L’ANTISEMITISME FAIT LE CRIME,
LA LAICITÉ NE FAIT PAS LA HONTE DE SOI.
♦ … en France, il n’y a qu’une communauté, la nation.
Jusqu’à ces tout derniers mois, j’ai vécu dans l’une de plus riches villes de France, sinon la plus opulente. Et en tout cas, celle où l’argent doute le moins de sa légitimité, et où ses détenteurs sont les moins incertains du bien-fondé des privilèges qu’ils en tirent.
Ce n’est pas en cela que cette ville a changé en quelques années. Mais en ce qu’on y a vu s’implanter un communautarisme confessionnel qui possède tous les traits sous lesquels cet identitarisme – dénommé à présent ‘’séparatisme’’ quand il est culturellement le fait d’une minorité ciblée – est dénoncé dans les banlieues relagataires du département de la Seine-Saint Denis.
Deux obédiences de la même religion se sont ainsi installées à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. Pour la première (dont les implantations sont présentement en reconstruction), s’est ajoutée à son lieu de prière une école mitoyenne, primaire et maternelle, occupant en son entier un ex-immeuble de bureaux. Le site comptant en outre quelques dépendances à son voisinage immédiat.
Rien à redire à cette proximité ? Rien a priori sinon le fait déjà que l’école en question est strictement mono-confessionnelle : ce qui, dans le domaine de l’enseignement dispensé à des enfants, se concilie difficilement avec la conception française et républicaine de la citoyenneté ; et ce qui, plus largement, interroge sur le contenu des programmes qui y sont enseignés et sur les options des maîtres. Et quelle éducation civique, quelle intégration à la société, attendent des gamins qui n’auront eu pour condisciples, dans leurs jeunes années, que des coreligionnaires identiquement formatés ?
Sinon, aussi, que du fait de la même proximité cultuelle, un étroit périmètre de rues a vu se regrouper les afflux quotidiens d’un nombre croissant de fidèles autour des deux lieux de prière ainsi que de parents d’élèves aux abords de l’école confessionnelle. Et que l’importance de cette fréquentation y a fait essaimer de multiples commerces assortis à la religion concernée : commerces alimentaires, restaurants, traiteurs, librairies, super marché … Plus visiblement encore, ce périmètre est maintenant fréquenté, jusqu’à l’être à peu de choses près majoritairement les jours de célébrations religieuses, par des croyants qui affichent, entre autres, un habillement, des couvre-chefs et autres accessoires distinctifs qui sont autant de signes ostensibles, quand ils ne sont pas compris comme ostentatoires, de leur appartenance religieuse. Des signes et des conduites qui, par la fréquence de leur exposition dans l’espace commun, par le nombre de leurs adeptes, et par la singularité qui y est perçue, impriment la visibilité d’une expression communautaire on ne peut plus assumée.
Laquelle se trouve spectaculairement surexposée lorsque la municipalité affecte, à l’occasion d’une fête religieuse particulière et pendant plus de dix jours, une place publique de la ville à l’une des deux obédiences visées pour que celle-ci y construise un édifice cultuel provisoire. Au surplus, l’agencement et la dimension de cette construction, dont l’effet est d’entraver toute circulation des passants, aggravent l’affectation accordée à ladite obédience qui devient tout simplement la concession exclusive d’un lieu public à un culte.
Le maire, seul décideur de cette concession – son mode de décision est connu pour être des plus autocratiques -, dépasse en l’espèce, et sans doute de très loin, toutes les complaisances, tous les accommodements dispensés dans le « 9.3 » au communautarisme confessionnel. Clientélisme et électoralisme sont bien sûr ses tout premiers mobiles – là où ses collègues des communes de la Seine-Saint Denis peuvent au moins être crédités, additionnellement, d’une préoccupation de tranquillité publique à travers un dialogue compréhensif des isolements séparatifs que vivent des minorités culturelles. Sans qu’il puisse être exclu que ce porte-étendard de la droite ultra réactionnaire ne règle pas aussi ses comptes avec les principes d’une République laïque qui se réclame des valeurs progressistes de la raison …
Quoiqu’il en soit, l’illégalité de l’autorisation donnée à cette construction cultuelle ne souffre pas de discussion. De quels artifices qu’ait été entourée sa publication, de quels faux-semblants qu’on ait, ou qu’on puisse, habiller les tentatives pour la justifier, la législation qui a établi et qui encadre dans la République française la séparation des pouvoirs publics et des cultes ne se prête à cet égard à aucune interprétation[1]. Cependant, celles et ceux – dont l’auteur de ces lignes – qui ont entrepris de signaler cette illégalité, et de la dénoncer par toutes les sortes possibles de publications et d’affichage (et même par voie de pétition), n’ont obtenu aucun écho de la part des autorités administratives ou judiciaires, ni de celle des médias répétitivement alertés. Tout juste une attention assez minimaliste de la part de leurs concitoyens pourtant majoritairement en accord avec eux.
