Michèle Chabelski. Souvenirs Souvenirs ( XI )

Bon

 Vendredi

     Chabbat

     Chabes

    Résumé des épisodes précédents :

  Le grand dîner de présentation de Chabbat a eu lieu.

   Pléthorique, bruyant, joyeux…

     On nous a regardés à la dérobée, puis on nous a dévisagés, on a écouté l’accent de Papa avec grand étonnement, on s’est interrogé sur la provenance de ces gens bizarres, traçabilité mystérieuse, ils sont juifs ? Ben ça se dirait pas.

    Puis ils ont mangé, bu, crié, ri, la mère s’est enfin assise, essoufflée, s’est passé la main sur le visage luisant de sueur, elle a servi des oranges grosses comme des citrouilles, et a déclaré à ma mère qu’elle remerciait le bon dieu de m’avoir mise sur son chemin, Baroukh Hachem, et qu’elle lui faisait entièrement confiance pour la suite, les fiançailles, le henné, le mariage, toussa, toussa.

     Le henné ??????

    La suite

    Ma mère, des trémolos dans la voix, avait répondu qu’elle savait mon bonheur à portée de main grâce à ce fils qui serait bientôt le sien.

 On pouvait se le partager, n’est-ce pas ?

   Rire poli de la dame.

Sans allusion au bon dieu ni de Baroukh Hachem . Rien.

   Juste une déclaration laïque qui étonna quelque peu l’assemblée, qui ne manquait jamais de rappeler que tout ça était la volonté de dieu…

   Nous fûmes labellisés mécréants…

C’est à cause de ce qui leur est arrivé, devait expliquer doctement un beau frère un peu plus tard.

   Ben nous aussi on a eu des malheurs, une main devant une main derrière, selon l’expression consacrée, et pourtant…

    Deux idéologies…

    La première ashkénaze à pénétrer dans la famille, mais bon, tout le monde fut d’accord – même du bout des lèvres – pour concéder que c’était déjà mieux que la catho et ses consœurs qui m’avaient précédée.

   Il y aurait un mariage à la synagogue, les apparences étaient sauves.

   De mon côté, une guerre civile s’était quasiment déclarée.

  Maman, investie d’une mission quasi divine, incendiée de joie et de fierté, Figure-toi que Michèle va se fiancer, si, si, un garçon merveilleux, il a une Mercedes. Je suis débordée, je te laisse…

   Après tout, elle payait sa liberté.

Belle-Maman n’avançait pas un zloty, mais gardait le nez dans son couscous et ma mère avait ainsi les coudées franches, ce qui n’était pas pour lui déplaire…

Et elle se pliait de bonne grâce au seul ukase des Cohen : l’urgence.

   Papa était un peu dubitatif et m’observait du coin de l’œil.

 Il essayait de tirer sur les rênes pour freiner le galop maternel et me laisser le temps d’asseoir une certitude sur le bien-fondé de cette union.

   Baroukh Hachem par ci, Baroukh Hachem par là, quelques absences inexpliquées du fiancé, Faut pas faire ci C’est péché, Faut pas manger ça C’est interdit, ça commençait à bouillonner d’inquiétude dans sa tête et à lui provoquer des poussées d’urticaire.

    Moi je trouvais aussi que ça allait un peu vite, mais j’avais obtenu l’assurance de pouvoir continuer à travailler et à garder ma petite auto, j’étais amoureuse, lui aussi, what else ?

   Week-ends, restos, théâtre, cinés, il me faisait une cour empressée, et surtout m’entraînait dans ses projets fous, ses espoirs parfois délirants, son inépuisable confiance en lui, sa vision utopiste d’un monde d’argent et d’insouciance.

  Moi je rêvais d’un monde de paix et de culture, et d’enfants, d’enfants, d’enfants…

   Je décrirai plus tard les escarpements rocheux en bord de falaise qui me conduisirent du fameux dîner jusqu’aux fiançailles et plus tard jusqu’à … enfin bref.

