L’indifférence versus la haine .
« L’indifférence qu’ils ont pour la vérité fait que non-seulement ils ne prennent aucune part à sa défense, mais qu’ils voient même avec peine qu’on s’efforce de détruire le mensonge ». Pascal, Prov. X.
Voilà ce qui m’a le plus touchée dans cette histoire sordide et incompréhensible, caractérisée par le refus de faire le travail qui aurait été approprié: celui de rendre un jugement éclairé.
Des milliers d’articles ont été écrits sur l’affaire Sarah Halimi. Mais celui de Joann Sfar m’a interpellée si vivement que je l’ai relu encore ce matin pour être plus consciente des sentiments si disparates qui m’ont figée et paralysée.
C’est en voulant démêler ce que veut dire l’antisémitisme que je m’aperçois tristement que je ne connais aucun juif qui n’ait, au cours de sa vie, entendu une remarque désobligeante: c’est un fait et on ne peut rien y changer: Il y aura toujours des mots qui fusent et nous rappellent cette condition si fragile.
Je me souviens exactement quand mon fils dans son lycée s’est fait traiter de « sale juif », parce qu’il avait, lui qui n’osait jamais prendre la parole, défendu l’armée israélienne au cours d’une conversation où les autres garçons maintenaient qu’elle était une armée médiocre et que les juifs étaient des ordures.
Il était en 5ème et était revenu à la maison plus silencieux que d’accoutumée. Il finit par me raconter le jour suivant ce qu’il avait ressenti, 70 ans après la fin du nazisme, devant ce genre de propos tenus en Allemagne-même…
Puis cette année ce fut ma fille qui fit la même expérience cuisante, avec des mots terribles à entendre, car ce n’est pas seulement elle qui était visée, mais toute sa famille qui « aurait dû périr dans les fours ».
Un silence douloureux, de quelques mois, qui a rejailli, au détour d’une conversation… Cette jeune adolescente, qui tout en aimant son identité juive, se sentait si Européenne…
Sur le sol allemand, 70 ans après, et 76 ans après, j’étais et suis encore tétanisée: mon esprit refuse ces mots, refuse de concevoir qu’ils aient pu être prononcés, moi qui me sentais si européenne, qui me sentais aussi bien en France qu’en Allemagne.
Malheureusement cela reste une réalité intangible et inaliénable, quoiqu’on pense…
Mais alors que fait l’école?
Elle démissionne en catimini, de son rôle, de ses objectifs: éduquer tous nos enfants dans des valeurs intrinsèques qui permettraient le vivre-ensemble.
Et au fil des années, des milliers d’exemples qui continuent à nous poursuivre avec cette haine immuable, malgré la Shoah, malgré les pogroms et les attentats, « elle » reste inextinguible et plus virulente que jamais.
J’ai toujours considéré comme fou celui qui tuait un autre être humain par haine, car je me suis toujours dit qu’il était impossible de s’aimer soi-même quand on tuait son semblable, et comme Sfar, avec sa sensibilité, le dit magnifiquement bien, cette folie en soi ne devrait pas leur éviter un jugement, parce qu’ils sont nés la plupart normaux et qu’ils ont décidé à un moment donné d’opter pour la violence, afin d’assouvir le sentiment de haine profondément ancré dans leur culture, qui avait commencé à creuser pour y instiller ce sentiment d’impuissance, totalement suscité par un sentiment de haine qui permettrait de se sentir fort, qu’en exterminant l’autre de manière radicale, pour qu’il ne vienne plus nous rappeler, ce sentiment destructeur en soi…
Ainsi, ce sont bien ces mots en fin d’article qui m’ont affreusement touchée et qui ont ouvert une plaie non refermée, en me rappelant, sans victimisation, ce qui se passe dans la vie d’un juif, même laïque, même pour celui qui se sent, encore, plus européen que juif…
Ce crime laissé pour compte, dont la décision de ne pas juger l’auteur fait preuve d’un déni et d’une violence ineffable, laisse un certain nombre de personnes en France et ailleurs, dans une rage et une tristesse profonde.
L’injustice fait un mal fou et elle nous semble inacceptable car absurde ou bien plus justement kafkaïenne…
On ne sait pas réellement pourquoi elle est là, comment elle se produit, comme dans l’histoire de Job, tellement elle paraît invraisemblable, toujours et encore.
C’est une nouvelle étape qui va marquer un tournant décisif dans la grande histoire de ce pays, de cette France désarçonnée, avec cette décision, dans ses valeurs et ses traditions du respect des Droits de l’Homme.
Quelqu’un m’a rappelé les mots de Elie Wiesel, en raccourcissant la citation.
Eh bien pour la première fois de ma vie , je suis dans cette situation donnée, de façon radicale, en désaccord total avec le fait de dire que « le contraire de l’amour n’était pas la haine mais l’indifférence «
Voilà la citation exacte : « J’ai toujours pensé que le contraire de l’amour n’était pas la haine, mais l’indifférence. Le contraire de la foi n’est pas l’hérésie, mais l’indifférence. Le contraire de l’espoir n’est pas le désespoir mais l’indifférence. L’indifférence est la fin de tout. »
En effet, il s’agit bien de l’indifférence née de la lâcheté, ou bien encore d’une faiblesse, celle qui nous laisse délibérément remettre notre destin dans les mains du hasard, en occultant l’entière liberté que nous laisse notre libre-arbitre, de faire un choix pour le meilleur.
Oui, c’est bien la haine, « ce sentiment personnel délibérément déshumanisant et arme principale de la perversion… La haine, une force de dépersonnalisation, qui se tourne vers le passé et produit la répétition », comme le dit Marie-Claude Defores, psychanalyste.
Ou encore cette définition très juste du philosophe espagnol, José Ortega y Gasset: « Haïr, c’est tuer virtuellement, détruire en intention, supprimer le droit de vivre. Haïr quelqu’un, c’est ressentir de l’irritation du seul fait de son existence, c’est vouloir sa disparition radicale. »
Fou ou pas, c’est exactement l’entreprise bien précise qui a germé dans la tête de l’assassin de Sarah Halimi…
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« Un dernier mot sur la psychiatrie: la folie la plus conne et la plus désespérante que je connaisse. La folie la plus ancienne et la plus irréfutable, c’est la haine des juifs. J’ai toujours dit et écrit que l’antisémitisme ne pouvait se combattre que sur le terrain magique ou psychiatrique car il constitue, par définition, une bouffée délirante. La haine des juifs, comme toute autre forme de racisme, n’a aucun sens. Les milliers de pages perplexes écrites sur l’antisémitisme se heurtent au fait que TOUT dans cette rage relève de la psychiatrie. Mélange antédiluvien de haine de soi et de certitude de la toute puissance de l’autre. L’antisémitisme devrait être en première page de tous manuels de psychiatrie. J’ai toujours considéré les antijuifs comme des fous dangereux. Mais je ne crois pas que cette folie devrait leur éviter le tribunal. » Joann Sfar
© Rachel Catherine Ksas
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