Plaidoyer pour une souveraineté laïque francaise
La laïcité française est un enjeu local à l’échelon de la planète. Notre laïcité séparative, qui garantit la liberté de conscience de tous les citoyens, est un enjeu national franco-français. En 2020, il est plus que temps de reprendre la main (par le haut) sur ce principe juridique puissant et sa dimension philosophique, qui enracine la société dans une idée humaniste et universaliste.
Tout d’abord en revenant à ce qu’elle était, avant que les politiques eux-mêmes ne la rendent caduque et inopérante.
Historiquement sa genèse fait débat. Les discussions au sujet de l’émancipation du joug clérical et de la libération de l’individu à l’aube de la Révolution française, comme celles autour de la naissance de la logique humaniste du siècle des Lumières, ne trouvent à s’exprimer que dans des débats historico-politiques qui divisent invariablement les partisans les plus convaincus de la laïcité.
Au stade où nous en sommes, il est superflu de se lancer dans une exégèse et un rappel historique de la laïcité, alors que de l’aveu de certaines interprétations du Coran Mahomet serait un précurseur de la chose Laïque, que Jésus lui-même serait laïque, tout comme Gengis khan dans les steppes mongoles. Inutile donc de remonter le temps pour en disséquer les prémices, tant semble proche l’effondrement irréversible de ce qui dirige nos pas de citoyens depuis 1905, date de la promulgation d’un texte qui a profondément impacté la marche de ce pays : la loi de séparation entre les Églises et l’État.
Le titre même de cette loi est sujet à interprétation depuis des années. Un enfumage politique chargé de faire dire son contraire à un texte pourtant simple dans son titre et dans son exposé.
Le terme de »séparation » est galvaudé au point de le transformer en » neutralité d’État ».
La séparation implique forcément deux parties. Les Églises d’un côté, l’État de l’autre.
Sous la pression électorale, ou plus particulièrement sur le mythe d’un vote religieux communautariste, le terme »séparation » est devenu caduque au profit de l’idée de »neutralité de l’État » face aux Églises. C’est un dévoiement idéologique de la rigueur séparative. Une sémantique qui renverse l’idée même de la loi de 1905, en l’empêchant d’incarner ce pourquoi elle a été promulguée, à savoir une séparation stricte entre le pouvoir temporel de l’État et le pouvoir intemporel des forces cléricales.
L’État serait donc seul à être neutre et non invasif à l’endroit d’un contre-pouvoir organisé, libérant de ce fait les églises de toute contrainte vis-à-vis de la société et de l’État.
Il faut se dire qu’en 1946 en préambule de la constitution, puis en 1958 à la promulgation de la constitution de la Ve République, il a été décrété que la République française était laïque. Sur la base de la loi de 1905, loi de séparation entre les Églises et l’État, et dans un souci de reconstruction d’après guerre, l’État a décrété que cette séparation était toujours valable et impérative afin que la chose publique puisse fonctionner sans interférences cultuelles, au service de l’État et des citoyens. Écoles, collèges, lycées, hôpitaux, sécurité intérieure, services sociaux, municipalités, collectivités locales, tout le régalien s’est mis au pas laïque, séparé du religieux et de l’influence cléricale. Avec pour chaque fonctionnaire une obligation légale et morale de neutralité, c’est-à-dire l’interdiction de manifester une quelconque obédience politique, religieuse, spirituelle ou direction de pensée philosophique. Ces obligations ont permis de faire respecter non seulement l’État et son engagement envers le citoyen français, mais aussi de tenir à distance d’éventuelles résistances réactionnaires et autres obscurantismes sociaux.
Ce devoir de neutralité s’applique donc aux fonctionnaires et non à l’État lui même. L’État lui est toujours séparé des églises dans ses décisions. Et ce quels que soient les courants religieux ; ceux en place en 1905 ainsi que ceux à venir, puisqu’à aucun moment le texte de la loi ne fait mention d’un courant religieux en particulier, il ne comporte pas de spécificités liées à tel ou tel culte. On peut donc conclure qu’une égalité de traitement envers les rites, les cultes, les clergés, les religions est de fait actée par le seul titre de la loi.
