Yvan Chemla – Rien n’est plus sûr que le doute

Entre Montaigne, qui avait le doute profond, et Descartes, qui associait le doute à la raison, le Gaulois du 21ème siècle a opté pour une troisième voie : le doute systématique, gangrenant peu à peu le ciment de la relation humaine. Des révolutions, des bouleversements, des ruptures, la France en a connu, mais cette ultime « mutation », qui s’est glissée insidieusement avant de s’exprimer à grands cris, n’a toujours pas reçu de nom.

On dit d’elle, avec pudeur, qu’elle est « dans l’air du temps ». Dimanche, on élit un Président de la République, mardi on commence à le détester. On choisit un député et on le regrette déjà au sortir du bureau de vote. On critique en chœur un maire et on lui donne sa voix. La pandémie en cours a été l’ultime révélateur de cette bataille de mots, de ces échanges d’insultes et de ces assauts répétés contre une gouvernance défaillante, incapable d’assister ses sujets.

A l’évidence, la France part dans tous les sens, mais pas dans le bon. On a braillé pour dénoncer l’absence de masques et l’on proteste aujourd’hui contre l’obligation d’en porter. Le pouvoir confine, et l’on dénonce cette mesure comme une atteinte à la liberté individuelle. Le Gaulois jure par Toutatis qu’il ne se fera pas vacciner et pourtant, lui et ses congénères dénoncent à grands cris la lenteur de la campagne de vaccination. Comme des typographes fiers de leur page Une, les épidémiologistes se heurtent à longueur de journée, d’un programme télévisé à l’autre, sur le moment précis de la troisième vague. Eux que l’on suivait jusque là avec assiduité sans jamais bien les comprendre, sont désormais regardés comme des auteurs de billevesées, des farceurs solidement ancrés dans leurs certitudes. Et les propos souvent spécieux des dignitaires du Conseil Scientifique, censés orienter le Pouvoir, creusent davantage le scepticisme. Ce ne sont guère les maires, les conseillers municipaux, les conseillers régionaux, qui s’entredéchirent sur les mesures à prendre par l’Autorité Centrale, qui éclairent l’horizon. Et personne ne s’étonnera pas qu’après avoir dénoncé bruyamment la lenteur de la vaccination, on a trouvé un autre motif de grogne sur la stratégie choisie : vaccinons les jeunes, laissons mourir les vieux.

Dans cette France incertaine, les théoriciens du complot trouvent un terrain on ne peut plus fertile. « Ne croyez surtout pas ce que l’on vous raconte. Reprenez vous et dressez-vous contre les démons qui vous manipulent pour mieux vous soumettre », clament les prêcheurs disséminés de par le monde. Beaux parleurs, cravatés et parfois même le cheveu gominé, ils ont déjà fait des centaines de milliers d’adeptes que l’on retrouve désormais de la Terre de Feu au Pôle Nord. Les cibles n’ont pas beaucoup varié, mais l’on s’appesantît plus, en ces temps de pandémie, sur la Big Pharma, ces laboratoires géants, qui imposent leurs prix et leur tempo. Et si la campagne de vaccination en France a démarré à un rythme aussi lent, c’est parce qu’au fond, et très égoïstement, on a souhaité attendre un vaccin certifié national.

Il ne fait pas de doute que ces théoriciens ont largement puisé dans le prêche de Donald Trump et dans sa longue pratique du poker menteur. Face à ces apôtres d’une « autre vérité », il serait salutaire, cette fois, que l’on montre unanimement méfiance et suspicion

Yvan Chemla

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*