Extrait de la semaine
Antisionistes et antisémites de tous poils s’abritent et se camouflent aujourd’hui derrière leur prétendu droit à la liberté d’expression. En fait, ils la détournent et dénaturent à leurs fins. La Cour européenne des droits de l’Homme stipule que la liberté d’expression est un droit fondamental s’étendant aux discours « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population. » Il existe néanmoins des restrictions destinées à éviter l’empiètement de ce droit sur d’autres droits non moins fondamentaux. Il y aurait donc une ligne rouge à ne pas franchir. Mais laquelle ? Et comment en décider sans porter atteinte à la liberté ?
La liberté d’expression
1. La comparaison de deux cas de figure illustre ce dilemme. Les propos tenus sur scène par le comédien français Dieudonné (de 2012 à 2016) et les caricatures du prophète Mahomet publiées dans un journal danois (le Jyllands-Posten du 30 septembre 2005). Les premiers ont été condamnés par les tribunaux tant pour incitation à la haine raciale que négation de la Shoah alors que les secondes ont fait l’objet d’un acquittement. Pour la raison qu’elles ne nourrissaient pas une détestation de l’autre, ni ne constituaient, comme dans l’affaire Dieudonné, une attaque ‘spécifique, gratuite et répétitive’ invitant à la haine.
2. Lorsqu’en 2005, Dieudonné se produit à la télévision déguisé en juif ultrareligieux dans un sketch à connotation antisémite, les tribunaux le relaxent estimant que sa prestation est du registre de la moquerie et de la satyre. La plupart des pays européens, étant laïcs, n’envisagent pas le ‘blasphème’ comme un délit d’ordre juridique. Par contre, ils pénalisent la discrimination visant les personnes du fait de leur foi religieuse.
3. Les instances judiciaires sont cependant loin d’être cohérentes dans leurs décisions. Elles tolèrent bien souvent la tenue de rassemblements d’extrême-droite lors desquels sont lancés de clairs appels à la haine et à la violence. Ces rassemblements sont autorisés au nom de la démocratie qu’ils répudient. Le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a rejeté (en janvier 2017) une demande d’interdire le Parti national démocrate allemand (NPD), ouvertement pronazi. Thomas de Maizière, le ministre fédéral de l’Intérieur, a réagi à ce verdict en déplorant que la prohibition ou non du NPD n’empêche pas le fait que « l’extrême droite progresse dans les esprits ».
4. C’est là une remarque cruciale. L’antisémitisme de type Dieudonné n’advient pas dans le vide, ni de manière spontanée. Il est l’émanation d’une atmosphère ambiante qui le rend possible. Ou même à la mode. Dieudonné n’a pas inventé la banalisation de la Shoah. Il l’a lue dans le journal. Dans maints articles utilisant le terme de ‘génocide’ à tort et à travers. Dieudonné n’a pas non plus inventé la comparaison du sionisme au nazisme. Elle était pratiquée bien avant lui dans les cercles intellectuels et politiques arabes comme européens.
5. Lesquels, en sus de la banalisation de la Shoah, pratiquent ouvertement l’apologie du terrorisme également interdite par la loi. C’est ainsi que Mr. Riyad Mansour, représentant l’Autorité palestinienne à l’O.N.U., fait d’une pierre deux coups en déclarant que l’utilisation du terme ‘terroriste’ par Israël évoque l’emploi de ce même terme par les nazis pour déprécier les résistants du ghetto de Varsovie (27 avril 2016). Mr Mansour opère là une diabolisation d’Israël doublée d’une apologie du terrorisme, tout en piétinant la mémoire des victimes du régime nazi. Dans la thèse de doctorat qu’il a soutenue en 1982, Mr. Mahmoud Abbas, devenu par la suite président de l’Autonomie palestinienne, affirme que les ‘sionistes’ ont gonflé le nombre de victimes de la Shoah (qui serait inférieur à un million, nous dit-il) et il accuse les dirigeants sionistes de complicité avec le régime nazi. La liberté d’expression est ici outrepassée par la liberté de mentir.
6. Dieudonné n’hésite pas à amalgamer Israël et le reste des Juifs dans un même pot-pourri. Alors que, par ailleurs, une sorte d’aveuglement (voulu ou inconscient ?) persiste à ne pas vouloir reconnaître le caractère antisémite de bien des discours anti-israéliens. Que l’incitation à la haine d’Israël émane de l’antisémitisme ou non, elle constitue à tout égard une forme de racisme et de discrimination envers un groupe, ici perçu comme national plutôt qu’ethnique ou confessionnel. Mais le principe demeure le même.
7. Faire abstraction de la ‘judaïcité’ des israéliens constitue une dénégation flagrante de leur identité et un moyen bien commode de se garantir contre toute accusation d’antisémitisme. C’est aussi une négation de la parenté des Juifs de Diaspora avec Israël alors qu’une grande partie d’entre eux assument entièrement cette parenté, ce qui ne les empêche pas d’avoir leur avis et d’exprimer leur désaccord ou non quant aux décisions prises par les différents gouvernements israéliens.
8. La répétitivité même des accusations prononcées à l’égard des Israéliens, comme des Juifs, est l’une des raisons principales de la condamnation de Dieudonné. L’incitation est généralement menée sous forme de campagne. Elle fonctionne ‘à la longue’ ou ‘à force’, selon le principe bien connu qu’un mensonge mille fois réitéré finit par faire figure de vérité.
9. Il est à noter que l’Etat d’Israël est un sanctuaire de la liberté d’expression. Divers députés et organes de presse arabes ou d’extrême gauche donnent libre cours à un antagonisme d’une virulence parfois extrême, sans qu’il en résulte pour eux aucune sanction. Même si leurs propos, tels ceux de l’ancienne députée israélienne Hanin Zoabi, sont bien souvent identiques à ceux tenus par le comédien Dieudonné.
10. La liberté d’expression qu’il faut défendre et protéger avant tout, c’est cependant la nôtre. Celle de la personne en tant que personne, par-delà celle des ‘célébrités’ et des faiseurs d’opinion. C’est pour protéger ce droit à la parole qu’il est du devoir de chacun de dénoncer tout propos raciste, antisémite ou négationniste, surtout s’il est clamé du haut d’une scène ou imprimé dans un journal. Afin que la parole demeure faculté de communiquer, et non de diviser.
C’est bien souvent malgré elle que la liberté d’expression abrite la liberté de haïr. Il est toutefois hors de question de laisser les tenants de la haine s’en réclamer pour répandre leur venin. Surtout à une époque où les moyens techniques et informatiques leur permettent si aisément de le faire. La semaine prochaine, nous verrons comment se préserver des réseaux sociaux mais aussi comment les utiliser à notre avantage.
© Raphaël Jerusalmy
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Diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, Raphaël Jerusalmy a fait carrière au sein des services de renseignements militaires israéliens avant de mener des actions humanitaires puis de devenir Marchand de Livres anciens à Tel-Aviv. Il est aujourd’hui écrivain, auteur de plusieurs romans publiés chez Acte Sud. Il est également expert sur la chaîne de télévision i24news.
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