La pandémie du SARS-COV 2 n’est pas terminée et il est trop tôt pour faire un bilan comparatif de la gestion de cette catastrophe dans les différents pays. Certains comme l’Allemagne ou la Corée du Sud, qui avaient bien maîtrisé la première vague, semblent avoir des difficultés cet hiver, d’autres comme la Suède, qui avaient choisi la stratégie de l’immunité collective, y ont renoncé, et la situation aux États-Unis tourne au chaos, faute de leadership. Il est cependant un domaine où l’on peut tirer de premiers enseignements, c’est celui de la recherche médicale, qu’il s’agisse des vaccins, des tests ou de la génomique du virus.
Les premières manifestations de l’émergence du virus en Chine remontent très probablement à la fin d’octobre 2019. Le premier cas a été établi en date du 17 novembre à Wuhan bien que les premières déclarations officielles des autorités chinoises d’une « probable nouvelle maladie respiratoire contagieuse » ne datent que du 27 décembre. C’est le 31 décembre que les autorités chinoises informent officiellement l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de cette nouvelle maladie. Mais la réticence à reconnaître la gravité de la situation perdure. Le 3 janvier, la plus haute autorité sanitaire chinoise, la Commission nationale de la santé, interdit de publier toute information sur le virus, et demande aux laboratoires de détruire ou de transférer tous les échantillons du virus. Un chercheur va braver cet interdit, le professeur Zhang Yongzhen, à l’Université de Fudan. Il reçoit un échantillon venu de Wuhan le 3 janvier et décode le génome du virus en deux jours. Le 5 janvier, il transmet le génome du Sars-Cov-2 décodé au Centre national américain d’information sur les biotechnologies (NCBI) pour la base de données GenBank des Instituts nationaux de la santé des États-Unis, qui contient des séquences d’ADN accessibles au public. Le 7 janvier il dépose un article pour la revue Nature cosigné avec le professeur Edward Holmes de la faculté de médecine de l’Université de Sydney, avec qui il collabore étroitement. L’article sera publié le 16 avril[1].
C’est alors que Zhang Yongzhen transgresse les directives du gouvernement chinois et donne son accord à la publication en ligne du génome du virus le 10 janvier. C’est en son nom que Edward Holmes l’annonce officiellement dans virological.org. Et le 11 janvier, dans un tweet qui est déjà entré dans l’histoire de la science, Edward Holmes écrit « Une première séquence du génome du coronavirus associé à l’épidémie de Wuhan est maintenant disponible sur http://Virological.org ». Une fois la porte ouverte, ce même jour, le 11 janvier 2020, une autre équipe du Centre des maladies infectieuses de Chine (CDC), ainsi que deux autres équipes, ont partagé à leur tour des séquences génomiques additionnelles du nouveau coronavirus sur « Global Initiative on Sharing All Influenza Data » ( GISAID), une plateforme internationale de partage des données sur la grippe.
En représailles, le régime chinois a lancé une enquête de « rectification » contre le laboratoire de Zhang Yongzhen et l’a fermé jusqu’en février, l’accusant de « malfaisance ». La revue américaine TIME lui a rendu hommage le classant parmi les 100 personnalités les plus influentes au monde en 2020 : « La rapidité sans précédent de l’équipe Zhang a été rendue possible par l’extraordinaire réseau de surveillance des maladies qu’elle avait mis en place pour détecter les nouvelles souches de grippe et les coronavirus. Ces données ont permis aux scientifiques du monde entier de commencer à développer des tests pour détecter le virus dès le mois de janvier ». Sans son acte courageux, il aurait fallu attendre beaucoup plus longtemps la publication du génome, retardant d’autant la compréhension du danger, la production de tests et la recherche du vaccin. Jamais le génome d’un virus n’a été décodé aussi rapidement, jamais sa séquence n’avait été publiée aussi rapidement, a fortiori sans l’accord du gouvernement concerné.
Si l’on ne connaît pas la génomique d’un virus, il est impossible de lutter efficacement contre lui. Pour comprendre son comportement et ses capacités propagatrices, la connaissance approfondie de son génome et celle de toutes ses mutations, variantes et lignées est indispensable. C’est ce qui rend possible de concevoir des stratégies de prévention ou de lutte efficaces. La génomique est la mère de toutes les batailles. Mika Salminen, directeur de la Sécurité sanitaire finlandaise et membre du Centre européen des maladies infectieuses (ECDC) fait part également le 11 janvier « du caractère vital de ces informations pour la santé publique« . Quelques jours après, le 17 janvier, l’ECDC publie son rapport « Évaluation rapide des risques : grappe de cas de pneumonie causée par un nouveau coronavirus, Wuhan, Chine, 2020 » (PDF) avec une bibliographie abondante et actualisée.