Mais c’est un autre sujet…

     On oublie un peu la chronologie…

  Il fallait organiser les fiançailles.

    Et bien évidemment je mentionnai timidement « la bague »…

  Ben dame !

    Des fiançailles, ça se fait avec une bague de fiançailles, non ?

  Sinon… euh… A quoi ça servirait ?

   J’étais concernée par le féminisme, préoccupée par les boys qui mouraient au Viet Nam, inquiète sur l’état de santé de mes copines qui se faisaient avorter en loucedé quand elles ne pouvaient se rendre en Angleterre, mais la bague !!!! Ah la bague !!!!

  Donc je demandais où et quand nous irions en faire l’emplette, est-ce qu’il la préférait sertie comme ci ? Ou bien comme ça ?

  Un diamant rond ?

 Trop classique ?

 Un diamant navette ?

Plus original ?

   Connaissait-il un bijoutier ?

 Sinon maman avait un ami – elle était fille de diamantaire chassé par les Rouges et elle….

   Il restait évasif…

     Maman appelait les traiteurs, moins de sucré, plus de salé, des canapés à la tomate ? Pfff !

  Des petits sandwiches au saumon, très bien, et des petits éclairs au chocolat, bien sûr…

    Du whisky, du vin…

  Ah ! De l’anisette aussi, bien sûr… vous avez de la boukha ? Non ?

   Ah non !

Surtout pas de jambon de Parme ni de crevettes.

   Elle avait suivi un cours accéléré d’histoire juive, s’était informée sur les interdits de la cacheroute, ce cocktail dînatoire de fiançailles fleurait l’excellence. Le raffinement en plus.

   Sauf que les Séfarades préparaient en général leurs fêtes collectivement, sœurs et belles sœurs papotant dans la cuisine commune, rieuses, échevelées, luisantes de sueur dans cet espace chauffé par un four qui assurait les 3X8, sortant des plats, goûtant des pâtes à gâteau crues, rôtissant des poulets, épluchant des poivrons, éminçant des oignons qui les faisaient pleurer et s’esclaffer en même temps…

   Maman n’avait pas saisi le cœur de cette culture tribale endogène, et la belle-famille regarda avec un certain accablement les plateaux de pain suédois à la truite fumée et les petites assiettes de harengs…

  Et ma belle-mère manifesta une certaine incompréhension sur le principe du buffet où il fallait aller cueillir sa nourriture soi- même et elle somma une de ses filles de lui préparer une assiette roborative pour calmer la faim qui la tenaillait.

   Un buffet !!

   Et la bague ?

    Oh !

 Doucement !!

   Vous ne voulez pas savoir comment j’étais habillée ?

    Nous avions cherché une tenue élégante, sage et raffinée, qui souligne mon statut de future mariée toute entière dévouée à son homme…

   Pas facile…

Mais jouable.

   Dans l’antre un peu intimidant d’une boutique appelée Gégé la Marguerite, dont le propriétaire s’appelait Gerard Cohen, ça alors… Le hasard.

   Après d’interminables palabres et l’intervention du maître des lieux suite à l’abandon par KO de trois vendeuses, une algarade musclée de ma mère qui siffla entre ses dents qu’il était temps qu’un mari prît le relais, et qu’elle offrait la place sans regrets, nous tombâmes tous d’accord, le propriétaire, les vendeuses, ma mère et moi.

   Sur une exquise robe de lainage blanc, constituée pour la partie inférieure d’une jupe culotte et pour le haut d’un surtout brodé ton sur ton qui voletait au-dessus de la jupe.

   Un ravissement.

     Pour moi.

   Une sorte de défaite pour ma mère, qui, épuisée, céda.

   Portée avec des bottes.

     Pas très réglementaire, mais pas provocante pour un sou.

  Ouffff

   Et la bague ?

     J’hésite…

      Votre harcèlement m’indispose un peu, je n’aime pas être bousculée, j’ai bien envie de surseoir à la description espérée…

    Je ne sais pas trop.

