Iran : un demi-siècle de trahison, de la SAVAK à la République islamique. Par Hamid Enayat

Emblème des services secrets iraniens SAVAK, 1957-1979

Le 19 avril 1975 fut une date marquante dans l’histoire contemporaine de l’Iran. Ce jour-là, neuf prisonniers politiques, déjà jugés et en train de purger leur peine, furent exécutés par balles dans la prison notoire d’Evin par la SAVAK du Shah. 

Cinquante ans plus tard, sous le régime de la République islamique, le mercredi 18 avril 2025 cinq autres prisonniers politiques ont été transférés à la prison de Ghezel-Hesar pour y être exécutés. 

Cette vague d’exécutions d’opposants sous deux régimes différents n’est-elle qu’une coïncidence superficielle, ou bien le signe d’une continuité structurelle ?

Le samedi 19 avril, la Résistance iranienne organisera des manifestations dans 19 villes européennes contre cette vague d’exécutions massives. A Paris, le rendez-vous est prévu place Colette, où plusieurs édiles et personnalités sont attendus.

Certains « royalistes », à leur tête Reza Pahlavi le fils du dernier Chah, semblent avoir intégré l’amnésie historique concernant les massacres de prisonniers politiques commis sous le Chah. Prétendre à être une alternative au régime actuel ?

Or, alors que la perspective du renversement du régime des mollahs se rapproche de jour en jour, les défenseurs de la liberté qui ont connu des exécutions et des tortures sous les régimes du Chah et des mollahs trouvent essentiel de se souvenir du passé pour assurer un avenir libre et démocratique à l’Iran.

En fait, la ressemblance entre les deux régimes ne s’arrête pas à la surface. Les collaborations historiques entre les mollahs et la monarchie dans la répression, les exécutions et la censure sont si étendues qu’elles révèlent une similitude profonde, enracinée et structurelle.

L’héritage du renseignement de la SAVAK : un festin pour la République islamique

Après la victoire de la Révolution islamique en 1979, l’un des plus précieux trésors d’information tombé entre les mains des nouveaux organes de la République islamique fut l’immense archive de la SAVAK. Ces archives contenaient des milliers de dossiers détaillés sur des activistes politiques, religieux, culturels et sociaux qui avaient été surveillés sous le régime du Chah. En exploitant ces documents, les services de sécurité de la République islamique parvinrent, dès les premières années, à identifier et réprimer un grand nombre d’opposants, notamment les membres de l’Organisation des Moudjahidines du peuple. Ces informations ont servi de fondement à deux vagues de massacres majeurs en 1982 et 1987.

Intégration discrète : les survivants de la SAVAK au cœur de la République islamique

Après la chute du régime du Chah, on s’attendait à ce que la SAVAK — symbole de répression et de terreur sous le pouvoir monarchique — soit totalement dissoute. Mais les services de sécurité naissants de la République islamique, malgré leur rhétorique anti-Savak, comprirent rapidement qu’ils ne pouvaient construire un système répressif efficace sans l’expertise et l’expérience des anciens de la SAVAK. C’est ainsi qu’un processus de recrutement secret ou semi-officiel de certains agents de l’ancien régime fut mis en place.

Certains officiers furent intégrés aux nouveaux services après avoir signé une « lettre de repentir ». Un responsable du renseignement des années 1980 a déclaré dans une interview non publiée : « Nous avions besoin de certains techniciens de la SAVAK. Ils détenaient des informations que nous n’avions pas ». (Articles de Hossein Mehri et F. M. Sokhan)

Des anciens agents de la SAVAK dans la nouvelle structure sécuritaire

Des organes tels que les Renseignements des Gardiens de la Révolution, le Parquet de la Révolution, et plus tard le Ministère du Renseignement, ont eu recours à des individus ayant collaboré avec la SAVAK. Certains de ces agents ont même accédé à des postes clés. Les méthodes d’interrogatoire, les structures de détention et les techniques de pression psychologique utilisées par la SAVAK furent reproduites dans des prisons comme celle d’Evin.

La République islamique justifia ce recours aux anciens agents par des arguments tels que l’absence d’obstacle à utiliser un membre « repenti » de la SAVAK.

