Si pour les victimes, leurs avocats, mais aussi pour tout un chacun, le procès des Attentats de janvier 2015 fut une épreuve de chaque instant, le voilà aujourd’hui dans l’impasse, faute au Covid qui s’y est invité juste avant que commençassent les plaidoiries: l’audience est en effet à l’arrêt depuis plusieurs semaines en raison de l’état de santé d’Ali Riza Polat, principal accusé.
Par ordonnance gouvernementale du 18 novembre, le garde des Sceaux, désireux que la justice tourne malgré l’épidémie de coronavirus en France, avait institué la possibilité exceptionnelle, très critiquée par des représentants d’avocats notamment, d’utiliser sans l’accord des accusés la visioconférence dans les cours d’assises et les cours criminelles pour l’ultime partie d’un procès criminel – plaidoiries, réquisitoires et derniers mots des accusés. Ladite décision fut évidemment étrillée par plusieurs recours, dont l’un introduit communément par des syndicats d’avocats et de magistrats, lesquels furent examinés mardi devant le Conseil d’Etat, soit la plus haute juridiction administrative.
Alors que la question avait été longuement débattue, lundi, au procès des attentats de janvier 2015, interrompu depuis le 30 octobre en raison de cas Covid parmi les accusés, et que la quasi-totalité des avocats, tant en défense qu’en partie civile, s’opposait à cette ordonnance, le Conseil d’Etat a suspendu hier vendredi la possibilité de recourir, sans l’accord des accusés, à la visioconférence dans les procès criminels tenus devant les cours d’assises ou les cours criminelles. Dans sa décision, le juge des référés considère que durant le réquisitoire et les plaidoiries, la présence physique des parties civiles et de l’accusé est essentielle, et plus particulièrement encore lorsque l’accusé prend la parole en dernier, avant la clôture des débats. C’est là un des principes fondateurs du procès criminel. La comparution en visioconférence d’un accusé, lors de cette partie du procès, qui aurait pu se décider sans son accord, telle qu’elle était prévue par l’article 2 de l’ordonnance, porte donc une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense et au droit à un procès équitable. L’accusé doit être présent, et pas au fond de son cachot. Selon le Conseil d’Etat, lors des procès criminels, la gravité des peines encourues et le rôle dévolu à l’intime conviction des magistrats et des jurés confèrent une place spécifique à l’oralité des débats : la présence physique des parties civiles et de l’accusé revêt donc un caractère essentiel, en particulier lorsque l’accusé prend la parole en dernier, et les contraintes liées à l’épidémie, les avantages de la visioconférence et les garanties dont elle est entourée ne suffisent pas à justifier l’atteinte ainsi portée aux principes fondateurs du procès criminel et aux droits des personnes physiques parties au procès.
L’Association des avocats pénalistes qualifie la décision du Conseil d’Etat de grande victoire : les juges imposent une limite à l’action du gouvernement. La menace du Covid ne vaut pas un blanc-seing pour tous les aménagements procéduraux. Les mêmes espère obtenir l’abrogation définitive de l’ordonnance, par un recours au fond qui sera examiné ultérieurement.
A noter : le recours à la visioconférence pour les procès non criminels demeure bien autorisé.
On louera l’extrême vigilance dans l’exercice des droits de la défense face à l’utilisation de la visioconférence, jusque-là réservée par l’article 706-71 du Code de procédure pénale à une série de cas limités et dans des conditions précises, et aujourd’hui invoquée pour cause d’urgence sanitaire, et qui n’assurait pas le respect concret des droits de la défense et du principe du contradictoire.
Pour info, Laure Milano, dans son article[1] Visioconférence et droit à un procès équitable, nous apprenait que s’était déroulée à Dijon du 13 au 15 octobre 2011, une conférence des Présidents des Cours d’appel de l’Union européenne sur le thème Les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) au service de la justice au XXIe siècle, l’objectif étant l’adoption d’un référentiel de bonnes pratiques en matière de TIC pour un procès équitable. Il avait été souligné combien l’intrusion des TIC en matière de justice, si elle avait amené à un certain nombre de modifications dans les méthodes de travail du juge, avait également impacté les droits des parties à l’instance : si le recours aux TIC comportait moult avantages, un certain nombre de risques avaient été fustigés, et notamment la déshumanisation de la justice, le risque de nuire à sa qualité et à sa dimension éminemment humaine, l’utilisation des TIC ne se réduisant pas à une simple question d’ordre technique mais pouvant impacter la mission de juger et les droits procéduraux des justiciables. Ainsi, la Cour européenne avait considéré que si la visioconférence était compatible avec le droit à un procès équitable, il importait de rester attentif aux garanties qui entouraient son utilisation, laquelle devait être encadrée.
De manière générale, la Cour considère que « la participation de l’accusé aux débats par vidéoconférence n’est pas, en soi, contraire à la Convention » (CEDH, Marcello Viola, op. cit., §67). Il est vrai que le recours à la visioconférence pour l’audition de témoins, d’experts ou de la personne poursuivie pénalement est autorisé par différents textes internationaux ainsi que par de nombreuses législations nationales.
Le juge européen avait in fine reconnu que si la visioconférence évitait dans certains cas – procès de la mafia ou éloignement du détenu- la prise de lourdes mesures de sûreté, le risque de fuite, et constituait un gage de traitement rapide des affaires, elle pouvait néanmoins porter atteinte au droit d’accès au juge et à l’équité du procès : pour garantir de manière effective les droits de la défense, le prévenu devait, par exemple, pouvoir bénéficier de l’assistance d’un défenseur et devait en particulier pouvoir s’entretenir avec son avocat sans surveillance et de manière confidentielle, confidentialité mise à mal dans l’hypothèse d’auditions ou d’audiences par visioconférence, si l’avocat n’était pas aux côtés de son client.
Le procès des attentats de janvier 2015 est-il dans l’impasse ? Un sérieux problème de continuité des débats se pose en effet en cas de non-rétablissement rapide d’Ali Riza Polat, et il est impossible de ne pas envisager des scénarios noirs tels le report complet du procès avec obligation de tout reprendre à zéro, voire la remise en liberté de tous les accusés, la durée légale de détention provisoire étant atteinte. C’est lundi, lors de la reprise de l’audience, que nous en saurons davantage.
Via un message transféré par le Parquet national antiterroriste, Régis de Jorna explique que l’« évolution favorable » de l’état de santé d’Ali Riza Polat « permet d’envisager » la reprise du procès mercredi matin, sous réserve d’une confirmation lors d’un nouvel examen de santé lundi en fin de journée.
Si le procès reprend mercredi, le calendrier prévisionnel prévoit que la fin de semaine sera consacrée à la suite des plaidoiries des parties civiles. Lundi 7 et mardi 8 au matin seront consacrés au réquisitoire des deux procureurs antiterroristes, avant les plaidoiries de la défense jusqu’au lundi 14, puis la parole donnée une dernière fois aux accusés.
Le verdict de ce procès est désormais prévu pour le 16 décembre.
Le procès, ouvert le 2 septembre, devait initialement prendre fin le 10 novembre.
[1] RDLF 2011, chron. n°8 (www.revuedlf.com)
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