Dina Messica. Chronique d’un temps suspendu – Suite

Ce dimanche ressemblait singulièrement au précédent et il était à attendre que le lendemain connaitrait une trajectoire similaire. D’un jour à l’autre, d’une semaine à la suivante, le rituel était le même, la vie en apnée, un quotidien en suspension.

Cet après-midi aux Buttes-Chaumont, je croisai des visages qui m’étaient jusque-là inconnus. Ces voisins étaient ceux qui autrefois dormaient ici mais vivaient ailleurs. Désormais, ils faisaient tout ici et d’ici.

Curieusement, ces visages loin d’exprimer une frustration de citadins contraints, affichaient comme une satisfaction secrète, cette sorte de joie que l’on garde jalousement pour ne surtout pas risquer d’en perdre une miette. Mais que cachaient-ils donc ? Ces personnes autrefois avides de changement, d’exotisme, semblaient faire aujourd’hui l’expérience de cet ailleurs présent et hospitalier qu’ils n’avaient jamais vraiment investi. Une pause dans l’effervescence leur avait été accordée, un repos leur avait été imposé.

De petits attroupements reconstituaient des scènes dont nous avions oublié qu’elles pouvaient exister autrement que pour les besoins des tournages de Woody Allen. Une brave dame avait investi le parc, elle et sa vieille boite à musique. Une voix ordinaire se donnait non à des touristes, mais bien aux gens d’ici, des habitants de tout horizon et de toute condition. C’est par un morceau plein d’esprit que notre vieille femme inaugurait sa représentation; « le Déserteur », « Monsieur le Président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être, si vous avez le temps… »; puis les vibrantes « Feuilles Mortes», « C’est une chanson qui nous ressemble, toi tu m’aimais et je t’aimais, nous vivions tous les deux ensemble, toi qui m’aimais, moi qui t’aimais… »; puis avec la douceur d’une caresse, « la Mer » s’invita dans ce petit paradis urbain, « La mer qu’on voit danser le long des golfes clairs, a des reflets d’argent, la mer des reflets changeants sous la pluie ».

Ce moment-là s’était créé tout seul. Aucun « organisateur d’évènement unique », « créateur de concept rétro» à injonction émotionnelle immédiate, ne l’avait provoqué. Non, cet instant avait vu le jour par des moyens naturels, l’enfant aimé d’une communion.

Au dehors, au loin, une barrière de protection s’érigeait. Le remède, cette fulgurance de la force créatrice se déployait « lentement » pour certains, « imprudemment » pour d’autres, mais tous ressentaient que nous vivions là une chose extraordinaire. La voix ordinaire à l’arrière était là pour nous le rappeler.

© Dina Messica

Le Blog de Dina Messica

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