Sarah Cattan. Jean-Louis Servan-Schreiber est décédé. Hommage à Quelqu’un de bien

Jean-Louis Servan-Schreiber à Paris en mai 1979, France.

Dans la famille Servan-Schreiber, je demande …

Famille époustouflante s’il en est. Famille juive allemande descendante de rabbins. Famille de la Presse française du temps où créer un journal était une aventure autre que seulement financière.

C’est bien un grand homme de presse qui nous a quittés : Jean-Louis Servan-Schreiber, frère de Jean-Jacques Servan-Schreiber ou encore de Christiane Collange.

Celui que l’on appelait dans le milieu JLSS fit ses débuts aux Echos, avant de rejoindre L’Express.

Il a 29 ans lorsqu’il décide de créer, avec Jean Boissonnat, le magazine économique L’Expansion, qu’il dirigera 27 ans durant avant de revendre le titre à L’Express.

Avec Perla, il dirigera Psychologies magazine.

Est-ce parce que, en allemand, « Schreiber » veut dire « écrivain » : comme beaucoup de la famille, l’homme de presse fut lui aussi  essayiste : L’Humanité, apothéose ou apocalypse, publié en 2017, et Avec le temps, publié en janvier 2020,  seront les derniers de ses 17 opus : Dans ma bibliothèque, à la campagne, je fais relier ­chacun des livres familiaux. En vert foncé, ceux des anciens : Emile en a écrit une douzaine, son frère, le Dr Georges, des traités médicaux et Robert tenait son journal. En vert clair, ma génération, soit 57 livres signés par Jean-Jacques, mon frère, le créateur de L’Express, Christiane Collange et Brigitte Gros, mes sœurs, mon ­cousin Jean-Claude, Claude, ma ­première femme, Perla, mon épouse, et moi-même. Enfin, en rouge, les 22 livres déjà écrits par la nouvelle génération dont les best-sellers de David et de ma fille Florence. Au total, donc, une petite centaine de volumes : la ­tradition Schreiber se poursuit, confiait-il récemment à Camille Hazard de Paris Match.


Les hommages sont nombreux. L’équipe de Psychologies, qu’il dirigea 10 ans durant, évoque sa curiosité insatiable et, plutôt que des mots, nous livre ce texte : Mais au fond qui suis-je ?

Mais au fond qui suis-je ?

« Suis-je un nom, un métier, des valeurs, des sentiments, une éducation, un savoir ? Tous ces visages suffisent-ils à me définir ? Non, mais j’ai besoin de les reconnaître et de les explorer pour me sentir pleinement exister. Le travail passionnant de toute ma vie.

Je ne sais plus comment je m’appelle », entend-on souvent. L’expression à la mode accompagne les stress intenses, les fatigues immenses, les doutes profonds, sans parler des états seconds dus à des excès de substances. Car notre référence centrale sur le monde, c’est bien la conscience que nous avons d’exister, de percevoir, de comprendre, de sentir, de nous faire une opinion sur les autres, sur la situation dans laquelle nous sommes, sur ce qu’il convient de faire maintenant. Que le doute se glisse sur l’un de ces éléments, et le trouble n’est pas loin. Ce que nous sommes, ou pensons être, constitue notre référence de base dans la vie. Mais comment nous définissons-nous à nos propres yeux ?

En voyage, passeport en poche, je suis français. Au pied du berceau, je suis père. Entre les draps, je suis un homme. Au travail, je suis comptable ou commercial. Pendant ce congrès, je suis Peugeot, Danone ou ce que porte ma carte de visite. Ce sont mes rôles successifs, souvent au cours d’une même journée. Ils disent comment on me voit, ce que l’on attend de moi, mais ne sont que quelques-unes de mes mille facettes. A quoi me sert-il d’être français au lit, ou Peugeot pour aider mon enfant à s’endormir ? J’aime la grande musique, je ne me sens pas à l’aise dans les réceptions, nager me procure un grand bien-être, la solitude ne me convient guère. Mes goûts, mes émotions, mes préférences guident en permanence mes choix. Mes désirs m’habitent et m’accompagnent, mais ils ne peuvent suffire à me définir.

Je vote à toutes les élections, il m’arrive de resquiller dans la queue au cinéma, je me sens coupable si j’ai oublié l’anniversaire d’un ami proche, je préfère mentir que de faire de la peine. Mes valeurs tracent souvent mon chemin, y compris de manière contradictoire. J’aurais du mal à les résumer à quelques principes simples. D’autant plus que je ne perçois tel ou tel aspect de moi-même qu’au gré des circonstances. Il m’arrive d’être surpris par une réaction ou un choix qui ne « ressemble pas » à ce que je crois être, mais qui me révèle un aspect de moi passé jusqu’ici inaperçu. Je connais une partie de moi-même et, au fur et à mesure que je vis, je constate, voire découvre, le reste. Une exploration qui ne sera jamais achevée.