Le parallèle qui est tracé ci-avant entre les banlieues de la Seine-Saint Denis et la ville opulente dont les encouragements et les appuis au ‘’séparatisme’’ du maire ont été renseignés dans leurs traits majeurs, a péché par l’occultation de ce qui les différencie.
Dans les premières, l’identitarisme religieux s’impute à un islam rétrograde, captif du fondamentalisme qui l’emmure dans sa différence. En même temps qu’il surarme les racismes qui ciblent depuis toujours les musulmans voués à coexister avec nous ou ceux de notre alentour ; et qu’il élargit jusqu’à la pire confusion le champ de la peur que provoque la violence fanatique et meurtrière des courants ou factions islamistes ‘’radicalisées’’.
Dans la seconde, le communautarisme confessionnel est le fait de ce que le maire de Neuilly sur Seine – puisque c’est bien la ville opulente dont il s’agit – désigne comme « la communauté juive ». Oublieux, autant qu’il l’est outrageusement en l’occurrence de la loi, de cette notion constitutive de la République dont le sens s’est fixé dans l’acception incomparable énoncée naguère par un Grand rabbin : en France, il n’y a qu’une communauté, la nation.
♦ … une nation libre parce qu’elle est Une en se reconnaissant composite,
et une République Indivisible qui ne compte que des citoyens.
Deux notions inséparables de cette laïcité ‘’à la française’’ si peu ou si mal comprise hors de ses frontières. Parce qu’il échappe qu’elle a été inventée, comme on le ferait d’un vaccin, après des siècles de violences religieuses ou de guerres de Religion dans l’Europe chrétienne, de croisades internes et extérieures, toutes également résolues à exterminer hérétiques ou Infidèles, de persécutions et de cruautés indicibles bénies par des cléricatures affirmant leur possession exclusive et intégrale de la Vérité de la Foi.
Qu’elle a voulu répondre, pour ce qui est de la France et en une période plus moderne, à la guerre civile – guerre armée d’abord puis, plus longuement, guerre froide – déclarée à l’esprit des Lumières, tel que celui-ci avait fait valoir ses principes de liberté à travers la Révolution de 1789, par le cléricalisme romain en tant qu’autorité doctrinale absolutiste prétendant à la charge de régir les consciences.
Et davantage encore, qu’elle a eu pour première raison d’être, en vertu des mêmes idées et valeurs de liberté, d’assurer par la loi la protection du libre exercice des cultes, la loi intervenant ici pour qu’une protection identique valent à l’égard de toutes les croyances et non croyances, et, à rebours de l’Histoire passée, pour que le projet de la tolérance et de la coexistence se réalise dans la paix civile. Pour que les droits de la conscience s’inscrivent dans la loi comme des droits naturels, et partant imprescriptibles, symétriquement à la neutralité confessionnelle de l’Etat qui prive tous les fanatismes du croire du bras séculier qui les a si constamment et si diligemment servis pendant plus d’un millénaire.
♦ … ceux qui ôtent leur kippa en entrant dans un bureau de vote.
C’est en une défection à cette neutralité confessionnelle des autorités publiques qu’a consisté le transfert délibéré par le maire de Neuilly/Seine d’un espace commun de la ville à une entité confessionnelle, pour que celle-ci édifie temporairement un lieu de culte sur le site ainsi concédé. Pour situer plus distinctement les tenants et les aboutissants de cette concession illégale, il convient de préciser que l’entité en question se donne à connaître comme un centre Loubavitch.
