Laurence Kleinberger. Tu sais ce qui est bien ici ? Tout le monde est juif !

Oeuvre de Richard Kenigsman

     Juif

Au début de son séjour, quand Maman parlait encore un peu, elle m’a dit quelque chose qui pourrait expliquer le sourire qui ne la quitte jamais.

  –Tu sais ce qui est bien ici ? Tout le monde est juif !

  –Ah bon ? T’es sûre ? je  demande très surprise…

  Elle ne prend pas la peine de me répondre, mais elle passe devant une infirmière  et lui demande :

  – Bist di a yiddene ?[1]

  –Bonjour Madame Weissman, répond l’infirmière.

  –Tu vois ? me chuchote ma mère. Et elle sourit, heureuse d’être dans son paradis juif.

  De temps à autre, je l’entends murmurer des mots en yiddish aux résidents et éclater toute seule d’un rire bienveillant. 

 C’est étrange d’ailleurs, parce que cette anecdote, comme plusieurs autres qui suivront d’ailleurs, me renvoie à un souvenir lointain.

  Cela devait être durant ma période « fillette grassouillette affublée d’un strabisme que sa mère trouvait belle », on était à l’épicerie du coin et  Maman  discutait avec la patronne, une très vieille dame qui s’exprimait dans un français parfait et sans aucun accent. Je n’en croyais pas mes oreilles !

  En sortant j’ai pressé me mère de m’expliquer comment une vieille dame pouvait parler aussi bien Français.

  Je crois que Maman n’a pas compris. J’en suis sûre même parce qu’elle a semblé agacée par une question aussi stupide et elle est rapidement passée à autre chose.

  Quand j’y pense, cela faisait partie de ce qui  nous séparait dans notre judéité, cette incompréhension. 

  Pour elle, être juive c’était très clair :

C’était parler Yiddish aussi bien que Français, c’était d’avoir porté le Livre de prières de sa grand-mère perruquée tous les shabbat à la synagogue, c’était d’avoir été cachée, petite fille seule pendant la guerre et de ne jamais avoir retrouvé ses parents.

  Moi j’étais juive pour ce qui lui était arrivé à elle sûrement, mais tout ce que j’en comprenais à l’époque c’est que mes rares grands-tantes survivantes étaient de vieilles dames au fort accent Yiddish.

  Dans mon monde à moi, les vieux parlaient avec un accent et puis c’est tout !

© Laurence Kleinberger

Laurence Kleinberger est auteur. Les Larmes de Riwka est son quatrième roman. D’elle, Laurence nous dit: « Je suis une Ashkénaze décomplexée ». Elle ajoute: « Est-ce que ça existe, ça? »

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