Avec la coalition au pouvoir, un observateur lointain pourrait avoir l’impression que tout roule à nouveau et que tout est rentré dans l’ordre après la crise que l’on sait. Mais ce serait là une illusion dont l’épreuve critique sera l’évolution des tensions qui lui sont inhérentes.
Le gouvernement est, certes, légal dans la procédure qui a conduit à sa formation, mais sa légitimité démocratique est très faible. Il est le produit d’un ensemble de minorités qui ne se sont unies que pour exclure la majorité du pouvoir. Le premier ministre est extrêmement faible car son autorité repose sur 7 députés. C’est Yair Lapid, ministre des affaires étrangères et chef de Yesh Atid, le parti qui a le plus de poids (quoique 17 sièges) qui occupe la scène, alors que Bennett, si présent avant la formation de la coalition, révèle le profil d’un personnage plutôt fallot. C’est, justement, et contrairement à ce que la coalition annonce, un gouvernement de centre gauche et pas de droite, dont le chef du principal parti annonce à l’envie qu’il poursuivra quand il sera au pouvoir les illusions d’Oslo.
Mais le plus grave est ailleurs, toujours à la Knesset, car cette coalition de bric et de broc ne se maintient au pouvoir que parce qu’elle bénéficie d’un double système de protection que lui procurent les deux partis arabes, des partis qui sont depuis toujours, et déclarativement, hostiles à l’Etat d’Israël, au sionisme, adeptes zélés du boycott et de l’accusation d’Israël dans l’arène internationale. Le parti des Frères musulmans, d’un côté, soutient la coalition en se livrant à un véritable chantage aux subventions, en menaçant lors de chaque vote de ne plus soutenir la coalition qui ainsi d’effondrerait. Mais c’est sans compter, de l’autre côté, le parti de la liste unifiée d’Amad Tibi. Lui ne soutient pas la coalition mais dispose par contre des voix qui la sauveraient si d’autres voix – ne serait-ce qu’une voix – faisaient défaut (celles des partis généralistes ou de l’autre parti ethnique arabe). La Liste unifiée fera tout, en effet, pour éviter de voir la droite et donc Natanyahou, revenir au pouvoir et pour maintenir le pouvoir israélien dans une fragilité radicale: dans sa dépendance.
Le gouvernement israélien est ainsi dans la main de deux partis antisionistes, soutiens du Hamas et du Hezbollah. D’aucuns ont vu dans cet état de faits le début de la libanisation d’Israël. Il est vrai que dans tout le Moyen Orient, sauf en Turquie et au Katar, les Frères musulmans sont bannis du pouvoir et pourchassés.
C’est l’éclipse du sionisme qui s’annonce, dont Lapid nous a donné une illustration il y a quelques semaines en jugeant que l’antisionisme et l’antisémitisme qui se manifestent sur la scène internationale relevaient de la même haine envers les Noirs, les femmes, les ex colonisés et autres BLM alors que ce sont dans ces milieux mêmes que la haine d’israël, qui frappe d’abord les Juifs diasporiques, est la plus répandue. Ce que ce jugement illustre c’est tout simplement l’éclipse de la condition des Juifs comme peuple dans le cercle politique. Je rappelle que la première caractéristique de l’antisémitisme c’est de s’attaquer à la condition de peuple qu’il y a dans les individus juifs (c’est ce qui est à la source du mythe du complot juif mondial et c’est pour se libérer de cela même que le sionisme est né. Aujourd’hui cette condition de peuple est doublement identifiée dans le sionisme, c’est à dire un Etat-nation juif réél. Je me demande quel Israël et quel sionisme l’Agence juive de la coalition va pouvoir vendre aux candidats à la alyiah… Installez vous dans un futur Liban?
Une question bien plus grave que la politique politicienne est ici posée.
© Shmuel Trigano
Shmuel Trigano est Professeur émérite des Universités
*chronique du 2 septembre 2021 sur Radio J
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