Josef Schovanec. « Malheureux comme un autiste en France »

Une interview qui décoiffe dans le cadre de nos portraits d’autistes. celle de Josef Schovanec.
« Malheureux comme un autiste en France »
Le philosophe, écrivain, militant brillant et plein d’humour Josef Schovanec, a quelque peu disparu des radars médiatiques français. Pas complètement puisqu’il conserve quelques chroniques mais il n’est plus l’interlocuteur favori des Médias comme il a pu l’être en d’autres temps.

Cet autiste célèbre aux diplômes prestigieux représentait pendant des années la fierté de l’autisme générant un espoir pour beaucoup d’autistes et de familles. Le Magazine de la différence a voulu savoir quelle était la raison de ce « silence » et de cet « exil » en Belgique.

Dans cette interview de vérité et sans langue de bois, il nous révèle les véritables raisons de son départ et nous dresse le bilan réel de l’autisme en France. Révélations.

Comme Hugo Horiot et de nombreux autistes adultes, vous avez choisi de quitter la France pour la Belgique, quelle en est la raison ?

La Belgique est un pays de liberté qui traite mieux ses autistes. Nous sommes davantage respectés dans nos droits et dans notre différence. Beaucoup de Français en situation de handicap de tout profil viennent vivre en Belgique, l’inverse n’étant quasiment jamais le cas. C’est un pays multiculturel, et nous ne sommes pas obligés de rentrer de force dans un moule. Ce pays est beaucoup moins standardisé et peut-être que ma « bizarrerie » passe beaucoup mieux ! Plus sérieusement, je me sens aussi beaucoup plus libre ici. Les responsables politiques sont beaucoup plus faciles à contacter lorsque l’on veut apporter nos idées de projets ou notre expertise. Et surtout les « petits arrangements entre amis » à la française qui ont engendré un véritable business de l’autisme n’existent pas ici. Le milieu de l’autisme en France est devenu trop corrompu.

Vous avez parfois critiqué Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat au Handicap et Claire Compagnon sa déléguée interministérielle, et vous nous expliquez que des journalistes auraient « reçu un appel de la délégation interministérielle » afin de parler de vous, pouvez-vous nous en dire davantage ?

En effet, certains journalistes me l’ont confirmé et ils ont en effet reçu un appel de la délégation interministérielle me décrivant comme mentalement « instable après un deuil familial » et « en pleine dégringolade ». Mais rien de cela n’est vrai, bien sûr, par rapport à mes activités dans d’autres pays. Il est assez savoureux de se dire que des personnes que, au fond, je ne connais guère par contact direct, connaissent mieux mon état mental que des collègues avec qui je passe mon quotidien, parmi lesquels nombre d’universitaires en psychiatrie ou psychologie. J’interviens dans le monde entier comme conférencier et j’enseigne actuellement en Belgique. Alors ces insinuations sont non seulement fausses mais très graves. Ils auraient soutenu d’ailleurs « posséder la preuve » ce qui est impossible au regard du secret médical, que « mon état psychiatrique  se serait « détérioré » et qu’il ne fallait plus « prêter attention » à mes propos critiques sur le Ministère du handicap. Une façon de me décrédibiliser implicitement pour que ma parole ne soit plus prise en sérieux. 

Ce que vous affirmez pose question, comment un organe gouvernemental pourrait faire passer un autiste pour fou en voulant exercer son pouvoir d’influence sur des médias parce qu’il critique le Ministère du Handicap, cela toucherait aux fondements mêmes de la liberté de la presse ?

