Jean Mizrahi. Mes textes très critiques sur l’Etat du Pays expriment mon immense déception, mon exaspération

Jean Mizrahi

On me fait souvent le reproche (mes fils aînés me l’ont fait à leur façon, qui est loin d’être complaisante – les enfants peuvent être durs avec leurs parents) de ne publier trop souvent que des posts très critiques.

Je l’avoue, c’est tout à fait vrai, et je vais essayer de m’en expliquer, j’espère le moins maladroitement possible.

Je suis français, j’aime mon pays même si les français m’énervent par les mauvaises habitudes qu’ils ont prises.

Mon père était un « immigré », juif iranien né au Caire d’une mère juive hispano-gréco-turque d’Izmir et d’un père juif irano-syrien venu de Teheran via le Liban. La France l’a accueilli et est devenue son pays, comme pour ses deux frères et sa soeur, qui ont tous fait leur vie ici – un de mes oncles est devenu l’un des grands économistes français de la santé ; ma grand-mère les a rejoint après le décès de mon grand-père paternel, mort un an à peine après avoir été expulsé d’Egypte, parce que Juif.

Ma mère est française, non juive et athée, son père est mort pour la France comme dirigeant d’un réseau de résistance communiste, fusillé au stand de Balard le 6 février 1943, elle m’a éduqué dans une forme de culte de ce héros familial. Sa mère adoptive, ma grand-mère que j’ai heureusement connue, était une femme d’une trempe particulière mais revenue handicapée des camps ; née à Montevidéo et de nationalité anglaise, passée après son arrestation en 1942 par la Santé, puis plusieurs prisons allemandes dont celle de Lübeck, puis les camps de Ravensbruck et enfin Mauthausen. Revenue par miracle après avoir survécu à une tuberculose péritonéale puis à la dysenterie grâce à ses compagnes de camp, elle a écrit quelques feuillets sur son périple que je relis dès que la vie devient un peu moins douce, pour réaliser à quel point nos petits malheurs ne sont rien par rapport à ce que certains dans cette génération ont connu.

Je suis français et j’aime mon pays même si souvent l’envie me prend de partir tant le bazar qui y règne m’exaspère, car c’est le mot: exaspération.

Je suis issu du système éducatif public français qui a constitué un véritable « ascenseur social » pendant longtemps, ce qui n’est malheureusement plus le cas aujourd’hui. Cet ascenseur nous a conduits, mon frère et moi, jusqu’à l’Ecole Polytechnique, je suis devenu ensuite ingénieur des Ponts et Chaussées, et fonctionnaire. Haut fonctionnaire aux Ministères de l’Industrie et de l’Economie.

J’ai passé deux ans dans un cabinet ministériel de couleur vaguement socialiste sous le gouvernement Rocard, et j’ai vu le fonctionnement du sommet de l’Etat, cela m’a instruit sur le désastre qu’est notre Etat moderne alors que j’avais une vision idéalisée de son service.

J’ai lancé quelques initiatives, j’ai fait quelques conneries comme tout jeune haut fonctionnaire qui n’a aucune expérience, et réussi deux ou trois choses dont je ne parlerai pas mais dont je suis fier.

J’ai quitté le service de l’Etat en payant ce que je lui devais pour mon instruction – et ce n’était pas donné, quand j’ai réalisé que ma conception du temps n’était pas celles des politiciens et des bureaucrates: j’aime aller vite, je suis impétueux, j’aime bâtir, ils voulaient que rien ne change, ou alors pas trop vite et pas trop fort, il faut penser à sa réélection ou à sa carrière.

Certains penseront que j’ai quitté l’Etat pour gagner de l’argent, mais ce n’était pas le cas, l’argent n’était pas mon but même si j’ai été très content d’en gagner – qui ne le serait pas.

J’ai donc fait ensuite mon parcours dans le secteur privé, j’ai eu plusieurs vies professionnelles puis j’ai créé plusieurs entreprises, avec des échecs et des succès, et à nouveau des échecs et maintenant je pense du succès. J’ai commis de graves erreurs et réalisé aussi quelques coups de maître, j’ai eu du nez et je me suis aveuglé.

