Sans doute, le roman le plus drôle, le plus grinçant, le plus jubilatoire de cette rentrée littéraire! Un roman qui se dévore, sourire aux lèvres et amertume au coeur. LE roman de la nouvelle gauche woke, du nouveau féminisme, du nouvel anti-racisme racialiste, de la cancel culture, de l’intersectionnalité, de l’appropriation culturelle…Tout un programme!
Sur les traces du héros de “LA TACHE” DE Philip Roth, le personnage principal, Jean Roscoff, à la piètre carrière universitaire , se retrouve confronté à la hargne d’une société qu’il ne comprend pas. Et, en cela, il devient la “norme” du roman pour son lecteur.
Cet homme de gauche, ayant milité contre le racisme, ayant participé à la Marche des Beurs, a l’idée, une fois retraité, d’écrire sur un poète noir communiste américain inconnu, vraiment inconnu du grand public, Robert Willow.
Qu’a donc ce poète pour inspirer Jean Roscoff? Ayant fui le maccarthysme des Etats-Unis en raison de ses positions politiques, Willow fréquente le Saint-Germain de l’époque avec ses jazzmen, ses philosophes existentialistes, ses cafés: ce Paris mythique des années 60 qui fait rêver notre héros.
Après un premier essai raté sur les époux Rosenberg, après ses propres échecs universitaires, sentimentaux, après son naufrage dans l’alcool, Roscoff trouve en Willow le plus passionnant sujet d’études et un écrivain à réhabiliter.
Las! Il n’a rien compris à l’époque contemporaine et sa plaquette parue chez un obscur éditeur devient immédiatement la cible d’attaques d’une violence inouïe sur les réseaux sociaux. Comment un “boomer” blanc, hétérosexuel, cisgenre normé, a-t-il eu l’audace d’écrire “à la place d’un Noir”?
“Appropriation culturelle”, hurlent les aficionados des nouvelles mouvances sociétales! “On lutte aux côtés des autres minorités, mais on ne parle pas à leur place. La négrophobie, seuls les Noirs peuvent en parler”
Et voici notre misérable Roscoff, Candide désarçonné, devenu l’homme à abattre, l’agneau sacrifié sur l’autel des credo contemporains, lacéré et détruit par les fléches acérées et empoisonnées des nouveaux gardiens de l’ordre moral.
“L’accusation de racisme systémique dégagée de toute notion d’intelligibilité était une arme redoutablement efficace” (page 191)
Une arme lourde, une kalachnikov qui atteint Roscoff dans ce qu’il a de plus intime, essentiel, sincère: son antiracisme universel.
Ce pavé dans la mare, tout en rappelant le constat désabusé d’un Houellebecq ou d’un Philip Murray sur notre époque, est d’une infinie tendresse colorée d’une franche et salutaire drôlerie.
Sous l’aspect d’un roman intimiste, “Le Voyant d’Etampes” dénonce les nouveaux gauchistes qui mettent à mal l’universalisme des Lumières et les nuances de Camus, et en cela, il est une alerte sur le monde de demain.
Abel Quentin. Le Voyant d’Etampes (Editions de l’Observatoire, 384 pages)
© Nickie Caro Golse
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