Ce que je suis, c’est à la fois ce que je fais, ce que je sens, ce que je sais et ce que les autres voient en moi. Ce dernier élément peut m’encombrer ou me perturber bien plus que de raison. Ne suis-je pas davantage au clair sur ce que j’aimerais que l’on pense de moi, sur l’image que j’aimerais donner, que sur ce qui se passe réellement en moi ? Si j’ai fait ces études, abordé cette carrière, était-ce par goût profond, ou pour faire plaisir à ma famille, pour répondre aux projets que d’autres formulaient pour moi ? Si je suis entré dans cette relation, était-ce de mon propre élan, ou pour répondre au désir de ma partenaire ? On peut passer des années en interrogations – en thérapie pour certains – avant de pouvoir y apporter une réponse claire. Elles sont pourtant essentielles pour nous définir vraiment. Chacun ne commence-t-il pas sa vie en subissant la programmation de l’éducation qu’il reçoit ainsi que des valeurs de ceux qui entourent son enfance ? Que ce soit pour les accepter ou les rejeter, nous ne partons pas d’un vide, mais d’un trop-plein. Parvenir ensuite à trier ce qui « est vraiment nous » de ce que nous acceptons d’être pour les autres, c’est le travail inlassable et passionnant de toute une vie.

Nous ne sommes pas toujours capables de distinguer ce qui relève de notre appartenance et qui motive l’essentiel de nos actions (ma patrie, ma langue, ma famille, ma religion, mon groupe social, mon métier, mon club), ou de notre identité, qui signe notre singularité face à tous les autres (mon corps, mes aptitudes psychiques, mes talents, mes dégoûts). Pas étonnant, donc, que les autres nous identifient à notre appartenance. Le philosophe académicien Michel Serres rappelle que cette confusion peut mener aux plus grands crimes. La Shoah est née de l’assimilation sommaire de millions d’individus à leur seule appartenance au peuple juif. Tous les préjugés viennent de cette erreur. Qui trouve juste ou agréable de se voir catégoriser par l’autre du seul fait d’être une femme ou originaire du Midi ?

Heureusement, je ne passe pas toutes mes journées à m’interroger sur qui je suis ou ce que je suis. Quand tout se passe à peu près bien, que je glisse d’une activité à l’autre, d’un contact à l’autre sans anicroche, je peux me contenter de la définition de l’humoriste Pierre Dac : « Je suis moi, je viens de chez moi et j’y retourne. » Mais la moindre contrariété, le plus petit malaise nous rappelle à ce qui nous plaît ou non, à ce que nous pouvons supporter, à ce que nous espérons. Bref à notre référence de base : nous-même.

Pourquoi avons-nous tous besoin de savoir qui nous sommes ? D’abord, pour exister vraiment, pour « vivre à propos », selon la belle expression de Montaigne, et non pas seulement comme il faut. Plus nous savons qui nous sommes, et plus nous légitimons nos désirs et affirmons notre autonomie. Ce qui donne sa force au : « Je veux », c’est la solidité du « je ». Ceux à qui nous le disons le sentent bien et réagissent en conséquence.

Se connaître, comme nous l’enjoint Socrate depuis vingt-cinq siècles, c’est prendre la pleine mesure de ce qui rend notre vie unique et lui donne tout son prix. C’est aussi, paradoxalement, notre meilleure voie de connaissance de l’ensemble de l’humanité. Notre vécu intérieur n’est-il pas notre seule expérience irréfutable de la condition humaine ? Mais la pierre de touche de la connaissance de soi, son expérience la plus pleine, est peut-être l’amour. En m’aimant, l’autre me dit de la façon la plus convaincante et de la manière la plus gratifiante que j’existe. Et si je manque d’amour je ne suis plus aussi sûr de mon existence ni de ma valeur. Car il m’est tout à fait impossible de savoir qui je suis vraiment sans référence à ce que je suis pour les autres. Notre nature, notre singularité ne se concrétisent que dans l’acte créatif, qui est destiné aux autres, ou dans l’échange plus ou moins fructueux avec ceux qui nous entourent. Je ne peux pas me contenter de me définir en fonction d’eux, mais je ne peux pas me passer d’eux pour le faire. Ce doit être ce qui rend la fréquentation des humains nécessaire et, malgré, tout vivable. »

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2 Comments

    • Chère Martine: lisez. Mais lisez bien. Puis écrivez. Et alors, Ecrivez « juste »: Paris Match est cité, les nom et prénom de la journaliste Camille Hazard aussi, et Psychologie bien sûr. Le texte de JLSS est entre guillemets, et les Tweets … viennent de … Twitter! Ce que j’appelle l’intégrité des sources, madame

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