Hagay Sobol. Tsunami politique

Israël élections : union nationale ou coalition hétéroclite ?

Une large coalition intégrant toutes les sensibilités, et pour la première fois un parti arabe, devrait mettre un terme à deux ans d’instabilité politique en Israël.

La Knesset / wikipédia CC BY-SA 3.0

Après un suspense digne des meilleurs films d’Hitchcock, de multiples rebondissements et juste avant l’expiration du délai légal, le chef de l’opposition israélienne, Yaïr Lapid, a pu annoncer qu’il avait réussi à former une coalition gouvernementale d’union nationale. S’il recevait l’aval de la Knesset – le Parlement israélien- cela mettrait un terme au règne sans partage du Premier Ministre actuel, Benjamin Netanyahou, et verrait pour la première fois dans l’histoire du pays, un parti arabe islamiste intégrer un gouvernement de l’Etat Juif. Cette configuration inédite suscite déjà nombre de commentaires, en Israël même, ainsi qu’à l’étranger.

 En Israël tout change très vite. La crise sanitaire est déjà loin, et l’on peine à imaginer qu’il y a quelques jours encore le ciel des grandes villes de l’Etat Hébreu était constellé de roquettes du Hamas lancées depuis Gaza. Ce qui passionne désormais les israéliens, c’est le nouveau feuilleton politico-judiciaire où le leader de l’opposition, le centriste Yaïr Lapid, a réussi à constituer une coalition gouvernementale alors que le Premier Ministre Benjamin Netanyahou, en place depuis 12 ans et en délicatesse avec la justice, a échoué à le faire. C’était pourtant ce dernier qui avait précipité les élections en ne voulant pas honorer son engagement de rotation avec son partenaire Benny Gantz du parti centriste Bleu Blanc. « Bibi » (surnom donné au Premier Ministre) et son parti le Likoud affirment qu’ils n’ont pas dit leur dernier mot et qu’ils feront tout pour que cette coalition ait une durée de vie des plus courtes. L’Iran et ses supplétifs du Hamas ou du Hezbollah ne sont pas en reste. Ayant déjà provoqué la dernière confrontation à Gaza pour éviter qu’un parti arabe israélien ne rejoigne le gouvernement, ils peuvent remettre l’ouvrage sur le métier afin de disloquer la coalition qu’ils n’ont pu empêcher car la coexistence pacifique entre juifs et arabes remet en cause toute leur politique.

Le Bloc du changement ou une coalition faite de bric et de broc ?

La nouvelle coalition est composée de formations issues de toutes les familles politiques – l’union nationale par temps de crise est une tradition en Israël – avec : trois partis de droite, (Israel Beiteinou d’Avigdor Lieberman, Yamina de Naftali Bennet, Nouvel Espoir de Gidon Saar), deux partis centristes (Yesh Atid de Yaïr Lapid, Bleu Blanc de Benny Gantz), deux partis de gauche (les Travaillistes de Merav Michaeli, Meretz de Nitzan Horowitz) et pour la première fois un parti arabe islamiste israélien (Ra’am de Mansour Abbas). Pour les uns, elle permettra à toutes les sensibilités de s’exprimer et est attendue par une majorité d’israéliens, alors que pour les autres, il s’agit d’un rassemblement hétéroclite, à la viabilité limité, ayant pour seul programme le « tout sauf Bibi ». Pourtant, la plus part des membres de cette coalition, y compris le parti Ra’am, étaient jugés Bibi-compatibles, il y a peu de temps encore, par le principal intéressé.

Un agenda bien chargé

Du fait de la crise politique prolongée – avec 4 élections successives sans majorité stable – cela fait plus de deux ans qu’aucun budget de l’Etat n’est voté. Des projets essentiels, touchant aussi bien le social, les infrastructures que la défense nationale, n’ont pu être mis en œuvre. Assurer le quotidien relevait d’un numéro d’équilibriste auquel il fallait rajouter la pandémie de COVID-19 et les menaces sécuritaires de l’Iran via Gaza, le Liban, la Syrie et sur les mers, sans oublier la course effrénée de la théocratie chiite vers la bombe. Le nouveau gouvernement, s’il est confirmé à la Knesset, aura donc fort à faire tant sur le plan intérieur, avec une société très divisée, qu’à l’international avec une administration américaine beaucoup moins favorable que la précédente et les avancées de la Chine au Moyen-Orient.

L’échec de l’Iran et du Hamas

Depuis sa création, la République islamique d’Iran instrumentalise la cause palestinienne pour faire avancer sa politique hégémonique et contester le leadership musulman à l’Arabie Saoudite. Les Mollahs de Téhéran et les islamistes de Gaza prônent la libération de « la Palestine du Jourdain jusqu’à la Méditerranée ». Dans cette vision, les citoyens arabes israéliens sont des palestiniens dont il faut délivrer la terre. La décision de Mansour Abbas, chef du parti arabe Ra’am, de rejoindre une coalition d’union nationale en Israël apporte un cinglant démenti aux aspirations du Hamas et de son suzerain perse.