De nos jours il y a une volonté de détourner ce titre vers l’idée de neutralité, qui n’est dévolue qu’aux services publics et aux fonctionnaires, en laissant entendre que l’État et le régalien seraient deux choses identiques. Mais la marche de l’État n’en reste pas moins exempte de conseils religieux, les citoyens français ne pouvant justement pas être représentés par une quelconque autorité religieuse qui aurait une influence sur l’État, dans ses décisions et son fonctionnement.
C’est ici que la gouvernance Macron induit une perte de souveraineté face aux éléments cultuels. Le président nouvellement élu en 2017 produit, avec la conférence des évêques, un discours qui fera date en pulvérisant justement la séparation. Le président Macron, garant de la constitution et de la laïcité, affirme devant un parterre clérical catholique, vouloir renouer le lien entre les Églises et l’État. Une traîtrise républicaine au pacte social qui permettait de maintenir les décisions de raison hors l’influence de dieu et de ses représentants. Jamais depuis Pétain on n’avait tourné le dos à la loi de séparation à une si haute échelle de décision et de responsabilité.
Ce délabrement laïque est orchestré depuis des décennies : depuis Mitterrand qui recommandait de ne pas faire trop de cas de la laïcité, la trouvant difficile à défendre et trop rigoureuse dans son principe séparatif justement, puis par un Sarkozy qui s’est attaché à faire représenter les musulmans par un premier clergé politique, puis par un second sous pressions pluralistes de l’islam diplomatique et des frères musulmans, ou encore avec Hollande qui n’a pas réaffirmé cette séparation en réponse aux suites des attentats islamistes de 2015.
Le niveau de ce délabrement laïque et la perte du sens politique du principe de séparation ont permis, sans une seule levée de boucliers citoyenne, ce terrible coup de couteau »cléricaliste » dans le dos de la République, de la Constitution, de l’esprit d’émancipation de la loi de 1905.
La liberté de conscience :
Il faut rétablir une souveraineté laïque de l’État, et se réapproprier le principe de séparation et non de neutralité. L’État doit être libre de mouvement, dirigé par la raison, la science, par des choix éclairés qui s’appliquent à tous les citoyens dans la même charge de droits et de devoirs, sans que ces décisions ne soient entachées d’une suspicion sur la volonté d’égalité, de liberté et de fraternité qui guide les pas de la France depuis la Révolution française. Il faut mettre fin à cet enfumage idéologique qui vient mettre en péril un joyau protégé par ce principe de séparation. Parce que le but de la loi de séparation des Églises et de l’État n’est pas de donner des prérogatives à la marche de l’État, mais bel et bien de promouvoir cette liberté au-dessus des autres dans le cadre républicain, et de la protéger, par la force de la séparation des pouvoirs temporels humains, des organisations sociales qui ont vocation à brider les consciences.
La laïcité, nous venons de le voir, c’est le principe de séparation de l’État et des fonctions publiques par la neutralité. C’est l’écrin d’une des plus importantes libertés qui ait été donnée légalement aux Hommes. Un modèle universel, une possibilité d’émancipation pour tous les êtres humains, et que la séparation protège comme le plus important héritage français, à savoir la liberté de conscience.
Mais la liberté de conscience n’est pas la liberté religieuse, ou de religion, ou de croyance, ou d’expression. Non la liberté de conscience englobe tout cela.
On peut donc critiquer un culte ou tous les cultes. On peut écrire cette critique, la dire, la chanter, la filmer, mais à la seule condition de le faire en son nom propre. Car la liberté de conscience est une liberté individuelle. Chaque citoyen est libre de penser, croire, théoriser, rationaliser, dire, pratiquer, de ne pas adhérer, de motiver ses choix, d’en débattre, de se moquer, de donner des sous, tant que cela reste dans le champ individuel.
Ce n’est donc pas la simplification martelée par l’Observatoire de la laïcité depuis sa création : « le droit de croire ou de ne pas croire ». La laïcité et la liberté de conscience vont bien au-delà de cet énoncé.