Ceci est pourtant exact, je crois que vous en avez la preuve matérielle. Mais étant imprégné de culture soviétique, je suis sans doute moins choqué que vous. Regardons de plus près la communication du Ministère du handicap. Le premier élément est qu’il y a d’un côté avec Claire Compagnon, fonctionnaire, le culte de la discrétion et du secret. Cette femme de l’ombre a conservé des informations sur l’affaire Chronimed (Essais sauvages sur des enfants autistes sans autorisation) pendant plusieurs mois sans en faire état à l’ancienne Ministre de la santé Madame Buzyn. Son amitié avec le Pr Montagnier qu’elle a bien connu à l’époque de son passage chez Aides (association sur le Sida) a-t-il un lien avec son peu de communication sur le sujet ? Nous sommes en droit de nous poser la question. Aujourd’hui elle évoque avec discrétion la plainte en cours lorsqu’un média lui parle de ce scandale d’état mais pourquoi s’est-t-elle tue pendant deux ans ? Et surtout pourquoi a-t-elle conservé auprès d’elle tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire, donnant son appui aux plateformes et fondations, associations qu’ils dirigent ? Le second élément est aussi incroyable. Avez-vous évalué la part du discours médiatique sur le handicap qui revient à Sophie Cluzel ? Et à chaque fois sans aucun contradicteur ? Même si elle est partie en campagne pour la région Paca , nous n’avons jamais vu une telle propagande. Aucun autre domaine politique ne se trouve dans cette configuration : en politique étrangère le ministre dédié n’occupe qu’une fort mince portion du temps médiatique. De même pour l’économie – et pourtant Bruno Le Maire a une forte personnalité. En matière de handicap, on retrouve quelque chose entre les Actualités Françaises de l’ORTF, qui naguère relataient d’un ton élogieux les moindres faits et gestes des hommes politiques, et les médias des pays de l’Est qui ont bercé mon enfance. La propagande alliée à la censure et au culte du secret. Trois ingrédients qui mettent en péril notre espace de parole et de liberté. 

Vous parlez souvent aussi des chiffres gonflés sur l’autisme et de leur non prise en charge dans l’enseignement supérieur…

En effet, nous manquons de chiffres réels. La statistique des 700 000 autistes n’est qu’une vague estimation. Combien d’autistes en maternelle, primaire, collège, lycée ? Nous avons besoin de ces précisions. Et en enseignement supérieur, combien y en a-t-il ? Rien n’est mis en place à ce niveau-là et trop peu d’autistes arrivent à atteindre ce stade d’étude parce que leur parcours scolaire est inégal et marqué par des incitations, des pressions faites aux familles afin de faire sortir leurs enfants du système scolaire. Il semblerait que suite à des coups de gueule sur la question de l’enseignement supérieur la Ministre ait envisagé de créer un énième comité opaque, mais rien n’en a résulté de clair. Aucun cadre juridique en tout cas, comme c’est le cas dans d’autres pays. Bien entendu, le partage des bonnes pratiques n’est pas du tout envisagé.

Vous expliquez aussi que cette « propagande médiatique » alliée à la peoplisation de l’autisme tente de faire oublier un bilan désastreux et de faire taire les associations de terrain ?

En effet la parole des gens ordinaires a disparu des radars médiatiques parce qu’elle prouverait que le bilan de Madame Cluzel est désastreux. Alors on demande à quelques comédiens qui ont un enfant autiste mais qui n’y connaissent pas grand-chose de venir sur les plateaux afin d’affirmer que tout va bien. Il suffirait d’ailleurs de vérifier point par point ce que Mme Cluzel avance dans son dossier de communication envoyé à la presse du 2 avril pour s’en rendre compte : Les chiffres sont gonflés en matière de scolarisation et d’emploi. Tous les médias le savent pourtant que les AVS manquent, qu’elles ne sont toujours pas formées, précarisées…Ils savent aussi que le chiffre de 1% d’autistes qui ont trouvé un emploi n’a pas bougé puisque le Ministère n’a rien créée de nouveau surtout en cette période sanitaire. Et que les Duo Days sont une poudre aux yeux dont la seule bénéficiaire est la communication de Sophie Cluzel. Parce que ces expériences n’ont pas provoqué d’embauche par la suite. La création d’une myriade de plateformes d’écoute, d’école inclusive, de diagnostics…noie aussi le poisson dans un magma administratif où seuls certains habitués des couloirs ministériels savent tirer l’épingle du jeu…Cette création d’outils couteux et inefficaces, de slogans, d’éléments de langage « changer la donne »…tentent de cacher le vide de ses résultats réels. La peoplisation de l’autisme est aussi un danger parce qu’elle étouffe la voix des associations de terrain qui savent réellement de quoi elles parlent et de tous ces autistes qui n’ont plus de visibilité parce que la délégation interministérielle de l’autisme les a chassé des instances.

