Daniel Sarfati. Je me souviens de Georges Perec

Je me souviens de Georges Perec, et de son visage de faune auréolé d’une épaisse crinière et qui se terminait en pointe par une barbichette.
Je me souviens de son regard intelligent et plein de malice.
Je me souviens que je passais tous les matins devant son immeuble rue Linné pour aller à la faculté de Jussieu.
Je me souviens de Samy Frey récitant « Je me souviens », au Théâtre de la Madeleine, en pédalant sur un vélo immobile.
Je me souviens avoir mis des mois pour lire « La Vie mode d’emploi », un roman exhaustif qui se lit comme une partie de go ou une grille de mots croisés.
Je me souviens que je n’ai jamais pu en épuiser toute les possibilités.
Je me souviens de « La disparition », un texte curieux où Perec n’utilise jamais la lettre e. Une prouesse littéraire pour une histoire qui a une certaine cohérence mais qui manque de signification. Un peu comme dans une vie où une mère nous manque.
Je me souviens de « W ou le souvenir d’enfance », où Perec parle d’un univers concentrationnaire sans jamais le nommer.
Je me souviens que l’inverse de W est M comme Maman.
Je me souviens que la mère de Georges Perec n’est jamais revenue d’Auschwitz.

« Cyria Shulevitz, ma mère,… naquit le 20 août 1913 à Varsovie…Elle était juive et pauvre…Il me semble voir, lorsque je pense à elle, une rue tortueuse du ghetto, avec une lumière blafarde et de la neige…
Il n’y eut dans la vie de ma mère qu’un seul événement : un jour elle sut qu’elle allait partir pour Paris…Le départ se fit. Je ne sais ni quand, ni comment, ni pourquoi. Était-ce un pogrom qui les chassait, quelqu’un qui les faisait venir ?
Puis elle rencontra mon père. Ils se marièrent. Il s’installèrent rue Vilin et prirent en gérance un salon de coiffure…
La guerre survint. Mon père s’engagea et mourut..Son salon fut fermé…
Elle porta l’étoile.
Un jour elle m’accompagna à la gare. C’était en 1942. C’était la Gare de Lyon…J’allais à Villard-de-Lans…
A Paris, on conseilla à ma mère de déménager, de se cacher. Elle n’en fit rien…
Elle fut prise dans une rafle avec sa sœur, ma tante. Elle fut internée à Drancy le 23 janvier 1943, puis déportée le 11 juillet suivant en direction d’Auschwitz.
Elle revit son pays natal avant de mourir.
Elle mourut sans avoir compris.
« 

W ou le souvenir d’enfance. Collection L’Imaginaire. 1975

© Daniel Sarfati

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