A grands traits, deux autres obédiences, plus anciennement présentes, se partagent le judaïsme à Neuilly/Seine. Correspondant aux deux principales composantes du judaïsme français.
D’une part, et en quelque sorte identifiés en référence à la synagogue séculaire de cette ville, des descendants, pour les uns, des juifs du royaume intégrés à la citoyenneté française en 1791 (juifs de Bayonne et de Bordeaux dont les ancêtres avaient été chassés d’Espagne et du Portugal ou en avaient fuit les persécutions, juifs des Etats du Pape en Avignon, juifs encore d’Alsace et de Lorraine …), et pour les autres, de l’apport ultérieur, entre la fin du XIX ème siècle et les années trente, des juifs ayant respectivement échappé soit aux tueries que déchaînaient la fureur des pogroms dans l’empire tsariste, soit à la haine antisémite latente en Europe centrale et orientale, et au déchainement de ses assauts successifs s’étendant au final, pour leur paroxysme, à l’Allemagne et à l’Autriche.
Outre d’avoir en héritage commun la survie à l’entreprise d’extermination perpétrée sous l’Occupation hitlérienne, cette composante du judaïsme a eu en propre son amour de la République – ne les a-t-on pas désignés et ne se sont-ils pas conduits comme des ‘’fous de la République’’ ? – qui a conféré toute sa dimension à sa volonté d’intégration civique. Pour la faire tenir en un trait, cette intégration à la nation telle que conceptualisée en 1789, rendait impensable aux uns puis aux autres qu’une kippa fût portée en public ailleurs que dans une synagogue : c’et encore un Grand rabbin qui illustra cette adhésion élective en déclarant qu’il se découvrait toujours en entrant dans un bureau de vote – ce à quoi la laïcité à la française n’oblige en rien – ‘’par respect pour la République’’.
D’autre part, une composante d’expression culturelle inversée et d’un tout autre parcours historique, arrivée en France autour de 1960 et venue d’Afrique du nord. Notamment d’Algérie après l’indépendance de celle-ci et l’exode massif des ‘’Pieds Noirs’’ qui l’accompagnait. Et qui emportait les divers héritiers de l’empreinte très ancienne du judaïsme au Maghreb : qu’il s’agisse de descendants des tribus berbères si lointainement converties au judaïsme (ceux dont les ancêtres n’avaient pas opté pour l’allégeance à l’Islam après la difficile conquête opérée par ce dernier), ou de juifs sépharades expulsés d’Espagne par les Rois Très Catholiques et par un long acharnement de violences connexes – ou par les persécutions ultérieures à l’encontre des marranes.
Un judaïsme partie prenante d’une histoire multiséculaire du Maghreb et ayant vécu dans des sociétés et sous des repères civilisationels structurellement communautaires. Un vécu identitaire, construit autour d’une religion et protecteur de la pérennité de celle-ci – dans son rite cultuel spécifique -, dont, malgré la rencontre avec la modernité configurée en Europe, les traits existentiels et psychologiques les plus profonds, ou les plus intimement signifiants, se sont maintenus en Tunisie et au Maroc sous les Protectorats français, et en Algérie au long des quatre-vingt dix ans qui ont suivi le décret Crémieux et l’obtention de la citoyenneté française (hors la honteuse parenthèse des proconsulats vichyste et giraudiste).
Une citoyenneté de pleine ferveur, comme l’attestent les engagements et les sacrifices que le patriotisme lui a inspirés au cours des deux guerres mondiales. Cependant, ‘’rapatrié’’ en Métropole, ce judaïsme d’imprégnation communautariste possédait un référentiel sociétal à coup sûr différent de celui des coreligionnaires aux côtés desquels il aurait désormais à exister, avant, quelques décennies plus tard, de devenir cultuellement le plus influent.
♦ … ceux qui ont eu à coudre une étoile jaune sur leurs vêtements,
ceux dont carte d’identité a porté la mention « juif ».