Justement parlons de votre présence au sein du Comité d’autisme, vous semblez toujours y figurer, pourquoi n’avez-vous pas fait part de toutes ces revendications ?

Tout simplement parce que certes j’y figure officiellement (par Arrêté ministériel au JO) mais je n’y suis plus invité comme les autres personnes autistes qui en faisaient parties au début du quinquennat parce que j’ai osé émettre plusieurs critiques. Pourtant j’en étais l’un des plus anciens membres.  De plus, ils ne m’ont même pas appelé pour me prévenir, m’expliquer ou me laisser la chance d’en discuter avec eux. Non, ils fonctionnent ainsi. On ose critiquer et on n’est plus invités. J’ai entendu dire qu’ils disent aux autres participants que « Je ne correspondrais plus à la feuille de route ». J’ignore quelle est la légalité de tout cela. En tout cas, aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de représentation de personnes autistes au comité national d’autisme, contrairement à ce qui était le cas par le passé, même au début, il y a une quinzaine d’années.

Il y a eu la création d’un salon de l’autisme et dernièrement un festival de l’autisme au Touquet est annoncé, qu’en pensez-vous ?

L’autisme est devenu avec ce gouvernement, un nouveau sujet de divertissements alors que les familles et personnes autistes vivent des situations extrêmement graves. L’autisme, ce n’est pas le salon du tourisme où les vendeurs de camelotes et autres marionnettes utiles font leur show ! L’autisme doit revenir dans le champ des sujets de santé sérieux. Le Touquet, ne serait-ce pas une ville chère à une personne bien connue ? Mais je n’en dirais pas plus puisqu’ on m’a fait bien comprendre que je ne devais pas parler d’elle de façon critique.

Vous parlez également de ce business de formations et de possibles conflits d’intérêts…

Oui c’est un véritable business et le prochain scandale de l’autisme. J’espère que des Médias s’intéresseront à ce sujet. Des milliers d’euros du plan autisme et du Ministère sont détournés vers des boites privées pour des formations autisme détenues par une minuscule poignée de personnes. Assez remarquablement, dans une configuration similaire, on pourrait citer le GNCRA. Faire appel à un certain nombre de « formateurs officiels » bien connus des couloirs dorés, dont les prestations sont facturées à cinq chiffres est parfois une sorte de prérequis pour que votre projet aboutisse dans l’autisme. 

Que pensez-vous des établissements inclusifs pour adultes autistes,  est-ce au moins une note positive à ce bilan catastrophique de Mme Cluzel que vous avez dressé ? 

Je vais vous décevoir…Mais je me pose beaucoup la question de la nature inclusive de ces projets pour un nombre infime de bénéficiaires – un terme fort relatif d’ailleurs. Il ne faudrait pas que l’on repeigne simplement en vert écolo des centres à l’ancienne. Avoir un toit ne règle pas l’inclusion et l’autonomie de ces personnes lorsque la famille aura disparu ou que les subventions ne suffiront plus. En France, on prend du vieux et on lui met de nouveaux habits pour le faire paraître neuf. Là encore, le fossé est considérable avec d’autres pays.

Au regard de vos révélations, pensez-vous que l’on puisse toujours être militant en France ?

Plusieurs figures respectables me l’ont dit. Les militants autistes authentiques sont éliminés les uns après les autres. Le fait n’est pas nouveau, mais il s’accélère considérablement. De façon délibérée. Cela est devenu dangereux de l’être, pas au point de finir au goulag évidemment, mais au point d’être broyé sur le plan médiatique, professionnel et économique, certainement. Du moins quand on n’entonne pas une certaine partition.

Interview réalisée par Le Magazine de la différence, que dirige Olivia Cattan

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