Je me suis efforcé de tenir la barre dans un univers qui est sévère, celui de la concurrence. J’ai sauvé deux cinémas à Marseille qui est devenue ma ville. Je peux vous le dire d’expérience: l’Entreprise, c’est autre chose que la vie dans le secteur public. J’y ai croisé des tas de gens qui ont en partie fait ce que je suis devenu, à commencer par tous ceux qui m’ont fait l’honneur de travailler avec moi, et ceux qui le font encore aujourd’hui tant en France qu’ailleurs un peu partout en Europe et au-delà. Ils m’ont beaucoup appris sur le monde, sur les êtres humains, sur les relations sociales, sur la réalité profonde du « terrain ». Et sur moi-même…

Tout ce qui manque à nos politiciens, qui pour la grande majorité ont tété la mamelle étatique d’une façon ou d’une autre toute leur vie, parfois par partis politiques interposés, et ne connaissent absolument rien de ce qui sort de nos frontières, hormis ce qui se passe à Bruxelles.

Singapour: de vrais « technocrates : » des gens issus de la technique, et non du discours

J’ai travaillé un an en Amérique centrale où les Etats sont rongés par la corruption, et quatre ans à Singapour, certes un petit pays de seulement 4,5 millions de personnes à l’époque, mais parti de rien et devenu riche en 30 ans, et dont j’ai vu à quel point l’Etat y était géré avec rigueur. J’ai eu la chance de rencontrer à deux reprises Lee Kuan Yew déjà vieilli mais encore percutant, autre chose que nos dirigeants sans courage et sans vision. Singapour n’est peut-être pas un modèle au plan politique, mais la gestion de ses services publics est certainement un modèle. Il y a là-bas de vrais « technocrates » , comme dans d’autres pays asiatiques: des gens issus de la technique, et non du discours.

La tare française, c’est le discours avant les actes

Le problème de notre pays, c’est le discours, nous choisissons des représentants parce qu’ils ont un discours bien construit, convaincant, et nous formons des fonctionnaires principalement rompus au discours et à la note de synthèse. Le discours avant les actes, c’est la tare de ce pays, et c’est ce que j’ai vu au sein même de l’Etat. Pas de surprise que nos politiciens soient des avocats ou des énarques passés par le « Grand O », ou même des journaleux ou des commentateurs. Les français sont hypnotisés par le discours. C’est ce qui permet à notre président actuel de se maintenir et d’espérer une réélection: beau parleur bien que mauvais chef d’Etat.

Des politiques obnubilés par la communication, l’image, le positionnement dans le marigot, j’étais intéressé par l’action et les résultats

Tout ça pour expliquer ce qui me conduit à être si critique. J’ai vu l’Etat de notre pays de près. J’ai vu de près des professionnels de la politique, dont certains sont célèbres et même ont connu les plus hautes fonctions. J’ai compris que ma rationalité n’était pas la leur. Ils étaient obnubilés par la communication, l’image, le positionnement dans le marigot, j’étais intéressé par l’action et par les résultats.

J’ai vu fonctionner cette pseudo élite : ils jouent à la politique, ils courent les dîners, ils jouent à des petites guéguerres d’égo loin de tout intérêt national. J’ai vu que les tactiques de positionnement individuel prenaient le plus souvent le pas sur l’intérêt collectif, le bien du pays.

Et c’est ce que je vois aujourd’hui, et qui me met en rage, car j’ai gardé ma capacité juvénile de m’enflammer pour des idées que je crois justes. Donc oui je critique, seul dans mon coin parce que mes fonctions ne me donnent pas le temps de faire plus : de même qu’un femme enceinte n’est pas « à moitié enceinte », un chef d’entreprise ne peut pas être à moitié chef d’entreprise, sauf à faire de grosses bêtises ; j’en ai fait assez pour ne pas recommencer.

Oui je suis en colère car j’ai de l’ambition pour mon pays. Je vois bien ce qui pourrait faire sa force: la créativité de sa jeunesse, sa profondeur culturelle, l’énergie qui ne demande qu’à jaillir. Ce ne sont pas que des mots, même si ce sont les mots manipulés par nos politiciens, qui ne savent que jouer des mots.

Tout ce qui bloque le Pays: la duplicité et la lâcheté des responsables politiques, l’obsession de leur réélection, le manque de courage et d’honnêteté morale des élites, entre autres

Ce pays a fait de grandes choses dans le passé quand il était convenablement mené, mais il se complait désormais dans la médiocrité. Et je vois tout ce qui le bloque: la duplicité et la lâcheté des responsables politiques, l’obsession de leur réélection (Macron étant le dernier avatar), l’empilement des lois et des règlements qui étouffent le pays, le goût immodéré pour la « sécurité » au mépris de la liberté, le manque de courage et d’honnêteté morale des élites, la petite mafia des inspecteurs des finances, Conseillers d’Etat et autres auditeurs à la Cour des Comptes qui prétendent agir pour l’intérêt public mais qui placent leur système d’entraide en priorité.

