Alors que nombre de pays musulmans s’érigent en défenseurs du prophète face à une France comprise comme islamophobe et un Président accusé d’adorer Satan, en France même, la chose est loin d’être entendue et de faire l’unanimité.
La position du Conseil français du culte musulman, publiée le 26 octobre via un communiqué, avait alerté le lecteur attentif : le CFCM « consentait« , nous disait son Président, à ce que les caricatures soient montrées dans les établissements scolaires, en guise de ressort pédagogique parmi d’autres, nécessaire et utile pour permettre aux enfants d’appréhender le problème. Sic.
Ce « consentement » signait d’évidence une déclaration arrachée au forceps, après la rencontre à l’Elysée. Mohammed Moussaoui ajoutait qu’il n’était pas contre. Et il avait embrayé sur les appels au boycott, lesquels, avait-il dit, n’avaient pas lieu d’être : les musulmans de France devaient défendre les intérêts du pays. Les mots du Président avaient été déformés, instrumentalisés.
Les esprits purs et innocents tentèrent d’oublier la marque du consentement pour ne voir que l’appel aux musulmans de France.
Lorsque craque le vernis républicain des musulmans éclairés
Hélas le vernis républicain de ces musulmans éclairés ne mit pas 24 heures à craquer, et les propos se firent de plus en plus ambigus, provoquant l’ire de moult enseignants et autres analystes : le même Mohammed Moussaoui, dans une sorte de grand écart maladroit mais éloquent, avait dès le lendemain tourné casaque, et se disait désormais « opposé » à ce que les caricatures de Mahomet fussent montrées à l’école. A l’appui de l’exercice délicat auquel il se livrait, Moussaoui, revenant sur l’affichage des caricatures du prophète Mahomet sur plusieurs bâtiments publics, argua que certains extrémistes se servaient de la publication de ces caricatures pour attiser la haine. Il ajouta que certains musulmans avaient pris ce geste comme une provocation et déclara qu’il comprenait ce sentiment : Certes, la liberté d’expression, elle est là, mais la volonté délibérée d’offenser […] n’a pas lieu d’être dans un pays où la fraternité est son troisième triptyque. « Nous pouvons renoncer à certains droits », pas pour plaire ou faire plaisir à des extrémistes, mais par le devoir de fraternité. Sic.
Appelé à préciser sa pensée, il expliqua qu’il n’appelait pas à l’interdiction de caricaturer, mais qu’il y avait « une manière de faire et un encadrement de ce droit » qui existait, et qu’il convenait de tenir compte du contexte dans lequel ce droit s’exerçait. Acculé à appeler les musulmans de France à ignorer ces caricatures, il insista sur le fait que « pour préserver l’ordre public, parfois, on était obligé de renoncer à certains droits ».
Rejoint par l’imam de Bordeaux Tarek Oubrou, il affirma encore que les caricatures du prophète ne devaient pas devenir un sport national, avant de conclure tout bonnement que … « les auteurs devraient s’abstenir« .
Le CFCM versus la Conférence des Imams de France. Moussaoui versus Chalghoumi
« Il ne le souhaitait pas« , répétait-il de plateau en plateau tel un Donneur d’ordres, et si beaucoup jugèrent la volte-face parfaitement déplacée, d’autres s’émurent tout bonnement de cette position qui allait bientôt devenir une déclaration d’interdit : ainsi, la Conférence des Imam de France, par la voix claire et sans ambages de son Président Hassen Chalghoumi, se désolidarisa clairement de ces propos qualifiés de scandaleux et affirma que limiter le droit à la caricature pour préserver la fraternité et la paix civile, outre que c’était une position de lâcheté, revenait à affaiblir la laïcité, la République et la France.
Hassen Chalghoumi me parla de cet échec total qu’était le CFCM : Dix-huit ans de rien. Dix-huit ans où plus de mille personnes étaient parties en Syrie ou en Irak. Dix-huit ans de haine pour la société française. Dix-huit ans où rien n’avait changé. Un CFCM qui ne servait à rien. Un CFCM né d’une volonté de Nicolas Sarkozy à organiser l’islam de France.