Si les communautés arabe et druze sont largement représentées dans tous les secteurs de la société israélienne, avec des ministres, des députés, des juges, des officiers de haut rang de l’armée, des médecins ou des universitaires, il s’agit d’un évènement sans précédent. Jusque-là, les partis arabes bien qu’étant israéliens, reprenaient la rhétorique palestinienne. C’est la première fois qu’un parti arabe qui plus est islamiste, accepte de jouer pleinement le jeu de la démocratie israélienne en participant à l’exercice du pouvoir pour défendre les intérêts de sa communauté et contribuer à l’avenir du pays. Si les accords d’Abraham avaient signifié la fin du conflit israélo-arabe, Mansour Abbas, donne le signal de la normalisation des relations des citoyens arabes israéliens avec l’Etat hébreu. Avec un parti arabe permettant d’assurer la stabilité politique on est décidément bien loin d’un pays d’apartheid !

Le cauchemar de la proportionnelle

Il est une autre tâche à laquelle les élus israéliens doivent s’atteler. C’est la réforme des institutions politiques. Dans le programme présenté par la nouvelle coalition, il est prévu de limiter à deux le nombre de mandats successifs d’un Premier Ministre comme cela se pratique dans bon nombre de démocraties. Cela permettrait de renouveler le personnel politique et de faire monter en compétence de jeunes talents dont le pays ne manque pas. Mais il est un autre point sensible responsable de l’instabilité politique actuelle, celui du scrutin à la proportionnelle aux élections générales. Ce système donne un pouvoir exorbitant, hors de leur représentativité réelle, à de petites formations qui au gré de leurs intérêts propres font et défont les coalitions au détriment du collectif.

L’exemple israélien, devrait faire réfléchir les femmes et les hommes politiques qui, sous nos latitudes, plaident ardemment pour la proportionnelle. Ce système né d’un principe généreux voulant favoriser l’expression des différentes sensibilités, s’il est poussé à l’extrême, rendrait ingouvernable notre pays et mettrait en péril la démocratie.

Hagay Sobol

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10 Comments

  1. Je vous rejoins totalement sur le mouvement que le parti raam vers la normalité.
    C est effectivement lui qui prend le plus gros risque de rupture avec ses positions habituelles .
    Neanmoins Israel est a 70% a droite et un gouvernement tel que celui ci est une lourde defaite du likoud qui va certainement mettre fin a l ere « Bibi » de ce fait .

  2. T. Amoouyal,
    Merci pour votre commentaire.
    Vous avez tout à fait raison. Mansour Abbas prend tous les risque et met sa vie en danger. Même si en arabe il affirme n’avoir rien changé à ses objectifs,en réalité ses actes démontrent le contraire.
    Il est paradoxal et même choquant de constater que Netanyahou qui a fait de grande chose, pour garder le pouvoir à tout prix, fragilise les institutions en prolongeant l’instabilité politique.
    Face aux grand dangers qui menace le pays, la faiblesse n’est pas de mise elle met toute la population en danger. Il n’y a qu’un Etat juif dans le monde et il protège par son existence les juifs du monde entier.
    C’est cette seule considération qui devrait primer quand on brigue le poste de Premier ministre.

  3. Il n’en reste pas moins que Benett a trahi ses électeurs d’une part et d’autre part comment un parti qui n’a eu que 6 députés puisse revendiquer la Présidence du Conseil à moins que Benett soit le teckel de Lapid (dont je rappelle que c’est un provocateur puisqu’il affirmait haut et fort qu’il n’écrivait dans son blog que le jour du Chabbat parce que c’est le jour de repos en Israel, c’est tout de même de la provoc, rien ne l’obligeait à le dire et puis ça ne regarde personne).
    Jusque-là avec le statut quo sur le plan religieux , Chabbat, transports publics a bien fonctionné à ma connaissance, les résultats le prouvent. Pourquoi casser cette mécanique ?

  4. Si la nouvelle coalition pouvait, entre autres, contribuer à séparer la Religion juive de l’Etat juif, ce serait une avancée de taille souhaitée par un grand nombre de Juifs, en Israël ou en Diaspora.
    Depuis l’avènement de l’Etat d’Israël, multiconfessionnel, la laïcité n’est pas incompatible avec le judaïsme.

    • C’est déjà le cas. L’Etat Hébreu est séculier avec une Loi fondamentale civile (servant de Constitution) et ne repose pas sur la Halakha.
      Israël est un Etat Juif au sens du peuple juif et non pas au sens religieux orthodoxe. Le droit au retour s’applique aux juifs qu’ils soient reconnus par la Halakha et aux personnes d’ascendance juive.
      Les Rabbins n’interviennent que dans le domaine religieux. On peut regréter qu’ils s’impliquent en politique ce qui tend à brouiller les cartes…

    • Shlomo Khalifa,
      Tout à fait. Seule remarque, le seul pays laïque est la France où le religieux est dans la sphère privée. Dans le reste du monde on parle de sécularisme où le religieux peut être dans la sphère publique mais l’Etat repose sur une Constitution.

  5. Il est urgent de changer le système électoral et je trouve anormal qu’avec 6 députés Bennet devienne premier ministre ! Je n’attends rien de bon de ce gouvernement,!

    • C’est ce que je dis dans l’article. La proportionnelle quasi intégrale est un piège de même que le nombre illimité de mandats au poste de Premier ministre.

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