Renée Fregosi et Jacques Tarnero. « La surenchère de Zemmour à dire son amour de la France ne puise pas aux bonnes sources »

Hans Lucas via AFP

Renée Fregosi, philosophe et politologue, et Jacques Tarnero, essayiste et documentariste, analysent le nationalisme de Zemmour. Pour eux, seul un discours républicain « sans illusions, sans myopie, sans aucun angélisme » peut le contrer.

Certains demandent comment, avec le nom qui est le sien, Zemmour peut-il tenir les propos qu’il tient ? Peut-on critiquer Zemmour au nom de son nom comme s’il fallait assigner à ce nom une vertu non transgressive ? Comment penser ce qui est en train de se produire chez les Français juifs ou les Juifs français, et chez les Français en général ?

Zemmour n’a jamais fait de son nom un étendard identitaire, mais pouvait-il, pour autant, ignorer ou feindre d’ignorer l’usage qui en serait fait ? Peut-il ne pas comprendre l’abri que son nom constitue pour un Jean-Marie Le Pen qui lui déclare sa sympathie ? Si Zemmour assume cette reconnaissance, cela signifie qu’il partage ses sympathies politiques, ses nostalgies, ses références, ses inspirations. Est-ce avec ce bagage-là que la France pourrait dire son dernier mot ?

Un conflit franco-judéo-juif s’est mis à enfler autour des propos d’Éric Zemmour et de sa vision de la France. Les coups pleuvent et chacun des pro et anti Zemmour est prêt à en découdre. D’un côté les représentants autoproclamés de la « communauté juive » dénonçant Zemmour, de l’autre les Juifs de banlieue, ceux qui ont dû fuir l’antisémitisme présent dans les « quartiers », partagés entre la tentation du départ vers Israël ou l’Aliyah dans le XVIIe arrondissement.

Le « creuset français » a dispersé les tribus à défaut d’unir les « masses populaires ». On connaît la version blague belge de ces fractures : à la suite d’une bagarre entre Flamands et wallons, la police sépare les parties : les Flamands à gauche et les Wallons à droite, ordonne le policier. Des voix s’élèvent: « Et nous les Belges, où se met-on ? » demandent David et Salomon. Que reste-t-il du peuple français ?

En France les focalisations sur le « signe juif » remuent toujours le passé et troublent le présent. Car « La France sans les Juifs ne serait plus la France » comme le déclarait Manuel Valls il y a quelques années, quand en 2014 la « propalestine » mettait le feu à des magasins juifs de Sarcelles, par solidarité avec Gaza.

Depuis les crimes de Mohamed Merah, l’assassinat de Sarah Halimi, celui d’Ilan Halimi, de Mireille Knoll, les Juifs ont compris qu’ils constituent, ici, une première ligne de front dans la guerre que l’islamisme a déclaré à l’Occident en général. Les  « Territoires perdus de la République » l’ont d’abord été pour les Juifs qui y vivaient. Les attentats de Nice en 2016, l’assassinat du père Hamel, du colonel Beltrame, le massacre de Charlie Hebdo, celui du Bataclan ou des terrasses du XIe arrondissement 2015 ont élargi la ligne de front et l’atroce assassinat de Samuel Paty, il y a un an, a signifié que le cancer islamiste n’avait pas régressé. 

Tandis que Macron assume la mauvaise part du passé colonial et tend simultanément un miroir à la partie algérienne, celle-ci refuse ces paroles de vérité. La culture du ressentiment telle que l’Algérie l’entretient aujourd’hui n’aide sûrement pas à clarifier les choses ni à réconcilier les mémoires. Il faut rappeler que c’est bien un massacre au faciès contre les Français qui eut lieu le 5 juillet 1962 à Oran pour fêter l’indépendance. Il faut aussi rappeler les mots de Ben Bella à l’été 1982 dans Politique internationale, « Nous autres arabes, ne pouvons être que si l’autre n’est pas« . Il n’y a pas eu de Mandela en Algérie et la purification ethnique n’est pas un privilège blanc.

Depuis le 11 septembre 2001, l’islam radical a déclaré la guerre à tout ce qui n’est pas lui. Le choc des civilisations pronostiqué par Samuel Huntington s’est substitué à l’affrontement Est-Ouest.

À l’échelle de la France, comment combattre cette offensive ? À partir de quelles bases intellectuelles, de quel socle culturel, de quels principes ? La République n’est-elle pas assez armée pour affronter ce « séparatisme » ? Le pouvoir, les pouvoirs ont tardé à ouvrir les yeux, à prendre la mesure de ce que Christopher Caldwell pronostiquait dès le début des années 2000.

En France, malheur à ceux qui ont raison trop tôt. Pierre-André Taguieff depuis plus de vingt ans tirait la sonnette d’alarme en analysant les formes nouvelles de l’antisémitisme d’origine arabo islamique dont le pro-palestinisme fut le vecteur privilégié. Georges Bensoussan proposait une relecture des relations judéo arabes débarrassées de tout vernis aussi enchanté que fictif des douceurs andalouses. De son côté Boualem Sansal rappelait la part nazie du nationalisme arabe, baasiste, nassérien, algérien. Les mythologies ont la vie dure, mais celle de l’innocence arabe a fait long feu.