Grâce à la publication du génome du SARS-COV2, la communauté scientifique mondiale peut se mettre au travail. Le programme est vaste et le temps est compté. Il faut approfondir la compréhension du génome, développer le plus rapidement possible les kits de test, avancer dans la production des antiviraux et lancer les travaux sur les vaccins. Quand la science est au pied du mur, son génie créatif se révèle et vient au secours de l’humanité, alors même que le scepticisme de l’opinion publique internationale à son égard n’a jamais été aussi grand. Les travaux scientifiques en cours portent une double révolution, une génomique en « temps réel » ou presque, qui permet de suivre les mutations du virus, et le nouveau procédé thérapeutique du vaccin à « ARN Messager ». Malheureusement la France n’est partie prenante d’aucune de ces deux révolutions. Telle est la deuxième mort de Louis Pasteur.
Depuis Pasteur, la vaccination consiste à administrer un antigène au patient. Avec l’ARN Messager c’est un bio-codage qui est injecté pour donner l’instruction aux cellules de fabriquer l’antigène vaccinal en leur délivrant le code génétique de sa fabrication. C’est grâce à cette technique qu’un vaccin a pu être conçu et validé en moins d’un an.
En Allemagne, dès janvier 2020, la startup BioNTech décide de mobiliser une équipe de quarante personnes dédiées exclusivement à la création d’un vaccin, en utilisant leurs connaissances et leurs savoir-faire sur l’ARN Messager. Un partenariat est mis en place avec Pfizer à partir de son brevet. Le 4 mai, le premier patient-candidat est vacciné, leurs essais cliniques rentrent rapidement en phase III en Chine et aux États-Unis. Les résultats intermédiaires des essais sont rendus publics, et en novembre Pfizer et BioNTech annoncent que leur vaccin est efficace à 90%. Le 21 décembre, ce vaccin a été approuvé pour son usage en Europe, sous le nom de « Comirnaty ».
On trouve sur le site de la recherche de l’industrie pharmaceutique allemande toutes les informations sur les programmes internationaux de développement de vaccins. La stratégie du gouvernement allemand y est clairement expliquée. Dès l’annonce du décodage du génome, il décide de soutenir pas moins de neuf programmes de recherche sur le vaccin ! Le ministre allemand de la Santé déclare en septembre 2020 : « Nous ne misons pas sur un seul type de vaccin, ni sur une seule équipe de développeurs, ni encore sur une seule technologie… Nous voulons subventionner un large spectre. Il ne s’agit pas d’être les premiers. Ce que nous voulons, c’est un vaccin efficace et sûr. » Trois programmes phares se sont progressivement dégagés en Allemagne, aucun des trois n’était initié par une « Big Pharma » : BioNTech est une startup créée par des universitaires, CUREVAC, une spin off d’université, et Biologika, une entreprise familiale. Le vaccin de BioNTech a été le premier à être homologué en Europe.
L’efficacité de cette stratégie allemande est tout aussi remarquable dans le domaine des tests. Dès le décodage génomique accessible, le professeur Christian Drosten, directeur de l’Institut de virologie à l’Hôpital de la Charité à Berlin, codécouvreur du SARS en 2003, met au point le 20 janvier le test PCR qui est rendu librement disponible. Il est aussitôt fabriqué et utilisé en Allemagne, c’est un des éléments-clés de la réussite du pays dans sa lutte contre la pandémie, lors de la première vague. Le Pr Drosten conseille le gouvernement allemand, et il s’est rarement trompé dans ses prévisions : en avril 2020, il a annoncé la forte probabilité d’une nouvelle vague en octobre en Europe si des dispositions majeures n’étaient pas prises.
Un autre aspect de la stratégie allemande est important, il concerne la capacité à publier des statistiques fiables, pertinentes et intelligibles, domaine où la France a un bilan peu glorieux. Le Robert Koch Institut publie chaque jour depuis le 29 mars un rapport très complet en incluant les statistiques hospitalières et un tableau de bord territorialisé.
