La Page d’Annie Toledano Khachauda. Souvenirs Souvenirs

Souvenirs souvenirs. Ce soir c’est Souccoth. Petit rappel des fêtes chez mes parents.

HAG SAMEAH À TOUS.

Tous mes rituels sont liés à la pratique du fait religieux. Le judaïsme que ma famille pratiquait d’une manière éclairée et surtout joyeuse malgré quelques contraintes. Celles liées au Shabbat obéissaient à un rituel précis, il fallait allumer les bougies à l’heure indiquée sur le calendrier agrafé contre le mur de la cuisine, dresser la table, vérifier que la plaque qui maintenait les repas du vendredi et du samedi au chaud était correctement branchée. Une grande fébrilité agitait toute la maison pendant le dernier quart d’heure.

En dépit de l’éloignement et du déracinement qui s’en est suivi, je découvrais d’autres horizons, je m’ouvrais à d’autres cultures que je découvrais en changeant de continent.

Cependant, peu à peu, j’y suis revenue, cela donne une stabilité et un rythme à mon année. Le Shabbat accompagné de son rituel précis donne un repère aux semaines qui passent et que lient les fêtes.

Bientôt Hanoukka, j’entends encore ma mère nous dire : « Mes enfants ce shabbat est le plus court de l’année, juste après les jours commencent à rallonger ».

Je sais après l’avoir vérifié qu’elle avait raison et que timidement mais sûrement les beaux jours reviendront.

Toubishbat, la fête des fruits, il fallait en avoir le plus possible et ce n’était pas si facile, les nombreuses variétés que l’on trouve dans nos marchés n’avaient pas encore traversé les frontières.

A l’inverse nous nous régalions de mures sauvages, de baies juteuses assemblées dans des petits paniers tressés, de jujubes à la fois croquants et acidulés, tant de variétés remplacées dans nos tables d’aujourd’hui par les mangues, ananas, litchis et autres fruits exotiques.

Pourim, le sacre d’Esther et de son oncle Mardochée. Le jeûne de Pourim qu’accompagnaient les brioches avec un œuf planté au centre et que maintenaient des croisillons de pâte dorée, les petits pains en forme de poissons, ciseaux et couronnes ciselées, exclusivement exécutés pour cette fête.

A la tombée de la nuit, la lecture de la Meguila. Ce jour-là, nous laissions libre cours au chahut interdit pendant les offices religieux, car à chaque fois que le nom d’hammane était prononcé, nous tapions des pieds en criant harrour hammane maudit soit hammane, à l’inverse, au nom de Mordéchaï, nous déclamions tous en chœur Barouch Mordéchaï , Béni soit –il .

Nous attendions fébrilement le lendemain car c’était une fête où nous recevions non des cadeaux mais des espèces sonnantes et trébuchantes, les oncles et tantes et même les lointains cousins distribuaient dès le matin à tous les enfants de l’argent, nous l’utilisions librement pour acheter des jouets chez les arabes qui étaient informés, je ne sais comment ni par qui, envahissaient les trottoirs de la ville avec une multitude de jouets multicolores qui nous enchantaient.

Notre argent fraîchement acquis se transformait en crécelles, trompettes assourdissantes et autres babioles multicolores et bruyantes.

Le repas de Pourim que nous prenions à 17h revêtait un caractère très festif puisqu’il était expressément recommandé pour ce jour seulement de festoyer et même d’abuser de la mahia au point de ne point reconnaître Hammane l’intrigant de Mordéchaï le salvateur.

Venait ensuite cette période entre Pourim et Pessah où toute la maison devait être vidée et lavée du sol au plafond, les tapis séchés au soleil et battus pour traquer la moindre miette, les murs repeints, les meubles revernis, les matelas étaient décousus et vidés de leur laine, elle était mise à plat sur la terrasse afin de s’aérer et un artisan cardait de nouveau les matelas.

Je me souviens du moelleux de nos lits après cette opération et du bien-être éprouvé. Les sommiers quant à eux subissaient l’épreuve du feu, les carrelages du sol étaient enduits de chaux vive qui séchait toute une journée au-delà de laquelle le sol était vigoureusement brossé ce qui laissait aux interstices une ligne d’une blancheur immaculée.

