Dessinateur de presse au Parisien notamment, Olivier Ranson revient sur le cas de Xavier Gorce, qui a quitté le journal Le Monde avec fracas. Il dénonce la frilosité de plus en plus marquée des rédactions, sous la pression des réseaux sociaux.
Mercredi 20 janvier, le dessinateur de presse Xavier Gorce quittait le journal Le Monde, en lui reprochant d’avoir cédé à la pression des réseaux sociaux. La direction s’était en effet excusée d’avoir publié un de ses dessins évoquant notamment l’inceste. Dessinateur de presse au Parisien, à Actualité juive et pour la revue Être handicap, Olivier Ranson cherche de son côté à liquider l’ultra sensibilité de notre époque.
Entretien avec un esprit libre qui manie aussi bien l’humour noir que le dessin.
Marianne : Que vous inspire ce qu’on appelle l’affaire Gorce ? Avez-vous été surpris ?
Olivier Ranson : Ces excuses de la part de la rédaction du Monde sont tout bonnement un acte de soumission. Le Général de Villiers a démissionné pour moins que ça… Je comprends les protestations que peut susciter ce dessin. Cependant, selon moi, quoi que l’on puisse dire, le dessin de Gorce était anodin, il ne louait pas l’inceste et ne s’attaquait pas aux transgenres. C’était un joyeux mélange de l’actualité. Je l’aurais volontiers fait si j’y avais pensé !
Cette affaire révèle la place donnée aux dessinateurs par des journaux comme Le Monde qui prétendent défendre les dessins de presse, mais qui en réalité ne les voient que comme une illustration, un bouche-trou dans leurs pages.
La décision de Gorce de quitter Le Monde est compréhensible. Le journal l’a désavoué et lui a demandé désormais de soumettre ses dessins avant parution. Le Monde qui dit défendre la liberté se trouve offusqué par la liberté du dessinateur. D’ailleurs, le journal ne le considère pas comme un membre de la rédaction, Gorce n’a bénéficié d’aucun soutien interne. On dit que le dessin de Gorce avait choqué certains membres de la rédaction. Mais un dessin de presse n’a pas vocation à faire l’unanimité. On est bien obligé de parler de ce dont on parle ! Ou alors, on fait de jolies illustrations qui ont pour seul objectif de remplir les pages.
Vous avez vous-même été censuré, par Facebook notamment, à plusieurs reprises…
Il y a la question des algorithmes et aussi celle des dénonciations. Je me suis mis à dos pas mal de gens, des islamistes et des mal-baisés. En décembre dernier, j’avais publié un dessin représentant des footballeurs après le match PSG – Istanbul Basaksehir. Contre le racisme, avant le début du match, les joueurs avaient mis un genou à terre, levé le poing, et s’étaient pris dans les bras. J’avais dessiné des footballeurs enlacés avec la phrase : « Est-ce qu’ils n’ont pas peur de passer pour des PD ? » Ça en était trop pour Facebook qui n’a pas accepté le mot. Le réseau social, qui prend tout au premier degré, a censuré le dessin.
Il y a eu aussi ce dessin faisant référence à la manifestation en 2019 contre l’islamophobie à laquelle avait participé Mélenchon. Le dessin représentait la foule lors de cette manifestation avec la mention « Où est Charlie ? » Et un islamiste répondait : « Heureusement qu’il n’est pas venu on l’aurait égorgé ! » Le dessin a été retiré de Facebook avec les traditionnelles menaces de sanctions. Finalement grâce à certaines protestations et appuis dont je bénéficie, le dessin a eu droit de cité.
J’essaye de passer entre les gouttes, d’éviter la fermeture de mon compte. Les plateformes sont situées dans des pays étrangers culturellement bien différents de notre société. Ainsi, les messages antisémites passent souvent pour des opinions politiques quand la phrase « le prophète me gonfle » par exemple est perçue comme une grave insulte à l’Islam. C’est l’association du système de pensée américain avec des modérateurs pakistanais !
Je me souviens également d’un dessin sur la chanteuse Menel, publié cette fois-ci sur le site le Coq des bruyères qui rassemble des chroniques et des dessins satiriques. La LICRA a repris le dessin dans son bulletin. Le député Aurélien Taché a estimé qu’il était stigmatisant. Hani Ramadan et Alain Soral l’ont rejoint, dénonçant ce qu’ils estimaient être du racisme dans le dessin. Le président de la LICRA, Mario Stasi, a décidé de le retirer. Une manière de céder aux pressions et aux réseaux sociaux.
En 30 ans de carrière, quelles évolutions avez-vous observées ?
Aujourd’hui, il est malvenu de faire des dessins avec des stéréotypes appuyés racistes et heureusement ! Ces dessins disparaissent. En fait, les excès se sont déplacés. Maintenant, on a tellement peur d’être accusé de racisme qu’on décide de ne plus parler du réel, de ce qui fâche. La ligne de crête est mince entre le joyeusement moqueur et l’engagement de la responsabilité du journal. Il faut faire preuve de plus en plus de subtilité pour regagner sa liberté.
Travaillez-vous avec la même liberté aujourd’hui ? Y a-t-il des sujets que vous évitez ?
Il est certain que les rédactions sont de plus en plus frileuses. Pour ma part, je ne me censure pas. Même sans parution dans la presse, je dessine régulièrement le prophète Mahomet que Luz avait dessiné. Les accusations en racisme ou en antisémitisme, je les juge personnellement infondées, je m’en fous. Je suis toujours borderline ! S’arrêter de dessiner Mahomet, c’est reconnaître des justifications aux actes des frères Kouachi. C’est la ligne Edwy Plenel [journaliste créateur du site Mediapart ndlr], ce n’est pas la mienne. »La fin des dessins satiriques ? C’est ce que fait Bolloré à Canal Plus ! «
Sur les réseaux sociaux, quels dessins, quelles thématiques provoquent le plus de réactions indignées ?
Lorsque je fais des dessins sur le terrorisme ou sur les problèmes d’intégration, un tas de braves imbéciles se persuadent que je les vise. Il s’agit certainement d’un déficit narcissique chez certains qui estiment que le dessin est offensant à leur égard. Alors que je parle des intégristes. Il m’est arrivé de recevoir des insultes, des menaces à peine voilées, notamment à la suite de caricatures de Mahomet.
Je ne m’excuse pas, au contraire, j’en rajoute quand, par exemple, des féministes se disent outrées devant une blague. Les effets du politiquement correct apparaissent vite : lorsqu’on lynche une personne, beaucoup se greffent au mouvement, participent à l’acharnement, afin d’avoir la satisfaction d’avoir été du bon côté, pouvoir dire qu’ils étaient dans le camp de la justice.
Le Monde a publié une lettre d’excuses à la suite des messages d’indignation autour du dessin de Gorce. Pour éviter de blesser à l’avenir, peut-on imaginer la fin des dessins satiriques de presse, comme l’a décidé le New York Times ?
Bien sûr ! C’est ce que fait d’ailleurs Bolloré à Canal plus avec tout ce qui lui déplait. Comme dit le Canard enchaîné, « la liberté de la presse ne s’use que si on ne s’en sert pas. »
Source: Marianne. 26 janvier 2021
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