La liberté de conscience, c’est avant tout l’affirmation de la liberté de pensée. Et l’organisation légale de son expression. En qualité de liberté individuelle elle ruisselle sur tous les citoyens de manière égale, que l’on soit athée, religieux, pratiquant, nihiliste, de droite, de gauche, jeune ou vieux, homme ou femme, en province ou à Paris. Sauf dans le concordat Alsace-Moselle, qui conserve des spécificités liées aux complexités législatives et religieuses locales, avec lesquelles la République a dû composer lors du rapatriement des ces territoires à la fin de la Première Guerre mondiale. N’étant pas française en 1905, la région ne rentre pas légalement dans le cadre de la laïcité. Idem pour les DOM TOM où la réglementation n’est pas calquée partout sur le modèle métropolitain.
La liberté de conscience raisonne et résonne comme un principe partagé, égalitaire et individuel.
La loi de 1905 elle, ne gère pas l’individu, elle organise l’expression collective du rite. Elle contraint les organisations cléricales, congrégations ou autres associations religieuses, à se conformer à la loi, et les rend responsables des éventuelles infractions commises en leur nom. Elle met sous surveillance l’expression collective du culte et veille à ce que les individus ne soient pas privés de leur liberté de conscience. Elle pénalise ces dérives dans une série d’articles qui met des garde-fous et instaure une police des cultes, en établissant des sanctions financières et la fermeture des lieux de cultes qui dérogeraient aux règles. C’est à l’État de faire appliquer la loi, et aux cultes de conduire le culte dans les règles. Il est donc faux de dire qu’il y a une liberté religieuse, ou de religion, ou de culte.
Seules la liberté de conscience et la liberté individuelle de pratiquer son culte, ou d’en changer, sont protégées. Les clergés doivent se conformer à la loi.
Pourtant depuis des décennies, malgré la dénonciation des dérives, l’État ne fait rien ou si peu !
Avant les élections, des candidats politiques traînent leurs guêtres dans tous les lieux de cultes pour promettre des dômes et des minarets, des facilités immobilières, des crèches dans les lieux régaliens, des repas cultuels au nom du vivre ensemble à Noël, à l’Aïd, à Hanouka, des achats de temples bouddhistes en kit par des mairies et conseils régionaux. Aucune dérive n’est condamnée par l’État. On va même jusqu’à céder des terrains appartenant aux citoyens, pour 1 euro, à une partie de la population et à des fins religieuses.
Les règles pourtant sont très claires : » l’État ne reconnaît, ni ne subventionne aucun culte ».
L’argent de l’État, l’argent public, ne peut être utilisé pour financer, subventionner ou promouvoir un quelconque culte. L’argent du culte, c’est l’argent des croyants, pas celui du revenu de l’ensemble des citoyens. L’argent public ne regarde que l’État et les citoyens.
C’est pour cela que l’État ne doit reconnaître les cultes ni comme des corps intermédiaires ni comme des syndicats, supposés représenter une partie de la population. Pourtant il n’est pas rare que des représentants des cultes soient conviés en mairie ou dans les ministères, ou même directement connectés avec l’Elysée en visioconférence, comme pendant le confinement lié au COVID.
Les représentants de l’État ne doivent pas être partie prenante dans les affaires cultuelles, ni dans une quelconque aide à des institutions de droit privé religieux, ni parler au nom d’une partie de la population, d’une communauté. C’est interdit par le texte de 1905, réactualisé en 1958. Il s’agit ici de protéger l’individu contre un réarmement de la société en canons religieux, qui vise à affûter l’emprise des cultes collectifs sur les croyances personnelles. Les germes du pouvoir religieux sont toujours actifs, cherchant à affirmer une hégémonie culturelle, et même à modifier dans la société les perceptions morales et sociales, avec pour finalité la modification de la liberté de conscience par la loi.
Le principal ennemi du religieux est le blasphème. Un délit qui n’est plus légal en France, mais qui autorise des passages à l’acte violents en s’exonérant du droit commun, au profit de préceptes religieux qui remplacent la loi pour les plus rigoristes des pratiquants.
On peut constater l’existence d’une alliance informelle contre le blasphème. Sans que ce soit dénoncé par les autorités, tout est en place pour museler les paroles contradictoires, la critique des rites, des pratiques, des sacrifices d’animaux, du business religieux, et surtout la dénonciation de l’entrisme religieux dans les structures d’états et des financements d’associations locales et confessionnelles, où l’activité sert à la promotion du culte et des pratiques du cultes, avec de l’argent public. À la moindre remarque les anathèmes pleuvent : islamophobe, cathophobe, antisémite, laïcard, raciste…
Il est incroyable de penser que c’est avec de l’argent public que ces gens s’arment contre les citoyens et contre la liberté de conscience.