Notre maison revêtait ses habits de fête, même les trottoirs de la ville avaient droit à un traitement spécial, les familles tacitement peignaient à la chaux les interstices noircis par les intempéries.

Lorsque les trottoirs étaient affaissés, alors nos mères les comblaient pour que tout le quartier ressente l’embellissement de la fête de Pessah, tout concourrait à donner le plus bel aspect à notre ville.

Lorsque enfin, on s’approchait du seder, flottait dans la maison une odeur de peinture fraîche, de vernis, mêlée aux fumets de la cuisine qui s’échappaient des plats que ma mère commençait à préparer.

Les arums représentaient pour moi les fleurs de pessah, je ne les ai pas toujours appréciées, pour moi, un bouquet de toutes les couleurs devait éclater, mais mon père aimait l’élégance et la sobriété et cette fleur en était le reflet.

A chaque Seder, il arrivait les bras chargés d’arums que ma mère disposait élégamment à travers toute la maison.

Depuis, je regarde avec tendresse ces fleurs, elles me rattachent à cette douceur de l’enfance et donnent vie à mes chers disparus.

Pendant huit jours ne mangions que de la galette en guise de pain, à l’issue de cette semaine, le dernier jour devait se terminer en apothéose. Tous les amis musulmans de mon père envoyaient dès la tombée de la nuit des corbeilles chargées de différentes variétés de pains, des montagnes de crêpes au miel et au beurre.

Bizarrement, il y avait également des plats contenant des poissons frais, entiers. C’est un signe d’abondance et de prospérité.

Ma mère se levait cette ultime journée à l’aube pour préparer « zabane », un nougat mou fourré de noix et d’amandes que tous les visiteurs devaient goûter.

Elle disposait dans des coupes en cristal une confiture de raisins secs et d’amande et dressait la table avec les différentes sortes de gâteaux confectionnés pour la circonstance.

Il fallait beaucoup d’ingéniosité pour réaliser toutes ces variétés de gâteaux sans farine car il était formellement interdit d’en consommer.

Ces douceurs croquantes et fondantes étaient pour nous les gâteaux de Pessah, nous avons consigné précieusement les recettes que nous gardons et ainsi nous continuons à tricoter le fil de la transmission.

L’après-midi de cette ultime journée de fête, toute la vaisselle qui ne servait que pour cette semaine était soigneusement lavée et rangée dans le grenier et attendait une année pour être de nouveau utilisée.

Je me suis longuement demandé pourquoi ma mère, bizarrement, avait plus de vaisselle pour ces huit jours que pour le reste de l’année.

40 jours après, la fête de Chavouot, tellement joyeuse pour tous les enfants. Nous attendions fébrilement que les passant fussent à notre portée et nous les arrosions copieusement d’eau. C’était la seule journée où il nous était permis de faire les garnements avec la bénédiction de nos parents. Nous n’osions pas le faire avec les rabbanim de la ville et ils étaient nombreux. Dès que nous les apercevions, nous courrions vers eux, telle une nuée d’oisillons pour leur baiser la main. A leur tour, ils mettaient leurs mains sur nos têtes pour nous bénir.

Nos rabbins se distinguaient par leur allure majestueuse, ils étaient habillés d’une longue robe noire aux pans bordés de rouge, coiffés d’une toge arborant les mêmes couleurs. Celui qui avait la plus belle allure était sans conteste un rabbin haut en couleur. C’était Rabbi Yossef Messas, un des plus illustres rabbin de Meknès.Dans mes souvenirs il était très coloré, il avait une carnation très claire et un visage rose auréolé d’une longue et épaisse barbe blanche. Des yeux d’un bleu vif et une stature imposante. J’étais une très jeune enfant et c’était le rabbin le plus impressionnant que j’ai eu la chance de côtoyer même si c’était à l’occasion de ce baiser furtif sur ses mains qu’il posait ensuite sur ma tête pour me bénir.

Les fêtes de Tichri sonnaient le glas de nos vacances scolaires, elles débutaient généralement à la fin de celles-ci et une grande fébrilité régnait dans la ville.

La fête de Rosch Hachana fera l’objet d’une longue description que je relaterai ultérieurement.

