C’est reparti : tous les media ciblent Pegasus, l’espion israélien

Richard Kenigsman. Décidément « toujours d’actualité »

Il est en fait que dans certains Etats du monde, notamment au Maroc, des opposants et autres journalistes sont espionnés via Pegasus, invention israélienne. Mais pourquoi diable ferait-on le distingo entre l’inventeur et ses clients, surtout lorsque ledit inventeur se trouve être Israël.

Ah ça faisait un bout de jours qu’ils n’avaient rien à se mettre sous la dent à l’encontre de l’Etat hébreu, et même avaient dû encenser sa gestion du Covid : la chose n’aurait su durer, et, heureusement, Pegasus est apparu.

C’est Forbidden Stories et ses partenaires, dont Radio France, qui aurait mené l’enquête : Le logiciel espion Pegasus, inventé et donc vendu par Israël, a été utilisé par le Maroc pour surveiller des journalistes et des patrons de presse au Maroc mais aussi en France. On apprend ainsi qu’un Edwy Plenel, tout comme un  Eric Zemmour, auraient été à la même période sélectionnés comme cibles par les services de renseignement marocains, et seraient les victimes d’une infection de leur téléphone par Pegasus.

Sur la liste de cibles potentielles, apparaissent les numéros de très nombreux journalistes français du Monde, de France Télévisions, de France 24, entre autres. Les autorités marocaines auraient encore sélectionné des numéros de téléphone fixe de journalistes de Radio France, alors que la technologie Pegasus ne fonctionne que sur les smartphones.

L’info ne vient pas que de Forbidden Stories :  Le Security Lab d’Amnesty International, partenaire technique du consortium formé par Forbidden Stories, lui prête main et confirme de manière incontestable que ces téléphones ont été infectés et des Français espionnés.

A titre de preuves, les analyses des Iphones des journalistes ou patrons de médias français qui ont accepté un examen par Amnesty ont été concluantes : ils auraient tous été mis sous surveillance, de cette ancienne chroniqueuse judiciaire du Canard à cet ancien directeur de la radio TSF Jazz, qui mène depuis trois ans des actions humanitaires au Maroc en faveur notamment des prostituées, en passant par des contributeurs de Mediapart qui auraient enquêté sur les services secrets de Rabat, par cette journaliste du Monde ou encore le fondateur en personne de Médiapart, duquel le smartphone a été infecté juste au moment où Edwy Plenel avait exprimé publiquement son soutien au Hirak marocain, aux prisonniers du Rif et dénoncé l’absence de liberté la presse dans le pays.

Pire : le journaliste marocain Omar Radi, dont Security Lab d’Amnesty avait démontré qu’il était espionné via Pegasus, est aujourd’hui en détention provisoire pour une affaire de violence sexuelles que beaucoup d’observateurs estiment montée de toutes pièces, les affaires de mœurs étant devenues la nouvelle arme de Rabat pour museler ses journalistes.

En réalité, si les technologies de pointe comme Pegasus sont censées servir à lutter contre le crime et le terrorisme, les voilà détournées et utilisées contre ceux qui défendent la liberté d’expression : c’est ce que montre l’enquête de Forbidden Stories.

Si les autorités marocaines démentent formellement ces accusations et réfutent toute relation entre le Maroc et NSO, la compagnie israélienne qui commercialise Pegasus, Le Monde et seize autres rédactions attestent avoir eu accès, via une enquête menée depuis 6 mois, à plus de 50 000 numéros de téléphone potentiellement ciblés par Pegasus, et cela pour le compte d’une dizaine de Gouvernements. Il s’agit, selon ladite enquête, d’une arme numérique utilisée contre journalistes, avocats, militants et responsables politiques de nombreux pays, dont la France.

Dans cet annuaire à la Prévert, il se dit qu’on trouve des Chefs d’Etat européens, des députés de l’opposition d’un pays africain, et que princes et princesses côtoient ambassadeurs, généraux, chefs d’entreprise, milliardaires, mais encore moult  journalistes, avocats et militants des Droits de l’homme.

Israël et NSO 

Depuis sa création, en 2011, l’entreprise israélienne vend son logiciel comme un outil destiné à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, et assure que les cas de surveillance politique seraient des incidents isolés…

D’évidence, NSO Group a bien révolutionné l’espionnage, puisque l’analyse des données consultées par Le Monde et ses partenaires montre que terrorisme et grand banditisme ne constituent qu’une infime partie des utilisations, tout au moins pour des Etats comme l’Azerbaïdjan, le Maroc ou le Rwanda, pays où les opposants sont les principales cibles de ce logiciel espion sophistiqué. Les informations que Le Monde et ses partenaires publient, depuis hier 18 juillet, dans une série de révélations programmées tout au long de la semaine à venir, prouveront, nous promet-on, que ces abus sont la norme et non l’exception et consistent en réelles violations des Droits de l’homme, la législation internationale n’encadrant qu’à la marge les ventes de ces logiciels.

