Il fait beau sur New York. L’été a du mal à finir et traîne, lumineux dans le ciel de Manhattan. Au bord du Potomac, entre ombrelles, cafés et restos, Washington a des allures de vieille Europe, et dans les têtes de chacun, ce jour-là, des choses comme nous en avons tous : dîner du soir, reprise des cours pour les enfants, que faire dimanche si la chaleur persiste, inviter des amis, des soucis pour le travail, pour le Moyen Orient, Israël, la Palestine, les Talibans, l’injustice, l’augmentation des prix, le chômage, la maladie peut-être ?
Des choses probablement très ordinaires, mais communes aux hommes, la vie quoi, avec ses soucis, ses tracas, ses bonheurs aussi.
Et puis, Et puis C’est arrivé
Et puis,
Et puis c’est arrivé.
A Paris c’était encore la cohue de la rentrée ; les gamins piaillaient avec leurs listes dans les librairies, les embouteillages avaient reconquis les rues.
Un ciel déjà gris annonçant un automne trop précoce m’a fait pester contre cette saloperie de couche d’ozone qui jouait les filles de l’air, et je suis montée dans ma voiture en me demandant pourquoi je ne vivais pas ailleurs.
Dans la voiture les infos annoncèrent du mauvais temps sur le nord et du soleil au sud. Ma pensée vagabondait, légère, sans densité, je pensais à ma fille, au nouveau cours de danse d’Anaïs. La radio parlait de violence, des enfants, d’Israël, le mot kamikaze me ramena à la discussion du dimanche précédent avec Marie à qui j’avais tenté d’expliquer combien les fanatismes étaient dangereux, la pluie s’était remise à tomber, j’avais des textes à écrire…
J’ai imaginé avec plaisir une tasse de thé, mon ordinateur et le papier que j’allais rédiger sur l’horreur des « camisoles chimiques » que l’on imposait à nos anciens, à nos vieux, dans les centres hospitaliers…
Et puis,
Et puis c’est arrivé.
Voiture garée devant ma porte, l’Info proposa un Flash spécial : une tour de Manhattan venait d’être percutée par un avion.
J’ai ouvert la maison, allumé mon téléviseur sur LCI, et là, en live, en direct comme on dit, j’ai vu la tour s’enflammer et puis l’autre tour être percutée.
Je voyais les gens au sol qui couraient, la panique sur la ville, la poussière, les pompiers, les sirènes, les cris, le feu, la peur, l’embrasement… la guerre ?
Dans un fauteuil confortable, dans l’abri douillet de ma maison, je voyais à quelques mètres de ma main, sur l’écran, des blessés et les tours effondrées ; j’imaginais les corps broyés, les souffrances, j’aurais pu les toucher, les aider, mais, si la communication permet de voir, elle ne permet pas encore de se transporter ou de se téléporter.
Je ne pouvais rien faire.
Rien pour secourir, rien pour relever ceux que je voyais au sol ; ils étaient à quelques mètres de moi, pris entre feu et pierres, et j’étais impuissante et terrifiée de l’être.
J’ai entendu les mots « terrorisme » et « bombe », traversée par une vision dantesque où le sang et la chair avaient amalgamé la pierre et fait corps avec la ferraille.
Ce jour-là, une dimension nouvelle: la folie
Ce 11 septembre 2001 ma vie a basculé avec celle sans doute de millions d’autres dans le monde.
L’histoire des hommes est jalonnée de morts et de guerres, mais il y avait ce jour-là quelque chose de différent ; une dimension nouvelle se dégageait des décombres et montait vers le ciel obscurci et noir de fumée : la folie.
Dans l’azur d’un été qui flemmardait le 11 septembre 2001, New York et Washington comptabilisèrent des milliers de morts, de blessés et de disparus.
L’apocalypse, dirent ceux qui s’attachaient au divin, la guerre, dirent les autres, le choc des cultures et des idéologies, l’Orient contre l’Occident, l’Islam contre la chrétienté !
Chacun dans son monde, selon sa peine, sa peur ou sa culture, développait les attitudes à avoir, les sanctions à prendre.
Pourtant les dernières années, le terrorisme avait, sinon été permis, en tous les cas été compris. On parlait politique, on expliquait les frustrations, on comprenait même les assassinats sordides d’enfants dans les bus. Les désespoirs entrevus cautionnaient les actions les plus terribles, que ce soit en Irlande, en Espagne, en Israël où des kamikazes se faisaient sauter dans des écoles où jouaient des enfants.
Mais, avec l’horreur qui frappa les États Unis d’Amérique, le pays le plus puissant, le plus à l’abri derrière ses forces visibles et invisibles, les hommes des autres Etats libres du monde prirent soudain intimement conscience du mot « terrorisme » qui ne fut plus juste un mot pour désigner des actes couverts par des justificatifs humanitaires ou politiques dans des pays plus ou moins développés, plus ou moins pauvres et démunis.
Le « terrorisme » pouvait atteindre chacun, n’importe où.
Le 11 septembre 2001 le mot « terroriste » prit son amplitude terroriste. Chacun perçut enfin sa structure et les menaces qu’il contenait.
Pas de privilège pour les innocents, ni pour les enfants, ni pour personne. Attenter à la vie, apporter la mort, à n’importe quel moment, à n’importe quel endroit, à n’importe qui, puis par le truchement de ces terreurs suspendues, installer la peur et l’utiliser pour maîtriser, gagner, prendre, s’approprier… mais quoi ?
Je vous laisse y réfléchir.
© Louise Gaggini
Ecrivain, journaliste, mais aussi sculpteur et peintre, pianiste, bref une « artiste plurielle ». Diplômée de lettres, d’Histoire de l’Art et de Conservatoire de musique. Auteur de nombreux dossiers pour la presse et la télévision, dont certains ont été traduits par l’Unesco, des organismes humanitaires et des institutions étrangères à des fins d’éducation et de prévention et d’autres furent diffusés par l’EN, Louise Gaggini est l’auteure d’essais et de romans dont La résultante ou Claire d’Algérie et d’un livre d’art pour l’UNICEF: Les enfants sont la mémoire des hommes. Elle est aussi l’auteure d’essais de société, et expose régulièrement, récemment à New York.
elle a publié son premier roman pour littérature jeunesse en 2001, et son premier roman pour adultes en 2004.
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