Charles Rojzman. Récit fidèle d’un séminaire entre israéliens et palestiniens

Récit fidèle  d’un séminaire entre israéliens et palestiniens qui mérite d’être conté à propos d’un  conflit centenaire qui a ses propres contingences, politiques, religieuses, géostratégiques ,  sans illusions inopportunes donc, mais avec la conviction qu’il existera toujours  dans le coeur des hommes quelque chose qui est capable de résister à la haine et de revenir à la raison.

J’anime ce jour-là un séminaire de thérapie sociale  entre israéliens  juifs et palestiniens à Beitjallah dans ce qui est la Cisjordanie pour les uns,  la  Judée-Samarie pour les autres, territoires disputés. Le groupe de palestiniens est venu, à la suite d’un malentendu par invitation d’une femme, arabe israélienne qui est présente dans le groupe.

Le début, après les politesses d’usage, est rapidement très violent, comme c’est l’habitude dans beaucoup de mes groupes de thérapie sociale qui ont lieu dans des zones où des ennemis se font face. Les insultes fusent, essentialisant les autres des deux côtés. Les palestiniens, pensant qu’ils ont été manipulés, sont furieux et disent leur haine de ceux qu’ils appellent des occupants. Ils racontent des histoires sur le martyre palestinien, ils parlent d’injustice, ils évoquent les Nations Unies, la Nakba… Les israéliens sont dans la défensive comme souvent dans ce genre de séminaire   et essaient de montrer leur bonne volonté. Les palestiniens parlent des services secrets israéliens qui ont contribué à faire mettre en prison  tant des  leurs: le Mossad et surtout le Shabak.

« Mais vous appartenez peut-être au Shabak ?  » le soupçon se fait insistant. Tous me font confiance pour que je permette ces paroles agressives. Cela a été le résultat difficile à obtenir par ma présentation:  » Je suis juif, pas israélien, j’ai mon avis sur ce conflit et sur les uns et les autres. Mais mon avis ici importe peu. Je suis au service de l’ensemble de ce groupe. Pas neutre non, certainement pas. Personne ne l’est. Mais je ne suis pas là pour que vous pensiez comme moi sur une situation que je ne connais pas dans sa réalité et sur laquelle je n’ai que des opinions, sinon des préjugés. Je suis là pour créer le cadre  qui vous permettra d’aller au fond de vos vérités, où pourrez parler des réalités que vous connaissez et vous affronter agressivement si nécessaire les uns aux autres. » 

Un moment de vérité à propos de l’armée israélienne:  » Votre armée est si puissante, vos armes sont perfectionnées face à nous, les palestiniens. »  Un israélien: « Dis-moi, Samir, si notre armée n’était pas aussi puissante, que se passerait-il pour nous? Dis-moi la vérité. » Un grand silence. Plus tard, les  participants du groupe évoquent des réalités qu’ils ont vraiment vécues et non plus en évoquant des généralisations apprises et diffusées par les propagandes. On parle de souffrances, de blessures, d’humiliation, de peurs, des disparus.

Encore plus tard, le groupe progresse. De part et d’autre, on raconte la violence à l’intérieur de son propre groupe d’appartenance. Les palestiniens en particulier racontent la violence quotidienne de la société arabe entre les clans, dans les familles, ente les hommes et les femmes . Les israéliens répondent à ces paroles de vérité, politiquement non correctes. Un israélien raconte la violence de son père qui fait écho à la même  violence du père d’un palestinien.

Quelques moments de fraternité. C’est après tous ces échanges qu’on peut commencer à parler plus sereinement de la réalité du conflit.

Encore un  moment décisif: « Je vous voyais comme des monstres, tous semblables et maintenant je vois des êtres humains comme moi, chacun différent avec qui je dois me battre car nous sommes et restons des adversaires. » 

Les idées fusent: ce qu’il faudrait faire et dire aux  dirigeants  pour arriver à une paix honorable qui tiendrait compte de la réalité et aussi des blessures des uns et des autres.

Deux journées ont passé. Il y a même eu des fêtes. Des jeunes femmes voilées que les palestiniens connaissaient y ont participé. 

Mais pendant la  nuit , des groupes de jeunes palestiniens sont entrés dans le lieu et ont écrit sur le tableau des menaces de mort : Nous savons qui vous êtes, nous connaissons vos familles, vous avez trahi la cause en participant à une « normalisation  »  avec des Juifs (ils ne disent jamais israéliens).

Le lendemain, une partie du groupe décide de quitter les lieux  et le séminaire par la même occasion. Ils sont inquiets et apeurés. Les adieux sont déchirants. Nous continuons un peu attristés par cette situation qui révèle l’immensité de la tâche et les palestiniens qui restent  évoquent l’idée de poursuivre à Chypre par exemple.ce genre de rencontres qu’ils estiment désormais indispensables dans un  pays neutre. 

Puis-je oser parler du  sentiment de fraternité qui existe maintenant entre ces palestiniens et ces israéliens. Ils sont encore adversaires mais parfois plus proches de ces Juifs qu’ils ne le sont avec certains des leurs.

Pour finir, je voudrais dire que le séminaire n’a pas réuni  des personnes de bonne volonté qui  souhaitaient une réconciliation. II a fait se rencontrer, intentionnellement de ma part,  de vrais ennemis, dramatiquement séparés par des peurs et des haines qui se sont exprimées  dans tout le début. 

D’autres séminaires de ce type ont eu lieu, sans la fin malheureuse qu’a connu celui que je raconte ici. Quelles conclusions puis-je en tirer ? La thérapie sociale fonctionne comme elle fonctionne en Amérique latine, aux Etats-Unis, en Russie, en Allemagne, au Rwanda entre Hutus et Tutsis. Elle mériterait de faire partie des programmes de paix. Elle devrait être généralisée, faire partie des programmes d’éducation, de formation, correspondre aussi et surtout à des volontés politiques.

L’humanité a besoin de penser autrement la violence. Nous avons tous besoin de comprendre que cette part de violence qui est en nous peut se transformer en violences collectives, en guerres civiles, en génocides mêmes.

Nous avons besoin d’apprendre le  conflit qui lui ne diabolise pas , ne déshumanise pas l’adversaire.

Le conflit est inévitable, nécessaire, crée de l’intelligence. Nous sommes différents, par la culture, l’enfance vécue, le pouvoir. Apprenons à être en conflit, quand c’est nécessaire, pour ne pas tomber dans la violence et la haine. C’est mon combat  de réconciliation de tous les jours, par la grâce si je puis dire de  mon enfance meurtrie par les crimes et l’absence et de mon âge adulte construit par l’amour et la  passion de la vie.

© Charles Rojzman

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