Au total, donc, deux composantes de l’aire du judaïsme français dont la première participe de la laïcité à la française avec un bien-être où pratiquants et non pratiquants, juifs croyants et non croyants, se sentent heureux comme D.ieu en France ; et dont la seconde, quand elle s’aligne sur cette laïcité, interroge toujours un peu sur ce en quoi elle lui reste étrangère.
La différenciation ainsi posée parmi celles et ceux où l’antisémite ne voit que des juifs – désignés subsidiairement sous des appellations tirées de ses fantasmes, ou concurrentes entre elles à travers le degré maximal de mépris qu’il croit pouvoir y mettre – s’expose à être jugée par trop schématique. Simplificatrice à l’excès, ou hasardeuse sinon erronée dans les considérants ou les hypothèses sur lesquelles elle s’appuie.
Mais s’agissant de l’assimilation à la laïcité, et plus directement de l’abstention de la manifestation publique d’une appartenance religieuse, comment ne pas au moins se représenter, au-delà de la référence aux socles géographiques et historiques, qu’il vient naturellement à la conscience des familles où l’on a porté l’étoile jaune sur ses vêtements et la mention « juif » sur sa carte d’identité, et de quiconque qui, encore enfant, a été assujetti aux signalements et interdits ‘’raciaux’’ édictés par l’occupant nazi, que l’affichage d’un identitarisme communautaire est toujours, (et au minimum) imprudent.
Et assurément d’une rare imprudence pour les juifs qui trainent en Europe, du fait de la religion dominante, et très principalement de l’Eglise catholique, des siècles d’anathèmes. Dont est sortie, plus ou moins directement, une somme effarante de préconçus haineux et de falsifications assorties au registre de l’obsession, dans laquelle leurs persécuteurs n’ont eu qu’à puiser. Sans manquer de l’augmenter des apports de leur démence particulière.
Certes l’adéquation à la laïcité à la française comporte des étapes et des niveaux. Pour ce qui est ainsi de l’édification de la construction cultuelle – en l’espèce l’implantation de la Soukka attachée à la ‘’Fête des Tentes’’ – à laquelle le maire de Neuilly sur Seine a réservé par deux fois une place publique de sa ville, sa demande n’a pas émané des deux obédiences du judaïsme local, les plus significativement présentes, qu’on s’est efforcé de cerner dans leur rapport différencié à la République. Pour leurs propres célébrations de la même fête de Soukkot, l’une et l’autre ont installé la Soukka à l’intérieur des emprises de leurs lieux de culte respectifs.
Qu’en revanche le centre Loubavitch ait, lui, sollicité le maire – qui avait dû fournir davantage que des indices de son clientélisme dans ce genre d’affaires – ne saurait a priori s’expliquer que par une ignorance de la législation sur laquelle repose la laïcité de la République[2]. Sauf à retenir que les démarcheurs ont passé délibérément outre à ces lois laïques sous la considération d’une éminente supériorité du religieux et de son expression dévolue à leur branche spirituelle. Dans les deux cas, tout incline à penser que la requête a été formulée avec la quasi certitude que l’édile démarché balaierait d’un revers de main, par électoralisme, l’obligation de neutralité confessionnelle que le régime de la séparation impose aux autorités publiques.
♦ … la relecture d’ un ‘’classique’’ de l’antisémitisme :
« Les juifs dominent le monde ».
Un mérite est paradoxalement à reconnaître à la violation de la loi républicaine ainsi perpétrée : l’installation ‘’en pleine rue’’ de la Soukka des Loubavitch de Neuilly/Seine a apporté, a contrario, une démonstration singulière des vertus de laïcité à la française.
Une démonstration dont la probation factuelle est venue d’un constat dont il y a lieu de douter que ni à la tête de la municipalité en faute, ni au sein de l’entité des croyants demandeurs, il n’avait pu être anticipé. Pour qui a interrogé les habitants des alentours de la place que sa dévolution à la Soukka des Loubavitch confisquait au public, chaque échange ou presque engagé à ce sujet voyait apparaître, la conversation plus ou moins avancée, l’expression d’un ‘’classique’’ de l’antisémitisme : une considération générale sur les juifs qui remontait du fonds ancestral du corpus antisémite et de son cortège d’opinions reçues, de parti-pris ou d’emprunts aux enseignements du mépris, de la méfiance et de l’aversion ; un propos péjoratif qui échappait et venait se glisser comme une simple incidente ; parfois aussi un développement déjà construit et qui avait trouvé là une occasion de se faire entendre. Au-delà de ces variantes, autant d’’’aveux’’ qui comportaient l’énonciation de l’un au moins des traits et caractères, parmi les plus ressassés, qui sont censés singulariser le juif, le spécifier par un défaut ou une tare indétachables de sa personne et de son origine.
