Tunisie: la folle dérive de Kaïs Saïed et les peines de prison de 13 à 66 ans pour complot

Manifestation des partisans du parti destourien libre, dont la présidente est emprisonnée depuis octobre 2023, contre le président tunisien, Kaïs Saïed, à Tunis, le 9 avril 2025
JIHED ABIDELLAOUI/REUTERS

A l’issue d’un procès sans précédent pour complot contre lui, le président tunisien Kaïs Saïed a pu assister sans vergogne au prononcé des peines de prison par un tribunal à sa botte: de treize à soixante-six ans de réclusion à l’encontre de quelque quarante accusés, pour la plupart figures de l’opposition.

Jugés, selon le parquet antiterroriste, qui a donné l’information sans autres détails aux médias, d’être coupables à divers degrés de complot contre la sûreté de l’Etat et d’adhésion à un groupe terroriste, les condamnés sont le plus souvent des personnalités connues de l’opposition, avocats, hommes d’affaires, certains emprisonnés depuis leur arrestation il y a deux ans alors que d’autres sont en liberté et qu’une partie vit en exil à l’étranger.

C’est vendredi soir, lors d’une troisième audience de ce procès inédit par le nombre d’accusés, (40), que plusieurs avocats de la défense ont protesté après que le juge eut terminé de lire l’acte d’accusation et mis sa décision en délibération, sans aucun réquisitoire ni plaidoirie de la défense.

« Le pouvoir veut un verdict aujourd’hui alors qu’il y a une violation flagrante des procédures judiciaires puisque les accusés n’ont pas été entendus », a déclaré à l’AFP l’avocate Samia Abbou, dénonçant « une mascarade », alors que de son côté Human Rights Watch déclarait que Kaïs Saïed « instrumentalisait le système judiciaire pour s’en prendre aux opposants et aux dissidents ».

L’audience – dont les journalistes étrangers et les diplomates étrangers étaient exclus, contrairement aux deux précédentes – fut particulièrement houleuse et se tint sous haute surveillance policière.

A noter: des contacts suspects avec certaines ambassades étaient reprochés à plusieurs accusés: l’avocate Haifa Chebbi, fille de l’homme politique Ahmed Nejib Chebbi, l’un des accusés laissés en liberté, évoqua « un verdict préparé (…), sans surprise », et dit sa « tristesse pour la justice en Tunisie et l’état des libertés ».

Parmi les autres grands noms du procès figurent le chef du parti Al-Joumhouri, Issam Chebbi (frère d’Ahmed Chebbi), le cofondateur du Front de salut national (principale coalition d’opposition), Jaouhar Ben Mbarek, et un ancien dirigeant du parti islamiste Ennahda, Abdelhamid Jelassi.

Etaient aussi jugés les militants Khayam Turki et Chaïma Issa, l’homme d’affaires Kamel Eltaïef et … Bernard Henri-Lévy.

L’un des condamnés, parti à l’étranger, Kamel Jendoubi, militant des droits humains et ancien ministre, a dénoncé pour sa part un « assassinat judiciaire »: « Ce n’est pas une décision de justice, c’est un ordre politique exécuté par des juges aux ordres, des procureurs complices et une ministre de la justice, bras armé d’un autocrate paranoïaque ».

Depuis le coup de force par lequel Kaïs Saïed s’est octroyé à l’été 2021 les pleins pouvoirs, défenseurs des droits et opposants dénoncent cette régression inédite des libertés en Tunisie, pays qui avait lancé le « printemps arabe » en 2011.

Pour l’analyste Hatem Nafti, « le narratif conspirationniste sur lequel repose le régime depuis 2021  est accepté par une partie importante de la population » en raison, selon lui, de la « mise au pas de la plupart des médias et de l’emprisonnement de nombreux journalistes »: des dizaines de responsables politiques, avocats, militants des droits, notamment des migrants, et chroniqueurs connus ont été arrêtés depuis le printemps 2023, en vertu d’un décret réprimant la diffusion de fausses informations, décret lui-même contesté comme « prêtant à une interprétation trop large ».

Depuis l’ouverture du procès, le 4 mars, les avocats de la défense ont pourtant exigé, lors d’interventions houleuses, la comparution au tribunal de tous les accusés, dont au moins six ont observé une grève de la faim pour faire valoir ce « droit élémentaire », et la défense a dénoncé un dossier « vide » monté de toutes pièces pour s’en prendre aux opposants et aux dissidents.

Enfin, en février, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a dénoncé la « persécution des opposants » en Tunisie, estimant que nombre d’entre eux faisaient « l’objet d’accusations vagues après avoir vraisemblablement exercé leurs droits et libertés », mais le gouvernement avait exprimé pour toute réponse « sa profonde stupéfaction », affirmant que les personnes mentionnées par l’ONU étaient poursuivies pour « des crimes de droit public qui n’avaient aucun lien avec leur activité partisane, politique ou médiatique ».

A noter: dans ladite affaire du »complot contre la sécurité de l’État », très largement médiatisée à Tunis, de graves chefs d’inculpation ont été fabriqués contre les principaux opposants du président autocrate Kais Saïed, mais aussi, à la surprise générale, contre Bernard Henri Lévy, qui n’a pas réagi pour l’instant à cette parodie de procès teintée d’antisémitisme.

TJ avec AFP

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