Je vois l’effondrement des Services Publics parce que les politiciens n’ont pas le courage de faire le tri dans les dépenses, de mettre de l’ordre dans le système et de réformer le statut du fonctionnaire : des enseignants mal formés, mal payés et au bord de (ou dans) la dépression, des médecins et des infirmiers paupérisés et d’autres médecins au contraire qui s’enrichissent grâce à une spécialité très technique, et qu’il faut des mois pour pouvoir consulter sauf à être « bien introduit », une justice totalement défaillante qui épargne les puissants et écrase les faibles, une police inefficace, bridée contre les voyous ou au contraire lâchée contre les foules qui protestent, une dette publique qui ne sert pas à investir dans l’avenir mais à acheter une pseudo « paix sociale » et à faire de la communication. Et surtout une incapacité à définir le chemin que notre pays devrait prendre pour atteindre deux principaux objectifs qui devraient être prioritaires : notre souveraineté et le bonheur des citoyens français.

Macron, une droite pitoyable, sans idées, ni vision ni leader charismatique, une gauche moralisatrice et balkanisée, des extrêmes qui s’incrustent dans des discours clivants

J’en veux tout particulièrement à Emmanuel Macron qui avait tout pour remettre ce pays en selle : sa jeunesse, son détachement des vieux Partis, une confortable majorité de godillots à l’Assemblée, ses réseaux et son intelligence des situations. Or quelle leçon tirer de ces cinq années ? Des réformettes en trompe-l’oeil, des problèmes de société qui ne sont pas traités au fond, des services publics à la dérive, du gaspillage qui perdure et maintenant la dépense à tout va pour acheter le vote des prochaines élections. Macron avait toutes les cartes en main pour devenir un grand chef d’Etat, il n’aura été qu’un pitre sur la scène internationale sur lequel Poutine comme Trump et maintenant Biden auront pissé en rigolant, et il aura nommé des ministres médiocres et incapables de gérer correctement des situations comme la crise sanitaire.

Mais je suis aussi en colère car face à Macron, c’est le néant: une droite pitoyable, sans idées, ni vision, ni leader charismatique, une gauche moralisatrice et balkanisée qui se livre à une compétition de démagogie, des extrêmes qui s’incrustent dans des discours clivants qui tournent le dos à la nécessaire mobilisation des forces de ce pays.

Nulle part un projet cohérent pour ce pays qui puisse enthousiasmer les français et les faire avancer ensemble.

Je suis en colère car ce pays, désormais surendetté, ne sera pas en mesure de faire face à la crise financière qui vient. Macron a dépensé bêtement (« Quoi qu’il en coûte ») comme ses prédécesseurs tout l’argent qui sera nécessaire pour mener une vraie relance keynésienne lorsque ce sera nécessaire.

On acheté la « paix sociale », et on en paiera le prix fort.

Tout cela pour expliquer pourquoi mes posts sont sévères et pointent du doigt les failles. Contrairement à ce que certains pourraient penser, il n’y a pas de haine dans mes points de vue, mais tout simplement une immense déception, et une exaspération au moins aussi grande. Et si certains s’en choquent, pour être franc, comme aurait dit Brassens, « je m’en fous ».

Il me suffit de recevoir assez fréquemment des messages de personnes qui me suivent et me remercient pour ce que j’écris, parce qu’ainsi elles se sentent moins seules. Et s’il peut m’arriver de me tromper, oui c’est possible, et je n’hésiterai pas à le reconnaître. Mais qu’on m’oppose de sérieux arguments et non des imprécations ou des insultes, c’est tout ce que je demande. Je peux me tromper, qu’on me le démontre.

© Jean Mizrahi

Jean Mizrahi  est Chef d’entreprise

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1 Comment

  1. Vos commentaires reflètent ce que j’ai dit à mon mari dès les premiers mois de présidence de M. Macron.
    Il n’aime pas les français il n’aime que le pouvoir.
    En effet’ personne ne sort du lot et je ne sais vraiment pas comment voter car rien ne changera sinon en mal. J’ai peur de l’avenir surtout pour mes petits enfants (j’ai 80ans et je suis outrée par le comportement de ces « politicards ».

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