Marc Knobel. Face aux attentats, un deuil partagé

Marc Knobel, historien, directeur des études du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), exprime sa compassion personnelle pour les victimes chrétiennes du terrorisme, notamment celles tuées dans les églises.

« Je suis musulman, je suis juif, je suis catholique, je suis Charlie », disent des pancartes installée de la République à Paris, le 8 janvier 2015, au lendemain de l’attaque contre Charlie Hebdo. BERTRAND GUAY/AFP

En avril 2015, une attaque contre l’église Saint-Cyr-Sainte-Juliette de Villejuif est déjouée. Paniqué et en quête d’un prétexte pour se rendre, un étudiant algérien de 24 ans, fiché S pour radicalisation islamique, se tire volontairement une balle dans la jambe. Au cours de l’enquête, le suspect reconnaît avoir été téléguidé par le groupe État islamique (Daech). Le 26 juillet 2016, deux terroristes qui se réclament de Daech font irruption à l’intérieur de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Le père Jacques Hamel, un homme de Dieu, dont le message est de propager la paix et la foi, vient tout juste d’achever sa messe matinale.

Un paroissien, alors âgé de 86 ans, est obligé de filmer l’horrible assassinat du père avec un téléphone, avant d’être poignardé à son tour. Dans cette commune de Normandie, c’est l’immédiate douleur, l’effroi, la peine, l’incompréhension. Et puis, ce 29 octobre 2020, un terroriste fait irruption à l’intérieur de la basilique Notre-Dame-de-l ‘Assomption de Nice. Il se rue sur les fidèles, assassine froidement le sacristain et deux paroissiennes, Vincent, Nadine, Simone. Or, tout cela était annoncé/encouragé dès juillet 2015, dans le cinquième numéro de Dar Al-Islam – une publication mise en ligne par le groupe de médias officiels de Daech- Al-Hayat, qui appelait les terroristes à viser des églises.

Assurément les terroristes veulent nous mettre à genoux, que nous tremblions et faisions table rase de toutes les grandeurs de la France que sont nos valeurs universelles : la Liberté, l’Égalité, la Fraternité. Mais lorsqu’ils frappent un lieu de culte et là, en l’occurrence des églises, ce ne sont pas simplement un patrimoine culturel et religieux que des terroristes fous et fanatisés veulent détruire, c’est l’Humaine condition que l’on met complètement à mal. Elle saigne, elle souffre. C’est la foi que l’on vise, c’est la foi qui saigne, en la maison de Dieu.

C’est ce symbole particulièrement puissant que les terroristes visent, l’église, les prêtres, les fidèles. Avec un cérémonial d’une bestialité sans nom, l’égorgement, qui heurte les consciences et rappelle les crimes innombrables qui ont été perpétrés par ces fanatiques. J’ai vu ces photographies horribles, des corps déchiquetés, ces personnes quelquefois crucifiés…

Je me remémore aussi le sort qui est réservé aux chrétiens dans certains pays. Qu’ils soient catholiques, coptes, protestants ou de toute autre communauté, les chrétiens peuvent être discriminés, pourchassés, emprisonnés, assassinés. Tous les moyens sont utilisés pour les contraindre à abdiquer leur foi. Quelle folie est-ce que de penser, que d’imaginer, que les chrétiens puissent ainsi être exposés, menacés, pour leur foi et leur amour en Jésus-Christ, « en sorte que Christ habite dans vos cœurs par la foi« .(Éphésiens, 3 : 17).

Au moment où j’écris ces lignes, je me remémore ce verset : « On est tenu de sauver son prochain. Si vous voyez un autre homme courir après un autre homme pour le tuer, accourez au secours de celui-ci. Car il est écrit «Tu ne t’arrêteras pas devant le sang de ton prochain » (Lév 19, 16.)

C’est ainsi que j’éprouve une peine tout aussi grande que je ne l’éprouverai en tant que Juif pour les miens, si des juifs avaient été assassinés à l’intérieur d’une synagogue. Je sais trop, je mesure trop, l’immense douleur, le désarroi, l’horreur. Je mesure trop les blessures innombrables, le deuil toujours et encore. J’ai trop vécu ces peurs innombrables si anciennes et si récentes, la haine antisémite.

Et, si je tremble pour les miens, je tremble pour les vôtres, mes frères en humanité, de cette si puissante racine commune, ce sillon de notre humanité commune. « La douleur de la Shoah, des siècles de massacres et de persécutions, ont sculpté dans le judaïsme un amour de l’humanité : oui, la barbarie nous touche. En tant que Français et en tant que Juif, elle nous touche durablement« , disait Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, cité dans La Vie.

Votre peine est la mienne, votre deuil est le mien, le nôtre aussi. Et s’il fallait traduire en mots, mon/notre ressenti, il faudrait simplement peut-être rappeler les belles paroles d’amour du plus beau poète qui soit, Jacques Brel : « Quand on a que l’amour pour tracer un chemin et forcer le destin à chaque carrefour. Quand on a que l’amour, pour parler aux canons et rien qu’une chanson, pour convaincre un tambour. Alors sans avoir rien que la force d’aimer, nous aurons dans nos mains, amis, le monde entier. »

© Marc Knobel

Source: La Croix. 4 novembre 2020

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