Annie Bergougnous. Enfances

Lisant la publication de mon ami Armand Teillet, je me souviens, moi aussi.

« Je regardais ce soir, une émission sur LCP, écrit Armand. L’histoire d’Elie Semoun avec son père vieillissant et l’accompagnant dans sa maladie d’Alzheimer. A un moment du film, il lui reproche avec douceur et avec une douleur rentrée de ne pas l’avoir amené à l’enterrement de sa mère, alors qu’il avait 11 ans« . Ce fut notre cas, à ma sœur, mon frère et moi-même, poursuit Armand. Cela ne se faisait pas à l’époque. Et le père d’Elie Semoun de répondre à son fils: » Laisse-nous entre vivants« . Cela m’a beaucoup touché, finit Armand.


« A.T… Tu as raison, Armand . Je pense qu’il faut dire les choses aux enfants, celles-ci, si importantes. En tant que mère, je me suis toujours appliquée à leur parler normalement, à ne pas bêtifier et ne rien cacher; à verbaliser , comme à des adultes, et tout leur expliquer.

A quatre ans, lorsque mon père est mort, on ne me l’a pas dit. Par contre je me suis retrouvée au cimetière, sans comprendre ce dont il s’agissait ni dans quel lieu nous nous trouvions.

C’est en entendant parler les gens autour de moi et évoquer le nom de mon père que j’ai compris.

Que comprend-t-on de la mort de son père à quatre ans ? Tout. A partir de ce moment, mes yeux se sont ouverts et j’ai tout réalisé de la vie, je sais que j’ai déployé une acuité qui n’était pas celle d’une enfant de quatre ans.

Je revois ces manteaux noirs arrivant au ras du nez de la petite fille que j’étais, je ressens mon bras tiré par la personne qui me tenait par la main. Non qu’elle fût rude, mais elle était sans tendresse.

Personne ne se penchait vers moi, petite enfant, perdue au milieu d’une foule d’adultes en noir. Je me souviens de ce noir, partout. Des manteaux, des bas, des pantalons… tout était noir, et ressortait brutalement du gravier blanc…

Il faisait un froid de gueux, c’était au mois de février. Mon père, né et mort au mois de février. Moi, née en février.

Je me souviens de cette scène, 53 ans plus tard; et sans doute pour cette raison, ai-je développé une sainte horreur des non-dits, une détestation marquée de ne pas savoir les choses, des désistements, des petites lâchetés, de ne pas connaître « la vérité ».

Cela a induit sans doute ma manière frontale d’aller aux choses . Quitte à pousser l’autre dans ses retranchements.

Aussi dur cela soit-il, il me semble que la disparition d’un parent ne doit pas être caché à ses enfants. De quelle manière se construit-on lorsqu’il y a non-dits. De quelle manière, adulte, affronte-t-on la vie, lorsque l’on vous a appris l’évitement à l’essentiel de ce qui constitue la vie, c’est-à-dire la mort?

Je flaire et détecte à des kilomètres ceux qui se désistent de leurs responsabilités, qui fuient les explications, qui prennent la tangente sans élégance.

Oui c’est vrai, je conspue la lâcheté, la veulerie. J’ai développé, toute ma vie, exactement le contraire de ce que l’on m’a imposé de ces silences et non-dits.

Et la vie me le rend bien, puisqu’elle m’impose d’affronter moi-même, depuis ces quatre ans, la frontalité de la Grande Faucheuse.

A elle, on ne la fait pas. A moi, on ne la fait plus. Au final, on devient ce que l’on « naît » , développe-t-on des techniques d’enfouissement ou travaille-t-on à s’extraire pour remonter vers la lumière ?

Au choix, pour chacun, selon sa volonté et sa capacité.

P.S : QUI m’a coupé les cheveux comme ça ??!?Re-P.S : Les mêmes rochers, la même fille, 53 ans plus tard !! Nage nage nage nage plonge dans la vie.

© Annie Bergougnous

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