Lorsque Zemmour dénonce la menace islamiste comme d’autres l’ont fait bien avant lui, on ne peut alors qu’acquiescer. Dans la foulée, il dénonce la menace que l’islam ferait peser sur l’identité française, sur ses origines chrétiennes par les bouleversements démographiques intervenus depuis trente ans, autant que par les bouleversements culturels qui les accompagnent.

Tout ceci, la gauche, les gauches n’ont pas voulu le savoir tant la figure du colonisé ne pouvait être entachée des mauvaises fréquentations que les Frères musulmans ont développées dès leur création. Il faudra attendre 1989, un échange entre Pierre Vidal-Naquet et Jean-François Lyotard dans Libération, pour que ces deux compagnons de route de la décolonisation reconnaissent simultanément avoir négligé le poids de l’islam dans le mouvement national algérien. Germaine Tillon, peu suspecte de complaisance pour la colonisation, faisait le même constat et appréhendait la part ethno religieuse de la guerre du FLN contre la France.

Ce détour est indispensable pour comprendre la complexité du moment présent en France, car ce n’est pas en criant que « le fascisme ne passera pas » qu’il faut rejeter Zemmour. Opposer une incantation antifasciste conjuratoire à une incantation symétrique salvatrice consiste à nouveau à refuser de regarder le réel. Pourquoi est-ce dans Maurras que SuperDupont-Zemmour va chercher des raisons d’aimer la France ? Zemmour a-t-il oublié que c’est sous Vichy que le Décret Crémieux – faisant des juifs d’Algérie des citoyens français à part entière – fut abrogé ?

En réécrivant la responsabilité de Pétain dans la déportation des Juifs, Zemmour s’inscrit dans le droit fil du discours révisionniste.

Pour pasticher Laurent Fabius, Zemmour pose de bonnes questions, mais quelles réponses propose-t-il ? En défendant Pétain, supposé protecteur des juifs français, le féru d’histoire Zemmour oublie les mots du créateur des Annales : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims, ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la fédération. » Cette fête fondatrice de la République propose d’abord un principe avant d’être un système politique : celui de l’universalité du genre humain que Vichy avait contribué à détruire. En se soumettant à Hitler, Pétain et ses complices se sont soumis à la vision du monde proposée par les nazis. La République aurait-elle besoin de telles références ?

Quels seraient les derniers mots que la France n’a pas encore dits ? Ceux de Maurras, ceux de Maurice Barres, ceux d’Abel Bonnard ou bien ceux de Jankélévitch, de Marc Bloch ou de Victor Basch ?

La surenchère de Zemmour à dire son amour de la France ne puise pas aux bonnes sources. À l’abri de son nom, il légitime la parole de ceux qui auraient été ravis de le rafler au Vel’ d’Hiv’. Il y a une voie étroite pour lutter contre le fascisme islamiste et ses masques décoloniaux ou indigénistes.

C’est dans l’idée républicaine qu’il faut se ressourcer, sans illusions, sans myopie, sans aucun angélisme, sans se payer de beaux mots, mais sûrement pas dans une outrance nationaliste porteuse de guerre civile.

Jacques Tarnero et Renée Fregosi

https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/la-surenchere-de-zemmour-a-dire-son-amour-de-la-france-ne-puise-pas-aux-bonnes-sources?fbclid=IwAR1X-GkD49vhKzhFNeu47N5JKCz-tLverBqpl8Xlp56UVR-EhCdVhyKofOE

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6 Comments

  1. Excellente analyse de deux intellectuels de qualité .
    Je crains , neanmoins que la defense de la republique autour de ses belles valeurs ne trouve que peu de fantassins , a commencer par la part immense de l elite française qui s accommodera fort bien de la disparition des valeurs republicaines du moment que ses privileges semblent se maintenir : le petainisme a trouvé dans ce pays un accueil bienveillant et naturel , il ne faudrait pas l oublier

  2. Article magistral où brillent l’une après l’autre les phrases de vérité tout au long.
    A lire et à relire, tant les arguments sont nombreux pour à la fois défendre et à la fois critiquer des propos d’Eric Zemmour.
    En passant, je retiens tout particulièrement deux phrases éclairantes dans l’article :
    1-En 2008, le leader algérien Ben Bella a déclaré « Nous autres Arabes,ne pouvons être que si l’autre n’est pas ».
    Aussi les auteurs de l’article précisent-ils :
    2-« Depuis le 11 septembre 2001 (attentat contre les Tours Jumelles de New York) l’islam radical a délaré la guerre à tout ce qui n’est pas lui ».
    En effet, comment mieux expliquer les divers attentats islamistes en France ?

  3. Article assez équilibré, mais dont la critique de Zemmmour ne repose que sur certains repères historiques ; les auteurs oint oublié de se tourner vers l’avenir et des solutions à apporter ; Zemmour propose des solutions pour combattre l’islamisme qui a déclaré la guerre à l’occident : arrêt de l’immigration non choisie, renvoie des étrangers délinquants et perte de nationalité des double nationaux condamnés ; refonte du droit du sol par rapport au droit du sang ; réapprentissage du fait français, en commençant par l’école,….
    Il est dommage que les auteurs oublient tout cela, pour ne voir que le passé, historiquement toujours discutable à souhait.

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