Aux États-Unis, la société Moderna a connu un parcours semblable à BioNTech. C’est une startup issue du programme « VentureLabs » de l’incubateur d’entreprises « Flagship » à Cambridge (Massachusetts). Elle a été créée pour commercialiser une invention de Derrick Rossi du Boston Children’s Hospital en médecine régénérative. Le français Stéphane Bancel la dirige depuis 2011, et comme BioNTech, Moderna travaille au développement des thérapies à ARN Messager, dans le domaine cardio vasculaire et surtout le cancer. Lors de l’annonce du décodage du génome, Moderna s’associe avec l’Institut national Américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAID) pour mettre à contribution leurs acquis sur la technologie ARN pour produire un vaccin contre la COVID-19. Les essais ont commencé le 16 mars, le 18 mai les premiers tests sont faits sur un groupe de volontaires, le 16 novembre ils annoncent une efficacité de 94,5% au cours des essais de phase III et depuis le 18 décembre leur vaccin est autorisé aux USA en procédure d’urgence, 19 jours après le dépôt. Moderna fait partie des huit entreprises qui ont été sélectionnées dans le cadre du programme « Operation Warp Speed » (OWS), un partenariat public-privé de grand ampleur, initié par le gouvernement américain et doté de 10 Milliards de dollars pour faciliter et accélérer le développement, la fabrication et la distribution de vaccins, thérapeutiques et diagnostics contre la Covid-19. Ce programme a été initié en avril 2020 et a permis à Moderna de bénéficier d’un financement global de 2,5 milliards de dollars.
On trouve en Grande-Bretagne un autre exemple de ce que la France aurait pu faire et qu’elle n’a pas fait. Il s’agit de la création du consortium COG-UK COVID19 GENOMICS.
Cette initiative a été lancée en mars 2020 pour fournir un séquençage rapide et à grande échelle du génome entier du virus. Séquencer le plus vite possible est essentiel pour suivre les mutations du virus, identifier les capacités propagatrices des « mutants », leur agressivité, vérifier si les vaccins sont toujours efficaces, comme l’indique la présentation du consortium : « Les données de séquençage du génome viral permettent de mieux comprendre les épidémies et de renforcer les mesures de contrôle des infections. L’intégration de données de génomique virale en temps réel dans les enquêtes sur les épidémies permet d’identifier des modèles reliant des cas individuels et peut révéler des possibilités d’intervention autrement non identifiables. Le séquençage du génome viral permet également de suivre l’évolution du SARS-CoV-2 à la recherche de mutations susceptibles d’avoir un impact sur l’efficacité des vaccins. »
Le COG-UK est un partenariat entre les organisations du ministère de la Santé Britannique (NHS), les quatre agences de santé publique du Royaume-Uni, le Wellcome Sanger Institute et plus de douze institutions universitaires fournissant des capacités de séquençage et d’analyse. Depuis son lancement, le COG-UK a généré plus de 100 000 génomes du SARS-CoV2, soit plus de 45 % du total mondial. Cet effort sans précédent n’a jamais été réalisé auparavant pour aucun agent pathogène, où que ce soit dans le monde.
Le professeur Sharon Peacock, qui est le directeur de COG-UK, professeur de santé publique et de microbiologie à l’université de Cambridge et directeur scientifique (génomique des pathogènes) à Public Health England, explique : « Pour comprendre pleinement la propagation et l’évolution du virus du SARS-CoV-2, nous devons séquencer et analyser les génomes viraux. Le schéma d’accumulation des mutations dans les génomes nous permet de déterminer la parenté des échantillons de virus et de définir les lignées virales afin de comprendre si les épidémies locales sont causées par la transmission d’une seule ou de plusieurs lignées virales. L’analyse des séquences du génome viral nous permet également de suivre l’évolution du SARS-CoV-2 et d’évaluer si des mutations spécifiques influencent la transmission, la gravité de la maladie ou l’impact d’interventions telles que les vaccins. »
Cette initiative est exemplaire. Grâce à elle, il a été possible d’identifier la nouvelle lignée B.1.1.7 nommée VUI202012/21 (VUI pour Variant Under Investigation) et la possible présence de la lignée détectée en Afrique du Sud, la B.1.351de son code N501Y.V2.
Identifier ces mutations en quasi-temps réel est essentiel dans la lutte contre la pandémie. Cela permet d’évaluer rapidement les risques de diminution de l’efficacité du vaccin, tandis que l’agilité technologique des vaccins à ARN messager autorise une reconfiguration rapide, de l’ordre de quelques semaines. C’est la convergence d’une recherche puissante, coordonnée et accessible en génomique avec les bio technologies par ARN qui permettra de suivre les lignées du virus et d’adapter les vaccins.
