Bon
Vendredi
Chabbat
Chabes
Papa était arrivé avec un passeport d’apatride…
Mais une de ses sœurs qui habitait en France l’hébergea pendant son transit provisoire avant qu’il appareille pour le pays du lait et du miel…
Du lait et du miel, on n’était pas sûr d’en trouver à foison, mais une terre pour y élever une lignée d’enfants juifs qui ne connaîtraient plus jamais « ça », les rescapés en rêvaient…
Et beaucoup partirent, la Diaspora avait avec éclat démontré sa capacité de nuisance anti sémite…
Papa s’apprêtait à gagner ce qui serait Israël quelques mois plus tard, les fumées d’Auschwitz lui carbonisaient encore l’âme et le cœur…
Et puis une marieuse à l’affût d’une commission, des yeux myosotis, une silhouette gracile, Papa épousa maman, la France et de Gaulle…
Le lait et le miel attendraient…
Maman était restée évasive sur la date d’un hypothétique exil, peut-être, pourquoi pas, je sais pas…
Et puis…
Je suis enceinte, le voyage, le bébé, ma mère toute seule, mes cousines, les chaussures à talons hauts, les petits bibis à aigrette, j’ai fait l’école Pigier, moi, tu me vois cueillir des oranges par une température caniculaire ?
Il voyait, mais n’osa le dire…
Une autre sœur, son mari et ses enfants l’attendaient avec fébrilité.
Il annonça le report, puis la décision finale.
Enfin, Sa décision…
Bref
Ils s’installèrent en France, rue des Gravilliers, chez Mémé en attendant de trouver un logement.
Ce fut rue Etienne Marcel, Papa avait travaillé comme ouvrier tailleur avec acharnement, l’appartement ferait aussi office d’atelier, il devenait son propre patron même s’il travaillait encore pour d’autres.
Et parallèlement à cette vie de labeur, il vivait dans l’attente fiévreuse de cette intégration dont il rêvait : la naturalisation…
Qu’il obtint dans une liesse partagée avec des amis…
Il était français.
Français !
Oui, Madame !
Français !!
Ce qui lui donnait quantité de nouveaux droits dont celui de monter une petite entreprise…
Et un passeport français…
Qu’il exhibait avec amour et fierté !!
Chez nous, on était français, on se nourrissait de biftecks, de côtes de mouton, de purée et de carrelets poêlés qui empestaient la cuisine …
On n’avait pas encore de douche, Papa se rasait au- dessus de l’évier et Maman sortait une baignoire en fer blanc pour me décrasser dans la vapeur chaude qui laquait les murs de la cuisine…
Un séchoir pendait au plafond qu’on descendait à l’aide d’une ficelle quand la lessiveuse avait fini de cracher ses brumes épaisses jaillies du champignon central.
Mais je garde le meilleur pour la fin comme quand on avale à la hâte ses haricots verts pour attaquer l’entrecôte…
Papa avait obtenu le droit de vote.
Il était citoyen français.
Il pouvait déposer librement son bulletin dans l’urne…
Oubliés, le lait, le miel et les oranges, sa sœur adorée vivait heureuse à Bnei Bracq, bourgade ultra religieuse bien que profondément athée elle- même, et Papa votait en France…
Et cette autorisation de peser sur la vie politique de son pays d’adoption, ce symbole ultime d’intégration à la fois nationale et sociale, alluma en lui des feux de gratitude et d’intérêt pour l’histoire, la culture, et l’évolution de ce pays qui l’avait conquis…
Le droit de vote !
Un cadeau de l’état français en échange de son travail et de sa fusion avec le pays qui lui offrait la sécurité et une éducation gratuite pour ses enfants…
Tout ça pour dire que j’ai été biberonnée au plaisir de connaître des élections libres, toutes origines et toutes religions confondues…
Alors ce mépris de l’offre électorale, cette abstention massive des Français de toutes origines qui crachent sur cette liberté, me ramènent inexorablement aux cris de joie de mon père qui caressa son premier bulletin de vote avec dévotion …
Comme je lui parle souvent, j’essaie de lui expliquer …
C’était facile de voter pour de Gaulle qui avait promis de ramener la paix en Algérie.
Aujourd’hui…
Que cette journée sans confinement et sans couvre -feu signe l’allégresse d’un Chabbat familial festif et tendre…
Chabbat Chalom
Git chabes
Je vous embrasse
© Michèle Chabelski
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