’État Islamique, parcours reconstitué en partie grâce au compte Facebook qu’il utilisait pour communiquer avec certains membres de sa famille. L’enquêteur a également fait projeter un extrait d’une vidéo de propagande tristement célèbre où figure Osama Krayem, celle mettant en scène l’exécution d’un pilote de chasse jordanien, brûlé vif dans une cage.
Après 18 heures, une enquêtrice de la DGSI, elle aussi anonyme et apparaissant derrière un écran qui cache son visage, va présenter le second parcours syrien d’Abdelhamid Abaaoud, qui arrive « sur zone » fin janvier 2014. L’année 2014 consacre sa « montée en puissance » au sein des rangs de l’organisation terroriste. D’abord comme membre de la katibat Al Muhajirin dont le chef n’est autre que Tyler Vilus. Samy Amimour et Ismaël Mostefai sont aussi dans cet escadron, qui comporte donc un certain nombre de francophones. Ces derniers vont rapidement acquérir une réputation de combattants extrêmement violents et cruels. Pour donner une idée très concrète de cette extrême violence, l’enquêtrice a projeté une vidéo déjà mentionnée à plusieurs reprises au cours du procès, celle dans laquelle Abaaoud, au volant d’un pick-up, traîne huit cadavres dans un champ, en direction d’un charnier. La vidéo est glaçante. La bande son ne l’est pas moins. On y entend distinctement les rires et les plaisanteries des camarades d’Abaaoud. Celui qui tient la caméra dit, hilare : « Maintenant, on tracte les ennemis de l’islam.«
L’année 2015 voit Abaaoud rentrer en Europe pour endosser le rôle de recruteur et de formateur des « opérationnels » que Daech souhaite envoyer en Europe pour commettre des attentats. Dans le même temps, il est consacré par les médias de l’EI comme une figure de premier plan ; selon Mohamed Abrini, Abaaoud est monté en grade, au point de devenir « émir » de l’EI. Avant de participer aux attentats de Paris, il sera notamment le commanditaire de l’attentat raté du Thalys. Il avait également demandé à Reda Ham, condamné à douze ans de réclusion criminelle en février 2020, de commettre un attentat sur le sol français, lui donnant comme exemple de cible un concert de rock.
© Corentin Rouge et Xavier Thomann
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