Il n’en a pas fallu davantage aux faux amis d’Israël pour insinuer que les activités de NSO éclairent, en partie, les rapprochements récents de l’Etat hébreu avec l’Arabie saoudite, la Hongrie ou le Maroc. Rien que ça. Les Accords d’Abraham, c’est du chiqué.

La NSO Group nie fermement ce qu’elle qualifie de fausses accusations : la société israélienne affirme ne pas connaître en temps réel l’usage fait par ses clients de Pegasus, ni le contrôler, mais s’engage à enquêter sur les accusations crédibles d’utilisation abusive de son logiciel et à agir en fonction des résultats de ces enquêtes, par exemple en interrompant l’accès de certains clients au système en cas d’abus confirmés.

Pour info, Pegasus, dépassant l’écoute téléphonique, peut de fait aspirer l’ensemble des données contenues dans un téléphone, depuis les photographies ou les carnets d’adresses jusqu’aux messages échangés sur des applications dites sécurisées comme Signal ou WhatsApp, ledit logiciel pouvant être installé à distance et en toute discrétion grâce à des failles de sécurité dans les logiciels d’Apple et Google.

Pour info encore, la société NSO, basée à Herzliya, dans la banlieue de Tel Aviv et créée en 2009, emploie quelque 750 salariés. NSO, c’est l’histoire de N, S, et O, pour Niv Carmi, Shalev Hulio et Omri Lavie, ses trois cofondateurs.Les voilà développant alors un outil permettant aux services après-vente des opérateurs téléphoniques de se connecter à distance sur les téléphones de leurs clients avec leur consentement. De là à devenir une technologie fort utile aux espions, il n’y a qu’un pas.

Les chefs d’entreprise, amis d’enfance, ne sont ni geeks, ni hackeurs, ni espions. Mais ils ont embauché  des hackeurs capables de découvrir des failles informatiques cachées dans des millions de lignes de code et de créer de puissants logiciels pour les exploiter. Ils obtiendront auprès de l’administration israélienne les autorisations nécessaires pour exporter leur produit.

NSO affirme aujourd’hui avoir mis en place un strict cadre éthique, avec notamment l’installation d’un comité interne qui examine chaque vente et ses conditions. Le 1er juillet, l’entreprise a publié son premier rapport de transparence, document long de trente pages censé faire la lumière sur les pratiques éthiques de la société.

Sarah Cattan

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2 Comments

  1. Que cesse l’hypocrisie.
    TOUT peut devenir une arme ; un logiciel aussi. On parle alors d’une « arme par destination ».
    Une arme peut servir les gentils et les méchants. Si tant est que l’on sache qui est qui…

    Israël vend des armes ; la France aussi.
    La France en vend beaucoup plus qu’Israël vu qu’elle est le troisième exportateur d’armes au monde (derrière les USA et la Russie, mais devant tous les autres, dont l’Allemagne, la Grande-Bretagne etc…).
    La France est donc très mal placée pour prêcher la morale.

    Les champions mondiaux de la cyberguerre sont évidemment les américains ; ensuite, c’est les russes. D’ailleurs NSO interdit d’utiliser son Pegasus pour espionner les USA et la Russie ; sans doute à charge de revanche.

    Le système Pegasus, s’il n’avait pas été développé par l’entreprise israélienne NSO et vu la demande mondiale en la matière, le serait tôt ou tard par une autre entreprise ; c’est peut-être déjà fait.

    Où mène tout ce vacarme ? Nulle part.
    Puisque, sous les mêmes appellations ou sous d’autres, NSO continuera à vendre son Pegasus ; et plus que jamais vu la publicité actuelle qui est faite au produit.

    Ceux-là mêmes qui le fustigent actuellement s’activent, derrière les coulisses, pour en faire l’acquisition ou pour en développer l’équivalent. J’en connais même au Quai d’Orsay, à Beauvau, à l’hôtel de Brienne, à l’Elysée….J’en passe.

    Il est temps d’admettre que désormais RIEN n’est et ne sera secret dans nos téléphones portables. Avec ou sans NSO et Pegasus.

  2. Mettons cette histoire de NSO-Pegasus dans son contexte : celui du « high-tech » israélien.

    • Les cyber-entreprises israéliennes ont levé sur les marchés financiers, au premier semestre de cette année (à fin juin donc) plus de 2.8 milliard d’Euros. C’est plus que TOUTE l’année 2020…
    • Ceci correspond à au moins 40% du total des levées de fonds privés DANS LE MONDE.
    • Pendant ce même semestre 18 cyber-entreprises israéliennes ont effectué un « exit » ; vendues pour un total proche de 1.9 milliards d’Euros.
    • Pendant ce même semestre sept cyber-entreprises israéliennes sont devenues des « licornes » ; dépassant la valorisation d’un milliard des dollars.
    • Un tiers des cyber-licornes au monde sont des entreprises israéliennes.

    Stratosphérique. Sans précédent…

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