Edith Ochs. Babi Yar, poème d’Evgueni Evtouchenko 1961

80 ans ont passé depuis ces massacres en Ukraine qu’on appelle la Shoah par balles. Babi-Yar fut le premier, d’autres massacres suivirent…
Près de 35000 juifs furent assassinés par les Einsatzgruppen ce jour-là à Babi-Yar sous l’oeil placide des voisins et des paysans ukrainiens qui regardaient comme au spectacle, et pauvreté faisant loi, récupéraient ensuite les vêtements et les chaussures, voire plus le cas échéant bien sûr.

On peut lire les témoignages recueillis par le père Patrick Desbois, cet homme exceptionnel.

Le massacre de Babi-Yar eut lieu les 29 et 30 septembre 1941.

Le 19 mars 1961, la revue soviétique « Literaturnaya Gazeta » publiait le poème d’Evgueni Evtouchenko « Babi-Yar« , devenu mondialement célèbre. 
En voici une traduction française et une traduction yiddish (en caractères hébraïques et translittérée en caractères latins)

Evgueni Evtouchenko

Evgueni Evtouchenko – Babi Yar

Sur Babi Yar, pas de monument.
Un ravin abrupt, telle une dalle grossière.
L’effroi me prend.
J’ai aujourd’hui le même âge
que le peuple juif.

Il me semble là — que je suis juif.
Me voici, errant dans l’ancienne Egypte,
Là agonisant, sur cette croix,
Dont, jusqu’à ce jour, je porte les stigmates.
Il me semble
que Dreyfus, c’est moi.
Les boutiquiers me dénoncent et me jugent.
Je suis emprisonné.
Pris dans la rafle. Poursuivi comme une bête,
couvert de crachats, calomnié.
Et les petites dames, en dentelles de Bruxelles,
glapissent et me plantent leurs ombrelles dans le visage.

Il me semble — que je suis le gamin de Bialystok.
Et le sang du pogrom ruisselle.
Les piliers de bistrot se déchaînent,
puant la vodka et l’oignon.
Et moi, jeté au sol à coups de bottes, sans force,
je supplie en vain mes bourreaux.
Et ils s’esclaffent :
« Cogne les youpins, sauve la Russie ! »
Un épicier viole ma mère.
Oh, mon peuple russe ! — Je le sais — Toi — Par essence,
tu es international.

Mais souvent, des hommes aux mains sales
ont fait de ton nom pur le bouclier du crime.
Je connais la bonté de ta terre.
Et quelle bassesse !
Sans le moindre frémissement,
les antisémites se sont pompeusement baptisés
« Union du peuple russe » !

Il me semble — que je suis Anne Frank.
Transparente
comme une brindille d’avril.
Et j’aime.
Et pas besoin de grands mots.
Il faut juste
que nous nous regardions en face.
On voit, on sent
si peu de choses !
Le ciel, les feuilles
nous sont interdits.
Mais nous pouvons beaucoup :
Tendrement
nous embrasser dans ce réduit obscur.

On vient ?
N’aie crainte — c’est juste le bourdonnement du printemps
qui s’approche.
Viens vers moi.
Offre-moi vite tes lèvres.
On brise la porte ?
Mais non, c’est la glace qui cède…

Sur Babi Yar bruissent les herbes sauvages.
Les arbres regardent, terribles juges.
Tout ici hurle en silence,
Et moi, tête nue,
je sens lentement
mes cheveux grisonner.
Et je suis moi-même
un immense hurlement silencieux
au-dessus de ces mille milliers de morts.
Je suis
chaque vieillard fusillé ici.
Je suis
chaque enfant fusillé ici.
Rien en moi n’oubliera jamais cela !
Et que L’Internationale résonne
quand on aura mis en terre
le dernier antisémite de ce monde.
Je n’ai pas une goutte de sang juif.
Mais, détesté d’une haine endurcie,
je suis juif pour tout antisémite.
C’est pourquoi
je suis un Russe véritable !

Evgueni Evtouchenko

(Traduction française de Jean Radvanyi)—————————————————————–באַבי יאַראין באַבי-יאַר איז קיין דענקמאָל נישט פאַראַןאַ שטראָמער אָפּריס, װי אַ רויער שטיין.

Premier mouvement de la Symphonie no.13, Babi Yar, de Dimitri Chostakovitch, créée malgré la censure. Ici en 1962 à Moscou sous la direction de Kirill Kondrachine

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