Tantôt, donc, une remarque glissée comme avec l’aveu discret d’une certaine gêne – de celles (« je n’ai contre les juifs, bien sûr, mais il faut bien reconnaître que dans un cas de ce genre … ») qui spéculent sur les ‘’bonnes intentions’’ qui seront comprises ou perçues par l’auditeur – ; tantôt un discours péremptoire qui s’accommode aussi peu d’une réserve que les certitudes qui le portent (« on aura beau dire, monsieur, ces gens là ne sont pas comme nous ») et qui ont depuis longtemps pris possession mentale chez son auteur et s’y sont enracinées.
Est-il plus démonstratif, à cet égard, que la recommandation lancée par un gradé du commissariat de police sis sur la frontière du quartier communautarisé, à l’un de ses subordonnés qui prenait note de la réclamation d’un habitant qui venait de se découvrir voisin d’une occupation confessionnelle antérieure de l’espace public : « Ne perd pas ton temps avec cette histoire, on sait bien que les juifs dominent le monde ! ».
Aura-t-on convaincu, par autant d’éléments de raison apportés, des vertus de laïcité à la française ? La réponse affirmative se résumant en ceci : la neutralité religieuse en vigueur dans la totalité du champ des fonctions publiques – une neutralité qui se doit, somme toute, d’être aussi impartiale que celle dont l’Etat fait montre à l’endroit de la pratique de la pêche à la mouche, de la philatélie ou de la musique de chambre -, non seulement adosse la liberté de conscience sur la garantie de la paix civile, mais, confession par confession, conviction par conviction, protège les droits allant de pair avec cette liberté pour les citoyen(ne)s qui se réclament de chacune de ces options.
Individuellement et tout autant en leurs associations de croyances et de pensées communes – plus particulièrement pour les familles spirituelles les plus exposées à la vexation et à l’humiliation. Face auxquelles les accusations de desseins dominateurs, ou séparatistes, trouvent, en la pratique de la laïcité, de ses règles et de ses modes d’exercice, leur démenti républicain.
Pour autant, bien sûr, que ceux qui ont en charge de porter et de prononcer ce démenti assument en la matière leur devoir. Et qu’en tout premier lieu, ils respectent la loi et les principes de la République laïque qui est la nôtre.
Didier Lévy – 26 février 2021
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EN GUISE DE POSTFACE… : l’antisémitisme, une histoire personnelle.
¤ Et d’abord un pan familial de « L’hommage de la nation aux Justes de France ».
Ma famille a appris jusqu’où l’antisémitisme peut mener. Elle compte des patronymes des plus à même de pousser jusqu’à son paroxysme la rage antisémite. Tout en comportant, pour ce qui a été de mes parents, cette particularité qui tenait à ce que ma mère était catholique – ultime étape de l’assimilationnisme civique, ardemment patriote et républicain de ma branche paternelle, juifs d’Alsace redevable à la Révolution de leur citoyenneté.
Une mère qui, sous l’Occupation et en l’absence de mon père exilé depuis 1942, abrita chez elle, de l’été 1943 à la Libération de Paris un an plus tard, et avec mes deux frères sous son toit, une cousine germaine de son mari, juive par conséquent et munie du très fragile déguisement de faux-papiers.
A la différence de sa propre mère qui, très âgée, mourut dans le wagon qui l’emportait début 1944 vers Auschwitz, cette cousine eut ainsi la vie sauve et, toute athée militante qu’elle fût, devint quelques années plus tard ma marraine.
¤ S’appeler Lévy sans être juif.
