Six ans après les attaques jihadistes de Paris s’ouvre le méga-procès des vingt responsables du carnage. Pour Alexandre del Valle, le vrai enjeu de ce procès est de dresser le bilan du laxisme judiciaire et de l’inconsistance des dirigeants qui se soucient moins de la sécurité des citoyens que du risque d’être pointés du doigt par les forces médiatiques et intellectuelles de la déresponsabilisation.
Moins d’un mois après la « victoire des talibans » en Afghanistan, d’où est parti le jihadisme moderne d’Al-Qaïda durant la guerre froide face à l’occupation russo-soviétique, mais 20 ans déjà après les attentats du 11 septembre 2001 et le début de la « guerre contre la terreur », le moins que l’on puisse dire est que les massacres régulièrement perpétrés par les « coupeurs de tête » depuis vingt ans partout dans le monde n’ont pas entraîné une vague d’autocritique au sein de l’islam mondial orthodoxe et encore moins une régression de l’islamisation radicale : les conversions à l’islamisme, les revendications communautaristes, les projets de centres, de mosquées et d’écoles islamistes portées par les Frères musulmans, le Qatar, le tabligh, les salafistes, la Turquie d’Erdogan, le Pakistan, ou autres pôles de l’islamisme soft, ou hard, sont en pleine expansion, et la progression de l’islam politique n’a aucunement fait reculer le jihadisme.
Notre constat formulé dans La Stratégie de l’intimidation (2018) se confirme : « Plus le jihadisme tue, plus l’on parle de l’islamisme – en bien ou en mal –, plus cela sert son prosélytisme, et plus la « Solution » de la charia censée régler tous les problèmes et régner à terme sur la terre entière gagne les esprits, sur fond de victimisme et de paranoïa collective. » Or, face à la paranoïa, la pire des ripostes est la culpabilisation, dont l’Occident est champion.
« L’islamisme est un bloc »
La première leçon que l’on devrait tirer est, pour paraphraser Clémenceau à propos de la Révolution, que l’islamisme « est un bloc » : certes, l’islamisme « dur des « coupeurs de têtes », qui sidère et aimante les médias par le sang qu’il fait couler au nom de la « défense des vrais musulmans » face à leurs ennemis, n’utilise pas les mêmes moyens que l’islamisme « modéré » des « coupeurs de langues » qui, tels les Frères musulmans, instrumentalisent l’antiracisme, intimident moralement et font ainsi taire les infidèles, avec l’aide de la gauche tiers-mondiste et des juges… Mais ces deux faces de Janus du totalitarisme vert s’abreuvent à la même doxa théocratique islamiste. Étonnamment, l’islamisme subversif est encore plus présent et puissant en Occident aujourd’hui qu’en 2001 : il y contrôle maintes institutions de représentation de l’islam alors qu’il est combattu dans certains pays musulmans (!), et il sape de l’intérieur les fondements des sociétés ouvertes en incitant les musulmans à ne pas s’intégrer aux valeurs des « mécréants », l’objectif final étant le règne universel de l’islam.
La seconde leçon est que la menace, asymétrique, à la fois endogène et exogène – face à laquelle le feu atomique ne peut rien, comme le rappelait Soljenitsyne – est de plus en plus civilisationnelle, sociétale, et pas seulement fruit de groupes « extrémistes » qui n’auraient rien à voir avec l’islam officiel : les quatre dernières attaques perpétrées sur le sol français sont le fait d’individus non suivis pour radicalisation, issus de l’immigration et dont le passage à l’acte a été motivé non pas par l’État islamique ou Al-Qaïda, mais par une volonté de « punir les blasphémateurs » et « les ennemis des musulmans », comme l’y encouragent les grands pôles de l’islamisme officiel (Frères musulmans, Millî Görüş, salafistes, Tabligh, OCI, ISESCO, etc.) qui ont pignon sur rue dans nos démocraties et harcèlent les “islamophobes”. L’affaire Samuel Paty est à cet égard emblématique : le décapiteur tchétchène a massacré le professeur à la suite d’une campagne de harcèlement initiée par les Frères musulmans et relayée par des mosquées (Pantin), les associations (Conseil des Imams de France) et les réseaux sociaux au nom de la charia qui punit gravement le blasphème. Cette pénalisation du blasphème, parfois par la peine de mort, s’observe d’ailleurs dans la totalité des pays