Charles Rojzman. Le relativisme, suicide de la raison

A partir du moment où on a accepté l’idée qu’il n’y avait pas de vérité absolue et que la réalité n’existait pas en tant que telle mais qu’elle était dépendante du regard qu’on portait sur elle, à partir du moment où on a accepté ce relativisme-là, il devenait évident qu’on allait pouvoir affirmer que la réalité était utilisée par les dominants pour asseoir leur pouvoir.

La réalité devient alors un enjeu : étant le produit d’une idéologie, on peut lui opposer une autre idéologie.

Ainsi, peu à peu, sous l’influence de ce qui restait des idées marxistes sur l’histoire et la société, il est devenu facile de dire que cette réalité qui nous est présentée n’est pas la vérité mais la vision que veulent nous présenter les dominants pour asseoir leur domination sur les dominés.

Tout est ouvert alors pour toute affirmation exprimée par les dits dominés. La vérité devient un terrain de combat où s’affrontent différentes vérités dont l’une doit l’emporter sur les autres. Comme dans tout totalitarisme on pourra inventer une réalité, une science socialiste à la Lyssenko, une science nazie opposée à une science juive, dire que la paix c’est la guerre et inversement comme dans le 1984 de George Orwell.

Les affirmations les plus délirantes peuvent être émises à partir du moment où elles sont utiles dans le combat: L’histoire aurait été écrite par l’homme blanc au service du patriarcat, l’hétérosexualité serait un mythe construit comme le genre lui-même, On peut alors réécrire la biologie, la science, l’histoire et pire encore faire disparaître toute trace de cette histoire qui n’est pas la vérité mais une construction sociale au service d’une oppression.

On ouvre ainsi la voie à des superstitions d’un autre âge qui ont pour elles l’avantage du nombre et de la force.

Comment résister à ce relativisme qui devient dominant en Occident dans le monde académique et qui, supprimant tout universalisme, fait éteindre les Lumières qui furent une acquisition difficile face à l’obscurantisme religieux ?

L’être humain est avide de ce qui peut lui donner un sens et dans une époque troublée et chaotique comme la nôtre, les certitudes même régressives et illusoires peuvent l’emporter sur ce socle péniblement construit de la raison et de l’universel.

Il y a trente ans environ, pour faire face aux violences et à l’insécurité qui déchiraient déjà notre société, j’ai inventé une approche de psychologie politique clinique que j’ai baptisée à l’époque Thérapie sociale en souvenir d’actions qui avaient été conduites par des héritiers de Freud et de Mélanie Klein inquiets comme Freud lui-même l’avait écrit dans « Malaise dans la civilisation » de ce qu’on pouvait appeler des pathologies sociales pouvant provoquer la destruction de l’humanité.

Cette thérapie sociale avait au départ pour objet de comprendre et de prévenir les phénomènes de violence et de haine qui désagrégeaient le tissu social.

Bien vite, il m’est apparu que la violence était une solution plutôt qu’un problème et qu’elle permettait d’obtenir des résultats et des acquisitions à partir d’une vision folle de soi-même et des autres. Des actions de thérapie sociale ont été menées en France et à l’étranger pour réunir et tenter de réconcilier des personnes et des groupes opposés par des visions différentes de la réalité qui les poussaient à des affrontements au lieu de chercher ensemble le bien commun. Le processus de thérapie sociale qui les aidait à retrouver de la confiance en eux et dans les autres leur permettait de parler avec franchise de leur vécu réel et de donner des informations sur la réalité qu’ils détenaient au lieu d’opposer les uns aux autres leurs idéologies, leur victimisation et leurs accusations parfois paranoïaques.

Ainsi, ensemble, ils découvraient la réalité en recollant tous les bouts d’informations dont chacun disposait. La Thérapie sociale devenait alors une sorte de révélation pour chacun de la réalité dans toute sa complexité et sa richesse. La réalité existe et elle peut être connue par le débat, un débat qui doit être accompagné pour aider la prise de parole et la capacité à supporter le conflit. C’est cette recherche en commun de la réalité qui permet d’éviter les délires idéologiques qui ne sont pas vrais mais qui sont utiles pour déployer des violences et soutenir un pouvoir sur les autres. Comme le disait Jules Romains au plus fort de la deuxième guerre mondiale, « Nous sommes payés pour savoir que la jeunesse d’un peuple s’empoisonne avec facilité, et qu’ensuite cela peut coûter cher, et à ce peuple, et à la civilisation générale ».

© Charles Rojzman

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