Cet antisémitisme, je ne pouvais pas ne pas croiser au cours de ma vie, compte tenu de mon patronyme. Avec la circonstance particulière que n’ayant reçu, dans le contexte historique et dans le vécu familial de l’après-génocide, aucune transmission religieuse ni culturelle du judaïsme, j’aurai aussi à me garder de choquer par mon ignorance cultuelle les juifs que je croiserai (camarades de classe puis collègues de travail notamment), et également de passer à leurs yeux pour « un juif honteux« .
Mais les rencontres les mieux gravées furent celle des quiproquos provoqués par cette ignorance : s’appeler Lévy sans être juif (ou sans être reconnu comme tel), en raison d’une mère qui ne l’était pas, et ne posséder de surcroît, pendant fort longtemps, qu’une très faible connaissance de la religion qu’on vous prête et surtout des prescriptions, si étendues et si exigeantes, propres à celle-ci – ou au moins de celles dont l’observance vient le plus souvent à se trouver appelée -, est un état dont on ne se sort qu’en acquérant des ressources inépuisables d’humour. Quantitativement du même ordre que celles que le fait d’être juif est censé vous procurer …
De ces quiproquos, je n’en citerai qu’un pour son côté d’attrape-nigaud. Imagine-t-on ‘’la tempête sous un crâne’’ qu’on traverse quand à quatorze ans, invité à dîner chez son meilleur copain – circonstance très courante mais, ce soir là, étoffée de la présence des couverts d’un oncle et d’une tante et de ceux de deux neveux, et nettement plus ‘’habillée’’ qu’à l’ordinaire -, on voit la tablée se lever vers la fin du repas et se souhaiter, en plein mois de septembre, une « Bonne année » – avec tout l’empressement chaleureux qu’on est accoutumé à associer à un Nouvel An ? Ni mon copain ni sa mère n’avaient pu un instant envisager que le calendrier du judaïsme me fût totalement inconnu. De mon côté, l’idée qu’ils étaient juifs ne m’avait pas traversé l’esprit : leurs ancêtres, à l’instar de nombre de leurs coreligionnaires, avaient pris pour patronyme le nom de la ville dont ils venaient, et – comme on dit abruptement – ‘’il fallait savoir’’ que Coblence, comme entre autres Marseille, Toulouse, Lyon (et) Caen étaient ainsi des noms juifs.
Les miens d’ancêtres, obligés eux-aussi à l’époque napoléonienne de se doter d’un patronyme, avaient dû à leur place éminente dans leur communauté d’Alsace de porter un nom référé à la Bible (mais devancés en supériorité d’office et d’état par les attributaires du nom de Cohen). Je me dirai plus tard qu’avec une composition différente des couples originels, j’aurais pu hériter du nom de métier qui avait échu à ma grand-mère de la branche paternelle, et qu’Haarscher eût été pour moi un nom de famille moins exemplairement démonstratif de ma méconnaissance du judaïsme …
Quoique j’y aurais perdu de vivre cette précoce expérience de se trouver d’un coup projeté dans la surréalité où se déplace un personnage de Buñuel.
Pour refermer cette parenthèse, j’ajouterai que j’ai revécu à plusieurs reprises, bien des années plus tard, et sous la même connotation assez surréaliste, cette confrontation avec ‘’l’ailleurs’’ du nouvel an juif. Mais en étant alors capable de négocier la soudaineté de l’incongru sans rien laisser deviner du travail intérieur de mémoire que j’avais, au plus vite, opéré. Et même d’anticiper, par le réflexe adéquat, une récidive de mon partenaire de l’année précédente qui, désormais confiant en notre bonne intelligence, me souhaitait cette fois notre Bonne Année … en hébreu.
¤ Retour à la gravité : un antijudaïsme national.