musulmans, excepté l’Albanie ex-communiste. Ce jihadisme « chariatiquement correct » pose un défi énorme aux services de sécurité, et il est à mettre en parallèle, depuis l’Affaire Rushdie en 1989, avec les récurrents appels à punir les caricaturistes, les journalistes, les bloggeurs blasphémateurs (Théo Van Gogh, Redecker, Charlie Hebdo, Mila, etc.). Force est de constater, comme à Londres avec l’importation de la « tradition » islamiste pakistanaise consistant à vitrioler les musulmanes frivoles, que l’immigration islamiste non contrôlée importe chez nous les problèmes des pays d’origine. La peine à 4 mois avec sursis prononcée, il y a deux mois, contre ceux qui ont menacé Mila au point qu’elle doit vivre cachée, tout comme la remise en liberté récente du Tchétchène qui voulait en découdre avec elle confirment, comme la libération anticipée ou le non suivi de maints fichés S, le laxisme de juges non formés à cette menace et à la psychologie duplice des islamistes institutionnels qui bernent aisément juges et travailleurs sociaux : le mensonge est permis pour servir une mission prosélyte face aux mécréants, et la culpabilité identitaire des Occidentaux est une aubaine. Les “incidents” survenus lors de l’hommage à Samuel Paty témoignent de l’adhésion croissante de jeunes à cette culture théocratique : 793 faits signalés dans des collèges, lycées et écoles (provocations, contestations, apologie du terrorisme).
Le manque d’éthique de responsabilité des dirigeants occidentaux
Pour revenir aux attentats de novembre 2015, rappelons que trois assaillants du Bataclan étaient connus des services de renseignement : Samy Amimour, le terroriste abattu au Bataclan par un commissaire de la Bac, avait été auditionné en octobre 2012 par la DCRI et placé sous contrôle judiciaire, mais il n’a pas été mis sous surveillance et donc a pu se rendre en Syrie en septembre 2013 avec Ismaël Omar Mostefaï, l’un des deux autres assaillants du Bataclan, lui-même fiché S, mais laissé libre de mouvement. Quant à Foued Mohamed-Aggad, il était connu de la justice pour avoir rejoint l’EI avec neuf autres Strasbourgeois en décembre 2013. Concernant les frères Kouachi, auteurs de la tuerie de Charlie Hebdo de janvier 2015, liés à Al-Qaïda, Chérif avait été arrêté pour avoir appartenu à la filière jihadiste des Buttes-Chaumont. Il s’était radicalisé en prison entre 2005 et 2008, et était donc parfaitement connu des services. Quant à Saïd Kouachi, repéré par la DGSI dans un camp d’Al-Qaïda au Yémen en 2011, on peut s’étonner que les écoutes téléphoniques le visant aient été suspendues sur décision de la DGSI en juin 2014, six mois avant l’attaque de Charlie hebdo. On peut citer également Yassine Salhi, qui décapita à Saint-Quentin-Fallavier, le 26 juin 2015, le chef d’entreprise Hervé Cornara, et qui n’était plus surveillé alors qu’il avait été fiché S comme radicalisé salafiste, ou encore Adel Kermiche, l’égorgeur du père Jacques Hamel, tué dans son église de Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016, qui n’aurait pas pu agir s’il n’avait pas été remis en liberté juste avant.
On pourrait citer aussi les innombrables cas de jihadistes issus de l’immigration clandestine et multicondamnés, libérés de prison par anticipation par le juge d’application des peines, ou jamais expulsés vers leurs pays alors qu’ils devaient l’être. La liste est trop longue.
En guise de conclusion…
De même, les attentats de 2015 auraient pu être empêchés si nos politiques, hypocritement moralistes envers le régime de Bachar al Assad, alors appelé à être renversé (ce qui a été perçu comme encouragement au jihad pour l’ex-imam de la mosquée de Lunel par exemple… ) avaient tenu compte de la liste de terroristes francophones recrutés par l’EI et Al-Qaïda en Syrie, qui fut remise par le patron du renseignement intérieur au gouvernement Hollande qui refusa d’en tenir compte car établie avec la collaboration des services secrets syriens honnis. La politique, comme la stratégie, commence par la désignation de l’Ami et de l’Ennemi (principal), nous enseigne le politologue Julien Freund. Et Max Weber a montré l’importance de l’éthique de responsabilité…
© Alexandre Del Valle
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