Jean-Pierre Lledo. Lettre au Président Macron à propos de l’Histoire franco-algérienne

Jean-Pierre Lledo

Réalisateur de cinéma

Paris le 17 Novembre 2020

A Monsieur le Président de la République française

A Monsieur Emmanuel Macron

Ayant la nationalité algérienne et française, ayant vécu en Algérie jusqu’en 1993, ayant du fuir vers la France le mal nommé « séparatisme » islamiste, je me crois assez autorisé pour vous confier ce que j’ai pensé de l’information selon laquelle vous alliez, de concert avec les autorités algériennes, mettre sur pied une instance composée paritairement d’historiens algériens et français et dont le but serait de : « réconcilier les mémoires françaises et algériennes » et ce dans la perspective du prochain anniversaire de 2022 de la fin de la guerre d’Algérie.

Louable, et je dirais même grandiose, dessein qui concerne directement une centaine de millions de gens qui attendent cela depuis 60 ans ! Pourtant permettez –moi, Monsieur le Président, de vous dire mon extrême pessimisme : on ne peut combler en deux années, un si grand retard dans la recherche historique, et surmonter ce qui relève de la censure d’Etat.

Je parle en connaissance de cause.

Les Archives algériennes, et notamment celles de la guerre d’Algérie, et du FLN, sont toujours hermétiquement fermées aux chercheurs algériens et étrangers. De ce fait, toute tentative d’une réécriture commune de l’histoire franco-algérienne, aussi noble qu’elle soit dans son projet, restera un vœu pieu, et à l’avance vouée à l’échec, avec toutes les conséquences psychologiques néfastes pour les individus directement traumatisés et les groupes humains qui ont été victimes.

Seule la VERITE peut avoir des vertus thérapeutiques. Seule Elle peut guérir les MEMOIRES traumatisées.

Or, pour vous donner mon exemple, quand j’ai cru devoir contribuer à cette vérité, en faisant mon film « Algérie, histoires à ne pas dire« , co-production franco-algérienne, ce film fut aussitôt interdit par les autorités algériennes (Juin 2007), mais aussi combattu dans la presse par des intellectuels algériens.

Interdit et combattu parce que dérogeant au récit national algérien de la guerre d’Algérie.

Pourtant tous les témoins de ce film, passifs ou actifs, étaient algériens, arabes et musulmans, se considérant comme de bons patriotes. Ils avaient donc eu le tort d’évoquer les massacres d’Aout 1955, le terrorisme urbain, l’assassinat du chanteur juif constantinois Raymond Leyris, et les massacres du 5 Juillet 1962 dont on a déjà officiellement dénombré plus de 700 victimes (grâce à l’historien Jean-Jacques Jordi), violences toutes commises à l’encontre de civils non-musulmans et à l’initiative des instances dirigeantes du FLN et de l’ALN.

Moi-même j’avais réalisé ce film avec l’idée que nous, les jeunes générations algériennes, de diverses origines ethniques, étions capables d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire algéro-française qui se distinguerait de l’écriture apologétique de nos pères.

Je me trompai, mon film fut interdit par la Ministre de la culture Khalida Messaoudi, et vilipendé par des intellectuels algériens. Et quand je  tentai de leur répondre, la Presse algérienne, aux ordres, très vite, censura mes réponses. Censuré et interdit de parole, on me signifiait d’une certaine manière mon exclusion de la citoyenneté algérienne.

Mais si la France, dont j’avais aussi la nationalité, avait programmé ce film dans les chaînes de la Télévision nationale, si elle avait protesté par la voix de son Ministre de la Culture contre cette censure, je ne doute pas qu’elle aurait déclenché, enfin, le véritable débat que tout le monde attend depuis 60 ans.

Or, force est de constater, que sélectionné dans les plus grands Festivals (Toronto, Tribeca, etc….), et loué par la presse cinématographique de France (avec une 3ème page dans le Monde en Fév. 2008), CE FILM Y A AUSSI ETE CENSURE : ni acheté en 2008 (après sa sortie dans toutes les salles de France), ni en 2012, alors que des centaines d’émissions et de films, dans les radios et les TV d’Etat ou privés, furent préparés puis programmés à l’occasion du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie.

De par mon expérience, je me permettrai, Monsieur le Président, de vous dire que votre noble dessein ne pourra être couronné de succès qu’aux conditions minima que je vais énumérer :

  • BANNIR LA CENSURE en Algérie comme en France : c’est-à-dire libérer toutes les œuvres qui ont été réalisées sur cette période de la guerre d’Algérie ou de la colonisation.
  • OUVRIR TOUTES LES ARCHIVES, notamment celles de l’Algérie et du FLN.
  • VEILLER AU PLURALISME D’OPINION dans le choix des historiens algériens et français qui feront partie de cette « Commission ». Il ne faut pas être naïfs : malgré toutes les précautions, l’histoire n’est pas « objective », et les historiens non plus.
  • Evoquer et condamner les violences, oui. Mais DES DEUX CÔTES. Rien ne serait plus traumatisant que l’on évoque les violences de la France et que l’on taise celles du FLN.
  • CESSER D’ENVISAGER L’HISTOIRE COMME UN EXERCICE DE REPENTANCE. L’histoire ne devrait tendre que vers un seul but : La VERITE.

Le Président Bouteflika avait bien commencé son règne, lorsqu’en 1999, il déclara que ‘ »la colonisation avait introduit la modernité en Algérie…. par effraction« . Rien ne serait plus catastrophique, pour les jeunes Algériens comme pour les jeunes Français, que de laisser l’IDEOLOGIE abuser de l’HISTOIRE.

  • Si l’on veut objectivement apprécier ce que fut la colonisation française et en faire son bilan, ne faudrait-il pas décrire l’état de ce qui ne s’appelait pas encore l’Algérie, avant la colonisation ? Mieux encore, ne faudrait-il pas faire le bilan de la colonisation ottomane durant les 4 siècles qui précédèrent l’arrivée de la France ?

Monsieur le Président de la République française, vous détenez une grande part de RESPONSABILITE, comme tous les Présidents des pays qui se veulent « démocratiques ».

Vous pouvez beaucoup de ce fait pour créer, du moins en France, les conditions de liberté et de sérénité d’un débat sur l’histoire franco-algérienne.

Si cet exercice, le seul salutaire, venait pour des considérations bassement politiques à être remplacé par un exercice de repentance unilatérale, alors vous prépareriez à la France des décennies d’une nouvelle violence qui déjà pointe son nez, sous le ridicule vocable de « décolonialisme » de la part de soi-disant intellectuels qui plutôt que de lutter pour la démocratie dans leur pays se croient le droit de culpabiliser le peuple « blanc » de France.

Avec l’expression de ma haute considération.

Jean-Pierre Lledo

Cinéaste.

Paris le 17 Novembre 2020.

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