Durant mon enfance – située à assez proche distance des persécutions de Vichy et des déportations allemandes (on insistait alors de façon relativement moyenne sur leur fin exterminatrice que vise aujourd’hui « la folie criminelle de l’Occupant« ) -, c’est à l’antijudaïsme chrétien que j’ai eu affaire. Venu d’abord d’enfants de relations de mes parents appartenant à des familles catholiques des plus pratiquantes et qui s’identifiaient à ce qu’elles étaient ‘’nombreuses’’ – au point les deux catégorisations se confondaient. Un antijudaïsme dont on pourrait presque se dire qu’il était sans ‘’vraie’’ méchanceté dans son fond. Principalement constitué de préjugés multi séculaires (ou par l’enracinement de leurs reliquats les plus supérieurement tenaces), de la codification d’une méfiance non moins longuement entretenue et transmise, et d’une bonne conscience dans le rejet qui donnait à ce dernier le trait d’une conséquence naturelle de l’appartenance à la foi catholique.
Le tout se résumait en un protocole bien appris où la séparation d’avec les juifs, explicite dans le tout venant de son affichage, se comprenait comme implicite dans ses raisons : le refus et le ‘’déicide’’ du Messie commis par Israël. Cependant, ce déterminant religieux se doublait d’un sous-entendu plus politique – fait de la projection d’une image réactionnaire sur un miroir réducteur – qui préfigurait les thématiques identitaires dont l’axe tournerait plus tard sur les baptêmes conjoints de Clovis et de la France. Et qui ressortait, de longue date, de l’amalgame formé autour de l’exhortation à être « Catholiques et Français toujours« .
Passées la décennie de Vatican II – le temps-charnière de l’abandon par la droite catholique des exprimés anti juifs -, puis l’embellie projetée par celle-ci sur les proches suivantes – qui prorogea la contrainte au silence prononcée depuis la Libération à l’encontre des nostalgiques et des continuateurs en puissance de la politique anti-juive de Vichy -, l’antisémitisme se retrouva en quête de gisements productifs ou demeurés tels : à ce que je vis à chaque détection de sa prégnance, il concentra donc son approvisionnement en phantasmes et en délires sur le foncier de ses sources contemporaines nationales – au sens détourné et dégradé, bien sûr, que les tenants du nationalisme intégral donnent à ce qualificatif de national.
De sorte que si l’antisémitisme nazi, d’ailleurs désormais confronté à une narration plus effroyablement documentée de ses camps d’extermination, demeure groupusculaire, on détecte de nouveau, par leurs réactivations, les empoisonnements du débat public qu’avaient produits Drumont et Maurras, ainsi que les composantes des représentations mentales que leur démence – la paranoïa aigue du guide de l’Action française étant aussi avérée que sa surdité – avaient imprimé dans les mentalités les plus réceptives de leur temps. S’entend ici le temps long qui va de la fin du XIXème siècle à l’épilogue de la Seconde guerre mondiale. Une histoire repoussante que je me suis néanmoins attaché à connaître et à comprendre, et à présent sans doute plus que toute autre, pour tenir une place plus activiste parmi les vigilants – ceux qui face à toutes les déclinaisons de la haine du juif, se gardent d’oublier que « le ventre est encore fécond … ».
Cet antisémitisme du ‘’retour aux sources’, toutefois, ne vient aujourd’hui pas seul : spectre voué à hanter, avec plus ou moins de bruit de fond selon les saisons humaines, la maison commune de nos diversités, il y cohabite avec d’autres pourvoyeurs en venins. La concurrence qui s’instaure ainsi entre toxines hésite dans le classement respectif de leurs capacités létales à l’endroit de nos sociétés.
L’ennemi du genre humain porte, à son choix, selon sa pathologie, l’uniforme de la xénophobie, celui du fanatisme, celui des racismes ou celui du sexisme – énumération non limitative. Mais il se fournit au même arsenal dont l’enseigne est à la haine de l’autre.
Toutes et tous ne s’y mesureront peut-être pas directement. Mais le propos, l’avertissement, que je plaide en conclusion de mon ébauche d’histoire personnelle, peut se résumer en ceci : cette haine est toujours suralimentée par le repli sur une fortification communautaire se décrétant inexpugnable, autrement dit par la revendication d’un identitarisme ségrégatif – d’aucuns le qualifieraient de séparatif …
Au moins dans notre pays, parce qu’en France, il n’y a qu’une communauté, la nation. Et qu’ainsi conçue, la nation s’ajuste exactement sur les droits fondamentaux déclarés en 1789, et sur ceux qui se sont développés à leur suite avec pour objectif de nous réunir dans une République démocratique, laïque et sociale.