Mais il n’y a pas d’islam de France, expliquait l’Imam de Drancy, il y a seulement un islam en France. Et il y avait surtout ce CFCM qui avait regroupé les Frères musulmans, Le Rassemblement Marocains de France, les Turcs, et les algériens de la Mosquée de Paris. Qui avait réuni l’islam politique et l’islam consulaire. Ne répondait pas aux préoccupations quotidiennes des musulmans de France, à savoir trouver des carrés musulmans, s’occuper de l’abattage rituel. Des musulmans qui dès lors vivaient fort bien grâce à leurs Préfectures et leurs élus locaux. Hassen Chalghoumi répéta combien Mohammed Moussaoui était proche des Frères musulmans du Maroc et ne représentait que 20% des musulmans de France. C’est une coquille vide, insista-t-il, appuyant sur la volonté d’ingérence du CFCM. Qui vivait grâce à Ankara, Alger, Rabat et au financement du Qatar. Jamais le CFCM n’avait déclaré la guerre à l’islam politique. Moussaoui n’avait jamais parlé de l’islamisme qui à ses yeux n’existait pas. L’Etat devait arrêter de parler avec le CFCM, chantre du double discours. L’Etat devait réorganiser l’islam de France grâce aux Assises de l’islam dans les Départements, il devait ne dialoguer qu’avec les mosquées et les imams républicains. Le CFCM devait être écarté. Son bilan était nul. Jamais il n’avait participé à une marche contre le terrorisme ou l’antisémitisme, à la mémoire de nos compatriotes juifs morts en France, à Toulouse, Paris et ailleurs : Le CFCM se contentait de déclarations sur son site. Quelle erreur que de confier la formation des imams au CFCM. A une instance voulant apporter l’ingérence étrangère et amie des Frères musulmans. C’est une honte, concluait Hassen Chalghoumi. Il faut se réveiller. Dire Non. Et de me lister pour conclure les membres du CFCM : Ahmet Ogras. Proche de l’AKP de Recep Tayyip Erdoğan, un réseau militant pour l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne et contre la reconnaissance du génocide arménien. Son arrivée à la tête du Conseil avait été analysée comme un renforcement de l’influence des Frères musulmans dans cette institution. Y a que ça malheureusement. La majorité des musulmans, 80°%, sont indépendants, ne veulent plus de cette instance, finit Hassen Chalghoumi.
Le Conseil français du culte musulman voulait encadrer la liberté de caricaturer au nom du devoir de fraternité et pour préserver la paix civile. Mieux : il enjoignait à savoir renoncer à certains droits pour que la fraternité puisse s’exprimer dans notre pays. C’est une position de soumission que nous n’accepterons jamais ! Les islamistes ne nous feront jamais renoncer à nos valeurs, à notre identité, déclara la porte-parole LR Lydia Guirous
Cet odieux « Oui… Mais… »
Ceux, nombreux, qui, se saisissant de la maladroite affaire Robert Ménard-Charlie Hebdo, en profitèrent pour vite quitter le navire, jetant à terre et la piétinant toute la rédaction du journal, feraient presque regretter par leur véhémence le Oui, Mais à Charlie, devenu tradition française chez nombre de politiques voulant ménager la chèvre et le chou, la susceptibilité du monde musulman et en même temps leur attachement à la liberté d’expression. Jacques Chirac, déjà, n’avait-il pas fustigé tout ce qui pouvait blesser les convictions d’autrui, en particulier les convictions religieuses, évoquant des provocations manifestes susceptibles d’attiser dangereusement les passions. Bruno Retailleau, Président du groupe LR au Sénat, n’avait-il pas dit Oui à la caricature, mais avec une forme de respect. Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, n’avait-il pas, lui encore, dit sa désapprobation face à tout excès dans le contexte actuel et n’avait-il pas déclaré non pertinent de mettre de l’huile sur le feu. N’avait-il pas parlé d’une provocation qu’il condamnait, rejoint en cela par un Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur et un François Hollande balançant entre la volonté de lancer un message d’apaisement en direction des musulmans tout en proclamant que la liberté, la laïcité, la dignité ne se négociaient pas et ne se négocieraient jamais.
Le Discours de La Sorbonne
En somme, notre Président, dans son discours de la Sorbonne, était le premier en poste qui se montrât sans la moindre ambiguïté sur le sujet, s’engageant à ne pas renoncer aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculaient.
Rappelant en somme implicitement à ceux nombreux qui l’auraient oublié ce qu’était la caricature et quelle en était la fonction. Incitant de facto les ignorants mais encore les couards à ouvrir un livre d’histoire et à aller s’enquérir sur L’Affaire La Barre, du nom du Chevalier condamné le 28 février 1766 pour impiété, blasphèmes, sacrilèges exécrables et abominables à faire amende honorable, à avoir la langue tranchée, à être décapité et brûlé : deux actes de profanation avaient été découverts à Abbeville : des entailles à l’arme blanche sur le crucifix du pont d’Abbeville, et un dépôt d’immondices sur une représentation du Christ dans un cimetière voisin.
