Erick Lebahr. Variations sur « Le Rien »

Le  covid. L’islamisme. Les attentats. Le réchauffement climatique. Les famines dans le monde. Les guerres. Les féminicides… noyés que nous sommes dans un flot d’informations éminemment anxiogènes…

La coupe est pleine! Aujourd’hui, je n’ai plus envie de parler.. Seulement de faire allégeance au silence.. l’exil de la parole, l’hibernation des mots, un comble pour un Avocat…

Et puis, progressivement, une idée a émergé… Et si l’on parlait… de Rien??? Etant souvent à contre-temps, à contre courant, à contre coeur, j’ai donc succombé à cette tentation… Parler de Rien!

Mais entendons-nous bien… Parler de rien, ce n’est pas rien! Et je ne vous ferai pas l’injure de parodier l’excellent Raymond Devos, en mode « Aujourd’hui, je n’ai rien à dire, mais je veux que cela se sache« … J’irai un peu plus loin… mine de rien( si j’ose dire), nous vivons plus que jamais à l’ère du Rien.

Il y a une infinité de modalités, une multitude de déclinaisons possibles du Rien. Du reste, le Rien est une notion ambivalente. Il peut arborer un visage souriant, exhiber une face paradoxalement lumineuse.

Mais il en est aussi une autre, plus sombre, plus obscure… Nous pensons au nihilisme, cette inclinaison délétère Ô combien moderne…

Tout se vaut, car Rien ne vaut. De tout, faisons table rase! Rejetons tout sens, toutes valeurs!  Déboulonnons des statues de personnages historiques, sans le moindre discernement! Horrible époque que celle où explosent la passion de la destruction, l’éthique sotte de la subversion.

Et que dire des crétins, crétines qui s’adonnent à  cette monstruosité, l’écriture inclusive, dite « non sexiste », ou encore « écriture dégenrée » (je dirais plutôt « écriture dégénérée »???                            

Un florilège d’exemples pourraient illustrer ces versions éminemment tragiques du Rien, qui sont la marque du post modernisme, du gauchisme culturel dont nos sociétés européennes, en déclin, connaissent les affres…  Stop au Rien , à ces ténèbres qui nous enserrent…

La figure radieuse du Rien

Aujourd’hui, je voudrais n’aborder que la figure radieuse du Rien.
Tout d’abord, le Rien a une dimension philosophique. Le rien est ce qu’il y a avant toute chose. Le Rien est le chaos qui précède ce qui va advenir. Mais en ce sens, le Rien est Tout, puisqu’il est le fond originaire de toutes les choses du monde.

Ensuite, le Rien a une connotation poétique. Prenez la vie. « Un Rien l’amène, un Rien l’emmène. Un Rien l’anime, un Rien la mime! » (Et ca rime!).                            

Dans la vie, l’important est fait de petits Rien .. Et c’est avec les petits Rien que l’on fait les grands Tout. S’émouvoir d’un petit Rien qui embellit notre quotidien. Vibrer d’un petit Rien pour faire éclore un plaisir sans fin. Marcher à deux vers Demain… L es exemples abondent, ce sont les petits Rien qui font fleurir des fragments de bonheur…

Changeons de registre… Qui mieux que le génial philosophe juif Jankélévitch a incarné le Rien? Personne… Il est le philosophe du « Je ne sais quoi et du presque Rien ». Pour lui, la musique, la philosophie sont des  » presque rien ». Elles portent sur des Rien, des instants… Dans son Traité des vertus, il fait l’éloge de la simplicité.

Quoi de plus simple que le Rien? Le bonheur est dans la simplicité des coeurs, loin des vanités et des débordements de l’ego. Le bonheur est fait de ces instants, de ces Rien qui sont Tout, de ces modestes joies que l’on tisse dans la couleur du temps qui passe…

Mais attention, la simplicité … n’est pas simple. Elle est complexe. Elle a besoin d’étude pour s’acquérir. Il faut apprendre à désapprendre, apprendre à nous déprendre… Apprendre à nous dépouiller des choses compliquées qui nous empêchent d’être des êtres simples… C’est dans la simplicité que réside l’essentiel.

Prenons l’exemple d’une rencontre avec une femme. Elle a un visage harmonieux, une élégance souveraine, tant d’autres qualités qui nous enchantent… Mais le phénix de toutes ses qualités, c’est justement ce « Je ne sais quoi », ce  » Presque rien ». C’est ce flou poétique qui nous dépasse. Ce flou sans lequel les autres qualités seraient inopérantes… Ce peut être un charme indéfinissable, un parfum insaisissable. Mais ce « Presque Rien » est essentiel. Il est cet ineffable , qui se perçoit avec le coeur. Nous sommes là, dans un temps suspendu, qui est un non-temps. Il faut savoir saisir cet instant-là, cette heureuse rencontre, ce moment de grâce… Rien n’est donné, tout est à créer!

Tel était Jankélévitch, le philosophe de  » L’Inachevé », le Prince du  » Presque rien ». Bien que mort prématurément, son oeuvre, inachevée elle aussi, résonne, scintille de mille feux… Et ce n’est pas Rien…

Je ne vois guère de meilleur épilogue  pour clore cette chronique sur le  » Rien », ce vagabondage, cette promenade inédite au pays du Rien. Aujourd’hui, j’avais l’âme légère… L’envie d’emprunter des chemins de traverse, loin des sentiers battus… Loin des vacarmes du monde. Déployer un Rien de frivolité, dans ce monde de Rien qui nous étouffe… l’exercice était inédit…

Mais au final, « Non, rien de rien, Non je ne regrette Rien »!!! J’ai pris plaisir à partager avec vous cette anthologie du Rien…

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