Anaïs Kien. La mémoire de la Shoah dans les rues de Paris

Les Stolpersteine, ces petits pavés de métal qui honorent la mémoire des victimes du nazisme, incrustent les trottoirs de nombreuses municipalités à travers l’Europe. Mais pourquoi donc la ville Paris s’oppose à ce mode commémoration ?

09 mai 2018, Gunter Demnig, sculpteur et créateur de l’idée du projet « Stolpersteine », place six pavés commémoratifs dans la Welschnonnengasse à Mayence, Allemagne.

L’histoire doit-elle s’inscrire de la même façon dans l’espace public de tous les pays ? C’est la question posée par un conflit qui s’est noué entre la mairie de Paris et un groupe de « citoyens pour des Stolpersteine à Paris » qui ont lancé une pétition pour faire pression sur les autorités municipales. 

Les Stolpersteine, littéralement « pierres sur lesquelles on trébuche », sont de petits pavés, incrustés dans le sol qui indiquent qu’une victime du nazisme, souvent juive, dont les noms et la date de naissance sont indiqués, a vécu à cet endroit. 

Leur créateur Gunter Demnig les a voulues à la fois œuvre d’art et hommages aux victimes de la shoah après avoir lui-même découvert que son père avait contribué au soutien du régime nazi à l’armée de Franco pendant la guerre d’Espagne. L’artiste en a d’abord posé quelques-unes clandestinement à Berlin, avant que les Stolpersteine ne deviennent un signe de reconnaissance mondial désormais autorisé et financé par les municipalités d’une mémoire à faire vivre dans l’espace urbain. Depuis une vingtaine d’années, on a vu les Stolpersteine se multiplier un peu partout en Europe où l’on en compte plus de 70 000, créant un « véritable mémorial à ciel ouvert », exception faite des villes de Munich et de Paris qui ont refusé d’adopter ce matériel commémoratif efficace et prêt à l’emploi.  En Allemagne si leur pose semble largement approuvée elles font pourtant l’objet de controverses.

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D’après le texte de la pétition, la Mairie de Paris aurait répondu à la demande de Stolpersteine qu’elles « ne sont pas adaptées au travail de mémoire parisien. Les Juifs n’ont pas disparu de France, ils sont encore présents. Les Stolpersteine renvoient une image qui ne convient pas à la France où 75% des Juifs ont survécu. Par ailleurs, marquer d’un signe distinctif, au sol, les lieux où les juifs ont vécu ne nous convient pas, marcher sur ces pierres ne constitue pas un symbole acceptable. Pour toutes ces raisons, le Mémorial de la Shoah n’a jamais voulu s’associer à ce projet, et nous partageons pleinement ces arguments », fin de la citation. 

Si Paris les refuse, ces Stolpersteine, d’autres villes françaises en ont fait poser comme à Bordeaux ou à Strasbourg. 

On a déjà pu remarquer une tendance à l’uniformisation mondiale de l’expression des mémoires dans l’espace public, l’exemple le plus frappant ce sont les déboulonnages de statuts de figures liées à l’histoire de l’esclavage, d’un côté comme de l’autre de l’Atlantique. Mais en ce qui concerne plus particulièrement la Shoah, si les musées qui s’y consacrent ont parfois un air familier, on peut retrouver les bancs de Jan Karski à plusieurs endroits : ces bancs-statues du sculpteur Karol Badyna ont été installés à Kielce, Łódź, Cracovie et Varsovie en Pologne, sur le campus de l’Université catholique de Georgetown à Washington et sur celui de l’Université de Tel Aviv en Israël.

Les protestations virulentes, et les déboulonnages particulièrement, montrent une convergence dans le domaine de la demande d’histoire telle qu’elle s’exprime dans l’espace public, doit-on pour autant adopter des formes de commémoration identiques ? Le débat est ouvert.

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Source: France Culture. 26 novembre 2020

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