Du Chevalier de La Barre à l’Article De la Torture
Le chevalier de La Barre fut supplicié le 1er juillet 1766. Il portait dans le dos une pancarte sur laquelle était écrit impie, blasphémateur et sacrilège exécrable. On renonça à lui arracher la langue et on se contenta, avant de jeter au bûcher son corps et un exemplaire du Dictionnaire philosophique, de le voir décapiter d’un coup de sabre. Il avait vingt ans.
Dans la Relation de la mort du chevalier de La Barre à Monsieur le marquis de Beccaria, récit d’une vingtaine de pages écrit sous pseudonyme, Voltaire démontrera la disproportion existante entre la nature du délit – une provocation de jeunes gens – et la sentence indigne. Le philosophe consacrera encore l’article Torture de l’édition de 1769 du Dictionnaire philosophique au martyre du chevalier de La Barre, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, convaincu d’avoir chanté des chansons impies, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, auquel les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu.
C’est de là qu’une Déclaration, datée du 30 juillet 1766, dirait que le blasphème ne serait plus puni. Le chevalier de La Barre fut réhabilité par la Convention et est aujourd’hui le symbole de l’intolérance religieuse.
Comment détourner le regard et oublier combien est fondamental le droit à l’irrévérence, fût-il exercé par quelque charge écrite, déclamée ou dessinée, comment renoncer à la fonction polémique et définitivement saine de la chose Dites-moi.
Wahou Sarah !!!
Tu as écrit là un article en tous points remarquable. Tout y est, faits clairs, références, preuves.
Hassen Chalghoumi s’opposant, au péril de sa vie, à l’obscurantisme des islamistes, est un vrai laïque, comprenant que cette valeur fondamentale de notre République garantit sa propre liberté de culte, comme la liberté de conscience plus généralement née de la loi de 1881 abrogeant le délit de blasphème.
Il est fondamental de faire circuler les prises de positions d’Hassen Chalghoumi, de les faire connaître du plus grand nombre.
C’est essentiel afin que les anti-islam primaires comprennent que tous les musulmans ne sont pas à jeter avec l’eau du bain… mais aussi que les musulmans n’adhérant pas à l’islam radical, des musulmans laïques voient, entendent qu’ils ne sont pas seuls, mais que des imams les soutiennent et s’inscrivent dans les valeurs républicaines françaises.
Et c’est une pure incroyante, anti-religions, mais respectueuses des croyants tant qu’ils exercent leur culte en toute tranquillité et respect d’autrui, qui dit cela. 😉
Je vais de ce pas partager ton texte partout où il me sera possible de le faire.
Merci Sarah !
Le rapport entre l’affaire de La Barre et ce qui nous préoccupe actuellement est, euphémisme, assez lointain.
François-Jean Lefebvre (dit le chevalier) de La Barre, Français de souche (noble mais appauvrie) catholique et probablement non-croyant, fut supplicié (âgé de vingt ans) par l’alliance de l’Etat monarchique de l’époque et de l’Eglise DE SA PROPRE RELIGION ancestrale pour cause (sous prétexte…) de blasphème.
Et il était évidemment loin d’être le seul. Le contentieux, attisé par la Révolution, dont il est devenu symbole entre le catholicisme français et le peuple, incarné actuellement par l’Etat, n’est peut-être pas entièrement purgé.
Il serait donc à la limite tolérable, et licite vue la liberté d’expression, (mais pas forcément justifié ni utile de nos jours) pour des gazettes françaises dont c’est le métier, de caricaturer férocement des symboles religieux CATHOLIQUES.
MAIS des symboles musulmans ? Ce n’est pas des Mahométans, que je sache, qui infligèrent les pires sévices à ce pauvre chevalier et à bien d’autres ?
Que la France batte sa coulpe sur la poitrine d’autrui, les musulmans en l’occurrence, ne cesse de m’étonner.
Pourquoi faut-il citer l’affaire du Chevalier pour justifier que l’on ridiculise l’Islam ? N’est-elle pas, justement, la preuve du contraire?
Blasphèmes ? Islamistes au même niveau que les catholiques il y a 3 siècles … c’est , je pense, ce que veut rappeler cet article.
Bonjour. L’Affaire La Barre est citée en fin de texte comme seule et utile référence au « droit au blasphème ». Parfois il convient de lire avec simplicité. Je parlais aux « Oui Mais »
Pour une fois j’en oubliais nos terroristes islamistes et refaisais une peu de littérature mais le répit a été court: les voilà à l’œuvre. À Nice. Au sein de l’Eglise