     Après tout, êtes-vous si frivoles, chers lecteurs et lectrices que vous privilégiiez (avec deux i) la description d’un petit bijou au détriment de l’analyse sociologique, culturelle, religieuse, identitaire de deux communautés qui se découvraient avec stupeur une religion commune ? Pas très commune en fait…

   Non bien sûr.

    Vous avez eu la robe de fiançailles aujourd’hui.

   Vous aurez la bague demain.

   Promis.

     Que cette journée signe la patience nécessaire pour entamer cette seconde partie du confinement…

Je devrais peut-être dire, deuxième, car il y en aura peut-être une troisième…

    Une pensée en ce 13 novembre pour les victimes du Bataclan et toutes les autres victimes…

    Chabbat Chalom

    Git chabes

      Je vous embrasse


Bon

   Samedi

  Résumé des épisodes précédents

     La mère de mon amoureux est venue solennellement faire sa demande au nom du fils qui s’était mis aux abonnés absents ce jour-là.

 Elle explique que la coutume séfarade impute aux parents de la jeune fille les frais des fiançailles et du mariage et que pour des exilés impécunieux, cette tradition est une bouffée d’oxygène…

   Une demande ? s’étonne papa. J’appellerais ça plutôt un braquage.

   Après un Chabbat coloré chez les parents du futur pour rencontrer la famille proche, juste une petite vingtaine de personnes, maman s’attaque aux préparatifs des fiançailles.

   Menu, toilettes, elle organise la célébration selon les habitudes du pays d’accueil, cette France de la gastronomie et du raffinement.

   La belle-mère s’étrangle un peu. 

Quoi ?

 Un traiteur ?

 Elle peut pas cuisiner elle-même, cette paresseuse ?

  Quoi ?

 Un buffet ?

 Faut se lever, se déplacer, porter son assiette si on veut manger ?

  Viens mon fils, je t’en prie, apporte-moi un peu de cette chose là-bas, oui c’est ça du saumon.  Il est cacher au moins ?

   Et vous, ma fille, vous devriez prendre quelque chose. Vous allez tomber malade si vous restez maigre comme ça, votre mère vous a pas nourrie ?

   Suite

    Bien évidemment comme en mathématiques il existe des théorèmes, en matière de fiançailles, il existe des règles.

   Le fiancé offre une bague.

   La fiancée offre une montre.

     C’est la tradition.

   Délectation anticipative.

     J’imaginais l’emplette en compagnie de mon amoureux, le bijoutier portant comme le saint sacrement un plateau couvert de velours bleu nuit sur lequel rutilaient des bagues qui m’éclabousseraient de leur éclat pailleté…

   Des diamants, des saphirs, des grands, des petits, des sertis comme ci, des enchâssés comme ça, mon doigt gracieusement tendu pour les essayages.

    Essaie celle-ci plutôt me soufflerait mon amoureux, non je crois que celle-là te va mieux, tu as les doigts fins…

   Le bijoutier nous regarderait avec attendrissement, attendant patiemment que nous fassions notre choix, les yeux dans les yeux, bouleversés par la solennité du moment et l’engagement que symbolisait le bijou.

   Alors ? On y va quand ?

    Je finissais par m’impatienter.

   T’inquiète pas.

    Bah si je m’inquiétais…

    Il restait évasif…

   Bah alors ???

     Ecoute… il souriait d’un air de conspirateur…

    Finalement je préfère te faire une surprise.

   ???

   Il faut juste qu’on passe chez le bijoutier pour qu’il prenne la taille de ton doigt.

   Regard interrogatif.

    J’essayai de le sonder.

    Une surprise ?

 Pourquoi on choisit pas ensemble ?

   Un clin d’œil

  Un sourire enjôleur

    T’inquiète pas.

   L’amour est un, indivisible et inconditionnel.

   Va pour la surprise.

     Je m’inquiétais tout de même un peu.