La préparation de Yom Kippour dans la synagogue de mes grands-parents Benamara obéissait à un cérémonial précis. C’était l’occasion pour les enfants que nous étions d’aménager l’espace réservé aux femmes, espace situé au 1er étage, largement ouvert afin de leur permettre d’assister à toute la liturgie et de voir les sepharim sortir du Hékhal, de participer à l’office bien qu’elles fussent séparées des hommes.

Quelques jours avant Kippour, les bancs qui constituaient le mobilier de cet espace étaient remplacés par des matelas moelleux et des coussins d’appui que toutes les femmes apportaient de leurs maisons. Ce lieu était aménagé de telle sorte que cette journée consacrée à l’introspection et au repentir se passât le mieux possible pour nous.

Le plus souvent nos grands-mères ne parlaient pas ce jour, ceci afin de ne proférer aucune médisance pouvant être assimilée à du « lachone ara ». Les plus jeunes d’entre nous qui voulaient les imiter ne tenaient en général qu’une toute petite heure.

D’une façon tacite aucune jeune mère ne venait avec un nourrisson ou de très jeunes enfants.

Meknès possédait pourtant un irouv et elles pouvaient le faire mais il était admis que les synagogues étaient des lieux de prière et non des jardins d’enfants ; Ces derniers dépensaient leur énergie chez eux avant de rejoindre la synagogue dès qu’ils pouvaient rester sages.

Ce jour n’était pas à vrai dire une fête pour nous. Dès que nous atteignions l’âge de 7 ans commençait pour nous l’apprentissage du jeûne. Nous le faisions progressivement . Chaque année, nous résistions 1h de plus et ainsi de suite jusqu’à 11 ou 12 ans, quand enfin victorieux nous bravions la faim et la soif et résistions jusqu’à la clôture. Il fallait une foi chevillée au corps pour résister aux effluves de brioches perlées de sucre, des couronnes dorées que décoraient les graines d’anis et de sésame, des galettes sucrées et croquantes, des galettes sablées et salées. Toutes ces douces tentations nous narguaient et il fallait pourtant résister.

La première fois constituait une victoire largement récompensée par les encouragements de toute la famille et des baisers chaleureux, également par une pièce sonnante et trébuchante qui allait grossir notre pécule reçu par les oncles et tantes.

Aucune de nos synagogues ne possédait d’espace réservé à la souccah puisque toutes les maisons en avaient une. Dès la construction de l’édifice qui allait abriter la famille, une pièce sans toit était réserve à la souccah. Mes grands-parents Benamara en avait une sur la terrasse, quant à nous, elle était dans la cour derrière la maison, dans le prolongement de notre cuisine. Cette même cour séparée par un petit muret abritait également la souccah de notre plus proche voisin Rabbi Shlomo Toledano, une grande figure du judaïsme de Meknès qui nous enchantait par ses chants, sa diction et la délectation qu’il mettait à articuler toutes les bénédictions comme s’il en découvrait chaque fois la saveur. Il habite actuellement à Bné Brak en Israël, il a hélas perdu la vue et son fils Rabbi Binyamin Toledano qui a partagé mes jeux d’enfant est un grand maître en Israël.

J’ai appris que Rabbi Chlomo ZL a rejoint le ciel il y a peu de temps, sa piété et ses bienfaits en font sûrement le plus bel astre auprès des tsadikims qui l’ont précédé.

Tout juste après la rupture du jeûne de Kippour, mon père avec un air entendu demandait alors à ma mère : Où allons nous construire la souccah cette année ? Invariablement, ma mère faisait la même réponse : Dans la cour comme les années précédentes !

Lorsque nous étions enfants, une telle question suivie de son invariable réponse nous laissait perplexes. Par la suite nous avons su qu’il était recommandé d’en parler à ce moment.

Dès le lendemain de Kippour, des fagots de feuilles de palmier et de saules transportés par des colporteurs musulmans occupaient le boulevard de notre ville, ils servaient à couvrir le toit de notre cabane éphémère. Comme pourles jouets de Pourim, là encore je me demande comment les musulmans de la ville savaient qu’il fallait former des fagots de feuillage pour les vendre aux juifs pour souccoth.

