Faut-il rendre hommage à Samuel Paty et surtout comment ? Un an après la décapitation du professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine par un islamiste tchétchène, le ministre de l’Éducation nationale a souhaité qu’un hommage soit rendu dans tous les établissements scolaires. Au programme, échange sur « la construction de l’esprit critique » ou sur « le rôle de l’enseignant ».
La principale du collège du Bois de l’Aulne, où exerçait Samuel Paty, aimerait que toute la France oublie et passe à autre chose : « Vous vous rendez compte de ce que vous nous faites revivre en venant ici ?, déclare-t-elle aux journalistes. En quelques heures, vous effacez tout ce qu’on fait depuis un an pour retrouver l’harmonie. Laissez-nous tranquilles. »
Retrouver l’harmonie : un programme qui ressemble à une pacification des esprits et du cadre scolaire, quoi qu’il en coûte. Le « pas de vagues » étant le crédo de l’institution, comment blâmer les chefs d’établissements et les professeurs qui veulent être « tranquilles » ? Comment ne pas être solidaires de ceux qui vont travailler la boule au ventre redoutant le mot, l’allusion, l’attitude qui pourrait froisser la susceptibilité de leurs élèves ?
Dans sa contre-enquête sur l’assassinat de Samuel Paty, J’ai exécuté un chien de l’enfer (Le Cherche Midi), David di Nota porte le fer dans la plaie. Contrairement à ce qu’affirme le rapport de l’inspection générale, tout n’a pas été fait pour désamorcer l’escalade qui a conduit à la mort de Samuel Paty. En revanche, tout a été fait pour le forcer à endosser la responsabilité d’un crime qu’il n’avait pas commis. Et ce processus a été à l’origine même de sa mort.
L’institution s’est placée du point de vue des élèves et des parents supposés offensés qu’elle a voulu calmer. Personne ne s’était plaint de ce cours sur la liberté d’expression, jusqu’aux vidéos du père de l’élève-dénonciatrice (absente de la classe au moment des faits) et de son accompagnant islamiste fiché S. La hiérarchie a demandé des excuses, ce que Samuel Paty a accepté volontiers pour « apaiser les tensions ». À partir de là, l’institution va petit à petit transformer une campagne de dénigrement et de chantage montée par des islamistes contre un enseignant qui faisait correctement son travail, en « maladresse », « erreur », « faute » de l’enseignant, qui n’a pas su « maîtriser le concept de laïcité ».
Comme le rappelle David di Nota dans son livre, les années précédentes, lorsque Samuel Paty enseignait le même cours, personne n’était venu lui demander des explications sur sa vision de la laïcité. À l’époque, lorsqu’il avait prévenu les élèves « sensibles » qu’ils étaient autorisés à sortir du cours (ce qui est le contraire même de la stigmatisation), aucun professeur ne lui en avait tenu rigueur. En octobre 2020, alors qu’il est menacé de mort, certains de ses collègues adoptent sans aucune distance le point de vue des islamistes. Ils écrivent dans un échange de mails : « Non seulement notre collègue a desservi la cause de la liberté d’expression, il a donné des arguments à des islamistes et il a travaillé contre la laïcité en lui donnant l’aspect de l’intolérance, mais il a aussi commis un acte de discrimination. » Lorsque Samuel Paty, dans le cadre de son cours sur la liberté d’expression, avait montré des caricatures de Jésus, aucun des professeurs ne s’était inquiété d’une offense possible aux parents et aux élèves catholiques. Il n’y a désormais plus qu’une seule offense, c’est celle supposée être faite aux musulmans. Il faut dire que depuis des années, elle peut conduire à la mort.
Au-delà de ce chantage à l’islamophobie dont les conséquences font trembler l’institution, David di Nota souligne dans son livre comment l’Éducation nationale, par son « contrat de confiance », déstabilise et fragilise encore plus la position de l’enseignant et des chefs d’établissement. La loi du 26 juillet 2019 dispose que « l’exemplarité des personnels de l’Éducation nationale conforte leur autorité dans la classe et contribue au lien de confiance qui doit unir les élèves et leur famille au service public ». Dans ce contrat, parents, élèves et enseignants surveillent, à droit égal, « l’exemplarité » de l’autre. Mais selon quels critères évaluer l’offense ressentie par des parents croyants ? Ces derniers sont-ils en droit d’exiger, au nom de la « confiance réciproque », qu’elle soit respectée ? Dans cette confusion théorique, le contenu même de l’enseignement peut être questionné. « Un cours sur la liberté a-t-il pour fonction d’assurer la liberté d’expression ou la liberté de ne pas être froissé ? », demande David di Nota.
Didier Lemaire, lui, ne se pose plus la question. Le professeur de philosophie de Trappes, qui a commis le crime d’alerter sur la réalité de sa ville devenue l’une des toutes premières pépinières djihadistes d’Europe, a dû subir une cabale menée par le maire de la ville l’accusant de « stigmatiser » et de donner une « mauvaise image » de Trappes. En février 2021, il a dû mettre en suspens sa carrière d’enseignant et vit désormais sous protection policière. Dans son livre Lettre d’un hussard de la République – Avant qu’il ne soit trop tard… (Robert Laffont), il raconte un destin de prof. Lui qui faisait grand cas de sa mission, qui voulait éveiller l’esprit critique de ses élèves, les détourner de l’idéologie de mort de l’islamisme, s’est vu traiter de menteur, de fauteur de troubles. Pour finalement disparaître des radars. Pas de vagues.
Désormais, un professeur sur deux dans l’enseignement s’autocensure, dit-il. Malgré l’omerta, la lâcheté des institutions, la soumission de nombre de collègues et la parole « ambivalente » du ministre, Didier Lemaire ne veut pas renoncer. Il veut se mettre au service des enseignants qui sont menacés, isolés, dont les plaintes sont classées sans suite et qui vivent dans la peur. En 2021, lorsqu’un fiché S exprime une menace de mort contre un enseignant, il est généralement condamné de deux à six mois avec sursis. Est-ce dissuasif ?
Pour rendre hommage à Samuel Paty, il ne suffit pas de baptiser des rues et des collèges. Il faut que son message reste vivant. Ce qui, aujourd’hui, menace surtout l’institution, ce ne sont pas les crimes épouvantables qui pourraient encore se produire et qui soulèveraient notre indignation unanime, c’est ce silence « tranquille » des cours débarrassés de tout enseignement « à problème », avec des élèves qui auraient réussi à faire adopter la loi du plus fort, celle des islamistes qui imposent leur idéologie et le retour du blasphème. Une sacrée faillite pour l’école des hussards noirs de la République.
© Valérie Toranian
https://www.revuedesdeuxmondes.fr/samuel-paty-didier-lemaire-pas-de-vagues-criminel/
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