Ce tour d’horizon rapide des résultats impressionnants de la recherche médicale dans sa lutte contre le SarS-CoV 2 dessine en creux les contours du fiasco scientifique français. Seuls deux projets de vaccin sont français sur les 267 en cours de développement. Encore faut-il considérer – comme le fait le gouvernement français – que Sanofi est une entreprise française même si l’essentiel du financement de son projet est d’origine américaine. Ce vaccin traditionnel, à virus inactif, est en phase 1-2 et ne sera disponible que fin 2021, si tout se passe bien. L’autre projet porté par l’Institut Pasteur, en partenariat avec l’Université de Pittsburg et Themis, filiale de Merck, est un vaccin à vecteur viral (à partir de la rougeole). Aucun projet français n’utilise l’ARN messager. En matière de vaccin traditionnel, l’université d’Oxford associée à Astra Zeneca a une longueur d’avance, son vaccin à vecteur viral a été homologué par le gouvernement britannique le 30 décembre. Efficace à 90%, il est bon marché et ne pose pas les mêmes problèmes de stockage et de logistique que les vaccins à ARN messager.
Du côté du séquençage, seule une stratégie de coopération de tous les laboratoires et de tous les chercheurs avec une mise en commun de tous les échantillons et de toutes les machines aurait été efficace, sur le modèle britannique du COG-UK. Il semble que ni le ministère de la santé, ni celui de la recherche, ni l’Inserm n’ont tenté sérieusement de mettre en place un tel consortium. En France, chaque laboratoire de virologie travaille seul dans son coin sur ses propres échantillons, et l’impact est moindre, quelle que soit la qualité des chercheurs. L’appel des scientifiques du collectif « FranceTest » pour la mise en œuvre immédiate et opérationnelle du programme « SentiCov » (sentinelle virale) pour le séquençage des échantillons de personnes contaminées partout en France avec une base de données ouvertes, est resté lettre morte.
Le seul domaine dans lequel la France semble encore disposer d’un leadership mondial est celui de la comitologie. Après la création du Conseil scientifique, le 11 mars, Un Comité analyse, recherche et expertise (CARE), présidé par Françoise Barré-Sinoussi, a été installé le 24 mars. Un fonds d’urgence dédié au financement de la recherche sur la Covid a été mis en place le 19 mars, simultanément le ministère de la santé a lancé deux appels à projets qui ont financé 54 projets de recherche. De son côté l’ANR (Agence nationale de la recherche) a piloté deux appels à projets en association avec le consortium REACTing (REsearch and ACTion targeting emerging infectious diseases), rattaché à l’Inserm. Les essais cliniques se sont focalisés sur les médicaments existants, dont l’hydroxychloroquine, avec des résultats décevants. Au mois de mai était constitué un comité scientifique consacré aux vaccins, sous la responsabilité de la virologue Marie-Paule Kieny.
Cette simple liste des initiatives illustre le problème français. La multiplication des instances ne permet ni la coordination, ni la focalisation sur quelques projets phares. Aucune institution de pilotage ne dispose de l’autorité et de la légitimité scientifique pour imposer des choix et fédérer les énergies et les talents. Certains ont parlé « d’épidémie de recherche » pour évoquer cette période folle qui va de février à mai, caractérisée par la prolifération et la dispersion des projets[2]. La multiplication des articles scientifiques publiés dans l’urgence, la course à la prépublication sur des plateformes de partage, l’emballement médiatique, la cacophonie des prises de paroles des scientifiques ont fini par accoucher de ce qu’on pourrait appeler le « spasme » de la chloroquine. Une étude de l’INA nous apprend qu’entre le 23 et le 29 mars, sur BFMTV, le mot “chloroquine” a été prononcé jusqu’à trente-cinq fois par heure et le nom de “Didier Raoult” jusqu’à quinze fois par heure. Le dimanche 22 mars, le mot “chloroquine” a été prononcé 250 fois.
Lorsque la française Emmanuelle Charpentier a obtenu le prix Nobel de chimie 2020, pour la découverte du ciseau à ADN, Crispr-Cas9, une technique révolutionnaire pour retoucher le génome d’un organisme vivant, on s’est aperçu que son parcours professionnel a eu lieu hors de France dès l’obtention de sa thèse. Les Etats-Unis, d’abord, l’Autriche et l’Allemagne ensuite, jusqu’à la direction de l’Institut Max Planck pour la science des pathogènes à Berlin. Lors d’une interview, après son prix Nobel, elle a dit très poliment: « Je pense que la France aurait du mal à me donner les moyens que j’ai en Allemagne. »
Pauvre Pasteur, repose en paix.
[1] Yong-Zhen Zhang and Edward C. Holmes, « A Genomic Perspective on the Origin and Emergence of SARS-CoV-2, » Cell, No. 181, April 16, 2020, https://www.cell.com/cell/pdf/S0092-8674(20)30328-7.pdf.
[2] https://www.senat.fr/commission/enquete/gestion_de_la_crise_sanitaire.html pp. 246-260
Poster un Commentaire