Paul Germon: Le totalitarisme arabe sans idéologie : pouvoir absolu, haine utile

Dans presque tous les pays arabes contemporains, le pouvoir ne repose pas sur une idéologie structurée, comme le fascisme ou le communisme l’étaient au XXe siècle. Pourtant, les mécanismes mis en place relèvent d’une logique totalitaire :
répression de l’opposition, censure de la presse et des arts, contrôle des masses par la peur et la propagande, et surtout, imposition d’un récit unique — religieux, nationaliste, ou victimaire.

Ce que l’on observe n’est pas un autoritarisme classique, mais bien une forme de totalitarisme sans doctrine, qui impose l’uniformité émotionnelle, idéologique et identitaire au nom d’une pureté nationale prétendue.

La fonction politique de l’antisémitisme

Dans ce cadre, l’antisémitisme joue un rôle central. Il fournit aux régimes une cohésion fondée non sur l’adhésion à un projet collectif, mais sur le rejet partagé d’un ennemi désigné : Israël, les « sionistes », et très souvent, au-delà, les Juifs dans leur ensemble.

Cette haine, souvent enveloppée d’un antisionisme de façade, se diffuse dans les prêches religieux, les manuels scolaires, les médias publics. Elle devient une matrice de cohésion négative, qui détourne les colères populaires de leurs causes profondes (corruption, misère, inégalités) pour les réorienter vers un ennemi extérieur fantasmé.

Deux exceptions : Bourguiba et Hassan II

Il est essentiel de rappeler que cette instrumentalisation de l’antisémitisme n’a rien d’inéluctable. Deux figures majeures ont rompu avec cette logique : Habib Bourguiba en Tunisie, et Hassan II au Maroc.
Le premier, dès les années 1960, appelait les Palestiniens à reconnaître Israël et refusait d’ancrer sa légitimité sur la haine du Juif.
Le second a maintenu des relations stables avec sa communauté juive et défendu son rôle dans la société marocaine.

Ce sont là des exceptions lucides et courageuses, trop rares pour ne pas être saluées.

Tunisie : un exemple contemporain de totalitarisme arabe

La Tunisie d’aujourd’hui, sous la présidence de Kaïs Saïed, illustre le retour à une logique totalitaire. Depuis son coup de force constitutionnel de 2021, Saïed gouverne seul, sans Parlement actif, sans opposition reconnue. Son discours, souvent abscons et messianique, s’adresse à un peuple fantasmé, menacé de toutes parts par des « complotistes », « traîtres », « forces occultes ».

L’antisémitisme s’y infiltre par des codes, des allusions, des figures du soupçon. En septembre 2023, commentant la tempête Daniel qui a frappé la Libye, Kaïs Saïed déclarait :

« C’est qui Daniel ? C’est un prophète hébraïque. Pourquoi le nom de Daniel a-t-il été choisi ? Parce que le mouvement sioniste s’est infiltré ».

Derrière l’absurde, le révélateur : la paranoïa antijuive s’exprime désormais sans fard au sommet de l’État tunisien.

Le culte du chef : une tradition recyclée

Ce basculement ne naît pas ex nihilo. Il s’inscrit dans une tradition tunisienne du pouvoir-personne, qui a connu trois figures successives :
• Bourguiba : « Combattant suprême », président à vie, figure tutélaire de la modernisation mais chef incontesté.
• Ben Ali : culte discret mais total, omniprésence symbolique, répression de toute dissidence.
• Kaïs Saïed : le chef solitaire, sacré, hors du politique. Il parle en paraboles, se pose en guide providentiel, au-dessus des partis, au-dessus des lois.

Il ne gouverne pas, il interprète des signes, nomme des ennemis invisibles, sacralise sa fonction. Il parle par paraboles, refuse tout pluralisme, rejette la médiation démocratique. Toute critique devient une atteinte au peuple, toute opposition, une trahison.

Fascisme du XXIe siècle

Ce que vit la Tunisie n’est pas une dérive.
C’est un système. Une construction politique qui réunit tous les ingrédients d’un fascisme moderne :
• culte du chef,
• rejet de la pluralité,
• propagande obsessionnelle,
• ennemis intérieurs flous mais permanents,
• haine comme ciment social,
• antisémitisme masqué en rhétorique nationaliste.

Il n’y a pas de croix gammée. Il n’y a pas de milice en chemise brune.
Mais il y a le même ressort profond : créer une unité par la peur, forger une légitimité par l’exclusion, imposer un silence par la menace.

Nommer les choses, c’est déjà résister.
Et il est temps de nommer cette réalité pour ce qu’elle est :
un fascisme sans uniforme et tout aussi dangereux.

© Paul Germon

Auteur de « Adobaï », Paul Germon, Expert-Comptable de profession, gère avec ses amis le BNVCA. TJ aime la distance que cet observateur infatigable sait prendre avec les événements ET la détermination courageuse qui l’anime en permanence.

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4 Comments

  1. Remplacez « Le totalitarisme arabe » par « Le totalitarisme européiste » et vous obtenez à peu de choses près le même article. Les liens entre islamonazisme et Eurofascisme étant depuis longtemps avérés, de sorte qu’il est impossible de combattre l’un sans combattre l’autre et que servir l’un revient à promouvoir l’autre.

  2. Pour ma part je ne pense pas que les intentions de Bourguiba envers Israel etaient bonnes. Par ailleurs Il a mis en place dans les années 60 le syndicaliste Ben Salah qui a coopérativisé le commerce, mis un frein quelque peu sélectif aux indispensables licences d’importation et a ainsi largement contribué à l’exode des Juifs de Tunisie.

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