 Mon éducation française classique m’avait enseigné la discrétion, la modestie et un certain quant à soi qui contrastaient avec la vigueur joyeuse et un peu voyante des prédispositions pimentées des frais exilés…

   Je craignais un bijou un peu voyant.

 Et en même temps, je l’espérais un peu, le syndrome princesse cogne encore quand on a vingt ans, et le regard des copines ! Bisque bisque rage

   Visite pour prendre la mesure du doigt.

   Et quelques remarques anodines au passage, faut être un peu discret, t’as raison, quoi de plus discret qu’une Mercedes rouge, la valeur sentimentale est souvent aussi importante sinon plus que…

   Et rien n’est inscrit dans le marbre, on peut toujours…

   On peut toujours quoi ?

    Des allusions qui se diluaient dans l’effervescence des galopades maternelles et des vibrants témoignages d’amour…

Veille des fiançailles

    Le promis m’explique que par mesure de simplicité il m’offrira la bague avant les festivités.

   Dont acte

     Le papier crème vite déchiré, je contemple l’écrin bleu, la main tremblant d’émotion…

  J’ouvre.

   Et je reviens sur mon révoltant préjugé.

  Non, les Séfarades ne s’attachent pas qu’à l’image, il leur arrive de jouer la carte de la discrétion.

 Il n’est que de voir le microscopique diamant qui tente de rutiler sur son assise de velours comme un petit lapin apeuré.

  Le pauvre fait ce qu’il peut, offrant ses mini facettes à la lumière, moi aussi je fais ce que je peux pour cacher ma déception.

  C’est vraiment moche…

   Paul me souffle qu’il s’agit là d’un diamant de famille appartenant à sa mère, mais qu’il s’apprête à le remplacer par une pierre moins sentimentalement porteuse…

    Il tiendra parole.

     Et j’apprendrai un peu plus tard que sa mère a desserti le diamant d’une vieille boucle d’oreille en expliquant que l’essentiel résidait dans la valeur symbolique …

   Et toujours en gestionnaire avisée elle me demandera un peu plus tard de lui restituer la bague qu’elle offrira généreusement à sa future dernière belle fille.

   L’essentiel est la valeur symbolique, on vous dit…

    Les fiançailles se dérouleront à grand bruit, dans le salon familial transformé pour l’occasion en terrain de foot, chaque équipe occupant scrupuleusement le morceau qui lui est imparti.

   Quelques œillades de braise tout au plus des ressortissants de la Méditerranée vers les descendantes des colporteurs et autres tailleurs des steppes glacées…

  Ces festivités sont toujours le prélude à d’autres célébrations quand les joueurs des deux équipes quittent momentanément le terrain pour gagner le buffet, où se joue la rencontre du match suivant …

Une chaîne de destins croisés

      La belle-mère attirera ma mère vers elle pour lui annoncer qu’elle offrira la cérémonie du henné au moment du mariage…

    Du quoi ?

   Ma mère écarte les bras en signe d’ignorance…

    Du henné, elle a dit.

     C’est quoi ?

Personne ne sait

     Quand j’apprendrai la teneur de la coutume, un cercle de henné tatoué sur la paume de la main et recouvert d’un ruban rouge je manquerai avaler de travers le bestel que j’avais dans la bouche

   Un tatouage sur la main ?

      Je vous raconterai avec plaisir ma vision toute personnelle de cette cérémonie qui écarquillera les yeux de nombreux ashkénazes peu avertis des coutumes orientales…

   On peut aussi parler d’autre chose…

  Vous me dites, juste…

  Que cette journée de confinement sabbatique rallume les braises de l’espérance qui commencent à vaciller.

   On parle de vaccin.

     Je vous embrasse

© Michèle Chabelski

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1 Comment

  1. Un vrai régal. Je me suis revue 42 ans en arrière. Moi d’origine turque par ma maman, mon papa ayant été élevé en Autriche et le futur mari marocain de Rabat. Dans cette famille il n’avait jamais entendu de juifs turcs. Vous imaginez…
    ROSA

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