Prenons par exemple l’association Alliance Citoyenne à Grenoble, qui touche de généreux subsides de la mairie elle-même. Le but de cette association, outre quelques actions citoyennes locales, est de forcer la main des pouvoirs publics pour se baigner habillé dans les piscines. Énoncé comme ça on pourrait croire à une plaisanterie. Mais si on y ajoute le fait que ces vêtements sont des habits religieux, imposés par une pratique orthodoxe du rite, et qui reste un choix au regard de la liberté de conscience, la donne change.
Et c’est bien de l’argent public, pris sur les impôts de millions de travailleurs, de propriétaires immobiliers, etc., qui finance ce type d’action. La réponse de cette association est de qualifier d’islamophobes toutes les voix qui s’élèvent contre cet état de fait. Faire taire au nom du blasphème.
Que l’on soit Salman Rushdie, Charlie Hebdo, Zineb el Rhazoui, Mila, spectateur au Bataclan, ou simple citoyen, dans la rue ou dans une file d’attente au supermarché, nous sommes tous exposés à d’éventuelles agressions verbales ou physiques, liées au blasphème. Aucune parole d’État ne vient contrer ces menaces, on trouve même des gardes des Sceaux qui choisissent d’en appeler au respect pour faire taire les critiques de citoyens horrifiés que Mila soit mise en danger pour son opinion sur l’islam.
Respect de quoi exactement ? À quel moment le respect est un argument judiciaire, juridique?
Parce que faire taire quelqu’un au nom de son culte, ou forcer quelqu’un à exercer un culte ou des pratiques cultuelles est puni par la loi. Par la loi de 1905 et son article 31 !
»Article 31 : Sont punis de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 5ème classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. »
Si menacer quelqu’un de violence en lui demandant de se taire ou de se plier à une pratique cultuelle qui serait de ne pas dessiner le prophète, ne conduit personne devant un tribunal, doit-on s’étonner que la liberté de conscience soit si mal comprise?
Ou lorsqu’une association financée avec de l’argent public, demande comme à Grenoble que des pratiques vestimentaires religieuses soient permises dans l’enceinte d’un bâtiment public, recevant du public?
Ou lorsqu’un élu se présente à une cérémonie religieuse pour solliciter des votes, comme un retour sur investissement sur la vente à la découpe de la liberté de conscience?
Ou lorsque des associations ou congrégations religieuses sont invitées a débattre sur les lois bioéthiques à venir ?
Ou quand les élus vont mettre la ville de Lyon sous protection religieuse contre un euro symbolique ?
Ou en invitant les responsables locaux religieux à des débats dans les préfectures?
Ou quand un président de la République française s’invite à la conférence des évêques pour déclarer sa flamme au clergé catholique en promettant de réparer le lien entre l’État et les cultes ?
A coup d’argent public et d’arrêtés municipaux pour régler le problème des troubles à l’ordre public en mobilisant des forces de police ou des agents municipaux.
La liberté de conscience ne se négocie pas. Elle ne doit pas être dénaturée au profit d’un vivre ensemble entre communautés, excluant de fait l’État et les citoyens. Il en va de notre vie. Les orthodoxes faisant peu de cas de la vie en matière de blasphèmes.
C’est à l’État de prendre les choses en main, d’appliquer le titre V de la loi de 1905, le titre de la police des cultes, avec la plus grande fermeté, de communiquer suffisamment fort pour maintenir à leur place tous les religieux anti-républicains, tous les fascistes de la pensée des arrière-mondes, avec l’aval des citoyens puisque c’est le rôle de l’État que de protéger les libertés, et en premier lieu celles des consciences.
Il est temps de reposer la question d’un souverainisme laïque, qui serait initié par un État fort, au service des libertés fondamentales, sans les délayer dans une soupe droit-de-l’hommiste qui dénature le seul texte qui dirige nos pas laïques, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et que la loi de 1905 a mise en forme dans une logique d’égalité, de liberté et de fraternité.
Soyons laïques, soyons français, soyons laïquement souverains.
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