Jérôme Safar. Grosse fatigue

Oui je suis fatigué de voir qu’un autocrate [Erdogan] se permet d’insulter mon pays et un professeur qui est mort à cause des sombres connards que cet autocrate soutient, finance et arme.

Je suis fatigué des leçons de démocratie et de droits de l’homme de la part de régimes où le droit des femmes est inexistant, où les minorités ethniques et religieuses n’existent pas et où le seul droit des homosexuels est d’être balancé du haut des immeubles par une foule de crétins incultes et décérébrés.

Je suis fatigué de voir que dans mon pays certains trouvent encore que c’est nous qui exagérons après huit années où nous comptons les attentats et les morts sans qu’il soit possible de dire simplement que les malades mentaux sont ceux qui arment, soutiennent et commettent ces attentats.

Je suis fatigué de la thèse idiote des loups solitaires quand je lis les commentaires de haine, de bêtise et de rejet de mon pays certes imparfait (et je ne me gêne pas pour le dire) par des jeunes gens et des jeunes filles qui ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont de vivre en France, d’y bénéficier de l’école, des soins et d’une solidarité qui nous est tellement enviée qu’elle fait l’objet de remises en cause permanentes.

Je suis fatigué de voir que l’humour devient dangereux, qu’enseigner devient dangereux, que soigner devient dangereux, que venir au secours des autres quand tu es pompiers, policier, personnel de santé devient dangereux.

Je suis fatigué de l’aveuglement d’une certaine gauche qui pense que les victimes sont les agresseurs et les fautifs les agressés, au principe des « damnés de la terre » qu’il faut défendre et au mépris du plus élémentaire respect dû à des milliers et centaines de milliers de personnes qui en ont marre de passer pour les victimes qu’elles ne sont pas et qui sont assignées par cette même gauche paternaliste et encore coloniale au rôle de bon sauvage.

Je suis fatigué de voir que dans ce pays une collégienne est déscolarisée depuis plusieurs mois et menacée parce qu’insultée en tant que femme et lesbienne, elle serait fautive d’avoir dit leur fait à deux ou trois crétins qui parlent de religion de paix et de respect et n’ont que la violence, la haine et la barbarie comme champ lexical.

Je suis fatigué parce que tout ça ne nous tombe pas dessus tout à coup, que pour avoir alerté nous sommes plusieurs à avoir été traités de fachos, insultés et renvoyés à nos chères études, que des hommes et des femmes remarquables sont obligés de vivre sous protection policière 24h/24 et 7j/7.

Je suis fatigué d’être angoissé de ce monde dans lequel mes enfants vont être obligés de vivre alors que le respect que je leur ai appris avec leur mère c’est celui de l’accueil, de la compréhension et de l’enrichissement par la rencontre et sûrement pas celui du meurtre, de la violence et de la force.

Je suis fatigué parce que depuis de nombreux mois je me désespère de voir cette situation empirer et que je crains que la seule façon de régler cette folie des hommes au nom de la (des) religions sera encore une fois de plus une confrontation physique et que personne n’en sortira indemne.

Je suis fatigué parce qu’entre la démocratie et les régimes qui vivent par la peur et la répression mon choix est et sera toujours celui de la démocratie.

Alors j’exprime et ma fatigue et mon angoisse réelle en me moquant de ce pitre qui dirige un grand pays et qui le mène à la catastrophe en utilisant les bonnes vieilles ficelles d’un nationalisme et d’une bigoterie dévastatrice, même si je sais qu’entre temps il aura tout fait pour massacrer les derniers Arméniens qui le gênent, et qu’il est prêt à déstabiliser toute la région pour des rêves de grandeurs qui sont ceux d’un führer de pacotille.

Alors oui, je suis très fatigué, et je ne suis pas le seul.

© Jérôme Safar