Cette fête était pour nous l’occasion de montrer notre créativité et nos différents dons artistiques. La décoration de la souccah nous était confiée. Ces travaux nous occupaient toute la journée avec les guirlandes constituées de nos chemises d’écoliers multicolores que nous découpions en bande et que nous assemblions en cercle avec une colle fabriquée par nos soins, une préparation maison faite d’eau et de farine. La joie d’habiter cette cabane éphémère et d’y faire des repas entre amis et famille nous faisait accomplir des prouesses, nous étions fiers de montrer à tous notre belle souccah décorée avec les guirlandes de notre fabrication.

Le premier repas pris dans notre cabane était précédé de douceurs faites de dattes fourrées aux noix, de galettes croquantes et de nougat aux amandes. Nous y logions pendant les huit jours de cette fête, prenant tous nos repas sauf quand une pluie intempestive s’invitait en nous délogeant précipitamment.

Cette fête se clôturait en apothéose avec les réjouissances de Simhat Thora.

Dans la synagogue Benamara de mes grands-parents, le soir venu, les femmes suivaient l’office habituel et étaient dans la galerie qui leur était réservée à l’étage. Cette galerie, largement ouverte permettait à nos mères et nos grand-mères de voir les sepharims sortir du Hékhal, écouter la lecture qui en était faite et suivre toute la liturgie avec une belle visibilité bien que séparées du lieu stratégique.

Le soir de Simhat Thora était particulier. Toutes les femmes descendaient pour rejoindre le lieu de prière des hommes mais surtout elles étaient invitées à prendre chacune un sepher thora, à le faire danser. Il est vrai qu’à Meknès, la quasi totalité des femmes avaient conscience de l’importance de cet acte. Toutes celles qui en raison du cycle physiologique ne pouvaient le faire s’en abstenaient naturellement. Toutes les autres s’en donnaient à cœur joie en chantant et en dansant avec les sepharims. J’avais 4 ou 5 ans et je percevais déjà cette joie indescriptible chez toutes les femmes admises exceptionnellement ce jour-là, enlaçant précieusement nos écritures. C’était un symbole fort . Il était alors admis que les femmes pouvaient s’approprier ce qui était le symbole le plus sacré du judaïsme. J’ai appris par la suite que toutes les femmes pouvaient le faire à Simhat Thora et qu’aucun écrit ne l’interdisait. Elles pouvaient à mon sens admettre d’être écartées pour tous les autres moments en raison des charges qu’elles avaient, des jeunes enfants dont elles devaient s’occuper et des nombreux repas qu’elles devaient préparer, toutefois, ce moment où il leur était permis de s’approprier nos textes sacrés comblait ce manque.

Les temps ont changé, les femmes occupent de plus en plus une place prépondérante dans l’étude poussée de nos écrits et de leur interprétation. Elles peuvent à la fois danser avec nos sepharim en ayant toute légitimité pour étudier et interpréter nos textes sacrés.

Le lendemain, jour de Simhat Thora proprement dit, donnait lieu à des agapes qui transformaient la synagogue en une immense salle à manger. Mon oncle Charles offrait à toutes les personnes présentes au sein de sa synagogue un somptueux buffet car il était Hatane Thorah ; les congélateurs n’avaient pas encore leur place dans nos cuisines et toutes les femmes de la famille étaient mobilisées pour faire de cette journée la plus fastueuse de l’année. Ma mère, seule dans la famille à maîtriser l’art de fabriquer la feuille de brique passait toute sa soirée à confectionner d’énormes quantités servant à rouler les pastillas et autres rouleaux farcis de poulet et de pâté. Mes tantes vidaient et découpaient les volailles pour les farcir, ma grand mère s’attelait à la pièce montée.

C’était les préparatifs d’un mariage en un temps record.

L’année recommençait et les rituels reprenaient.

Même si je m’en éloigne ( peu il est vrai) car ni l’époque ni le pays ne sont les mêmes, je me rends compte que ces rituels rythment mon temps et je les observe malgré tout en prenant quelques libertés. Mon vendredi est une journée exclusivement dédiée au shabbat, et le soir venu, je suis aussi exténuée que ma mère l’était à la fin de ses journées après les préparatifs du shabbat et des fêtes.

© Annie Toledano Khachauda

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