DL – 26 02 2021
[1] La loi prescrit qu’« il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privés, ainsi que des musées ou expositions ». L’esprit qui inspire cette disposition est celui de la neutralité des autorités publiques, et en particulier des municipalités. En décidant l’érection d’un monument religieux, une municipalité marquerait sa préférence pour un culte au détriment du reste de la population.
[2] Il va sans dire que ces interprétations ne s’accompagnent d’aucun déni de l’importance séculaire du courant Habad-Loubavitch – inclus son très riche fond de contestations et de controverses -, son enseignement de sagesse, compréhension et savoir, et son apport à la mystique juive.
N’y aurait il pas moyen de raccourcir le texte ?
On l’a demandé à l’auteur et il aurait raccourci son texte !
Merci également pour la qualité de votre mise en page. Une remarque aussi : la Soukka installée sur une place de Neuilly/Seine devait avoir au moins cinq à six fois la dimension de celle qui figure sur votre photographie – j’aurais dû, au reste, penser à vous communiquer la photographie que j’avais prise de cette dernière en 2019, et que j’avais largement diffusée sur les réseaux sociaux, y compris comme illustration d’une pétition que j’avais alors lancée.
Texte long ou court.
La Belle France va devenir Françarabia d’ici 10/15 ans.
Et démographie oblige (plus de 15 millions d’électeurs de français de papier), le président sera un Mohamed.
Et les collabos français islamo-dhimmistes voteront une loi afin de placer dans la partie blanche de notre drapeau, soit un croissant soit un cimeterre, soit les 2.
Et la fête de Jeanne d’Arc sera remplacé par Fatiha d’Alger (la fameuse poseuse de bombe)
Perso, je m’en tape, j’aurai fait mon alya depuis belle lurette.
A très peu de choses près, le type d’inspiration d’un Drumont et de tous ses continuateurs. On peut s’essayer, dans cette veine, à un pastiche de Darquier (dit) de Pellepoix – en supprimant seulement le mot « collabo ».
Trop long
J’ai abandonné rapidement.
Ça avait l’air intéressant bien sûr.
Mais beaucoup beaucoup trop long .
Il faut imposer un maximum de caractères.
L’auteur perd des lecteurs.
Ou alors il écrit un livre .
Bien d’accord avec vous ! On peut tout dire en 2 feuillets ! Au delà l’électeur abandonne !
Tout à fait exact : c’est long, et je comprends que ce soit jugé « beaucoup beaucoup trop long ».
En même temps, affaire sans doute aussi de génération, je me fais difficilement à l’idée que la longueur d’un texte soit un critère décisif pour sa lecture. L’irrecevabilité d’un développement argumenté, s’efforçant d’être étayé en tous les angles de vues que parcourt, en demandant du temps au temps, sa réflexion et sa démonstration, me semble être un phénomène récent. Convient-il d’incriminer, sociologiquement, la pratique du « zapping » ou « l’effet Tweeter » ?
Faut-il, et peut-on, autocensurer sur cette considération de format, un raisonnement, un plaidoyer ou un réquisitoire, et surtout sur un sujet tel que l’antisémitisme ?
En clair, autant je me suis fait le scrupule de penser juste, autant je me suis refusé à m’accommoder, cette fois encore, des attentes qui enjoignent de faire bref.
Comme s’il s’agissait, au fond, d’une complicité résignée avec ce qui, dans l’air du temps, concoure à rendre nos débats approximatifs et leurs conclusions trop généralement sommaires.
« Ou alors il écrit un livre » : je partage d’autant plus cette recommandation que le texte en cause a déjà, en pointillé, la vocation à entrer dans la composition d’un ouvrage à venir, avec d’autres textes que je tiens pareillement à défendre.
Merci, en tout cas, pour l’attention que manifeste le commentaire auquel j’ai pris un réele intérêt à répondre.
Une proposition a tout hasard
On pourrait faire précéder l’article d’un « abstract » exactement comme pour les articles des revues médicales.
Un résumé en quelque sorte .
Avec des numéros qui renverraient à certaines parties de l’article .
Excellent idée !