Ruhollah Hosseinian, haut responsable du renseignement dans la République islamique, déclara dans une interview au journal Shargh :

« J’ai travaillé au Ministère du Renseignement après la révolution, et malgré le fait que je n’ai jamais eu foi en la méthode de la SAVAK, pourtant certaines de leurs pratiques étaient utiles ».

Les religieux collaborateurs de la SAVAK : visages à deux faces

L’un des aspects les moins évoqués de l’histoire contemporaine de l’Iran est la collaboration secrète ou semi-officielle de certains religieux avec la SAVAK, avant la révolution de 1979. Contrairement à l’image répandue d’une opposition totale entre le clergé et le régime du Chah, les archives de la SAVAK et les témoignages historiques révèlent que plusieurs religieux collaboraient avec la police secrète, ou du moins entretenaient des relations de travail et de sécurité avec elle.

  • Le cheikh Sadegh Khalkhali, juge religieux et l’un des visages les plus brutaux du système judiciaire de la République islamique est mentionné dans les documents de la SAVAK comme ayant reçu des « consignes » de cette institution à Qom dans les années 1960.
  • Le cheikh Mohammad Yazdi, ancien président du pouvoir judiciaire, est présenté dans le livre Mémoires d’un interrogateur de la SAVAK comme ayant eu des contacts avec les agents de sécurité à Qom dans les années 1970.

Le sort des collaborateurs après la Révolution

De nombreux religieux ayant collaboré avec la SAVAK n’ont pas été sanctionnés après la Révolution. Bien au contraire, ils ont accédé à des postes de pouvoir dans les structures judiciaires et sécuritaires de la République islamique. Certains ont même utilisé les archives de la SAVAK pour éliminer leurs rivaux politiques.

Au-delà des apparences : héritages partagés

Malgré des différences apparentes dans les discours idéologiques des régimes du Chah et de la République islamique, les preuves historiques et les témoignages concordants montrent que les services de renseignement de la République islamique — notamment le ministère du Renseignement et les Renseignements des Gardiens de la Révolution — ont hérité, ou reproduit, de nombreuses pratiques de la SAVAK :

  • Torture physique et psychologique pour extorquer des aveux
  • Utilisation d’agents en civil contre des rassemblements pacifiques
  • Création de réseaux d’informateurs, notamment à travers les milices de quartier (Bassidj)
  • Censure généralisée de la presse, contrôle du cinéma et des médias

Des différences en surface, des continuités profondes

En apparence, la République islamique a mis en place de nouvelles structures sécuritaires : les Renseignements des Gardiens de la Révolution, le ministère du Renseignement, la Protection des informations, les milices de renseignement, et des réseaux civils. Mais en réalité, les mêmes logiques de « fabrication d’ennemi », de « contrôle de l’information », de « prévention des organisations autonomes » et de « répression sans responsabilité » se sont poursuivies.

Si la SAVAK obéissait au Shah et à sa cour, les services de sécurité de la République islamique reçoivent leurs ordres du Guide suprême et de son entourage — avec la même centralisation, le même manque de transparence et le même caractère extralégal.

Des blessures profondes au cœur de l’Iran

Les blessures infligées au corps de l’Iran par la monarchie et par le régime clérical sont profondes. Elles empêchent que l’histoire se répète. La diaspora iranienne veut précisément rappeler cette vérité le samedi 19 avril.

Les activités de Reza Pahlavi servent, plus que celles de quiconque, les intérêts du régime iranien, afin de décourager les forces prêtes au sacrifice à l’intérieur du pays — comme cela fut tenté lors du soulèvement de 2022 — et d’étouffer la flamme révolutionnaire.

© Hamid Enayat

Hamid Enayat, politologue, spécialiste de l’Iran, collabore avec l’opposition démocratique iranienne (CNRI).

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1 Comment

  1. Article bienvenu. On a trop tendance à oublier que le régime des mollahs a bénéficié du savoir-faire en matière de répression de l’Iran du Shah. Je me garderai pour ma part de juger Reza Palhavi car ses intentions me semblent sincères et je doute qu’il veuille rétablir un régime comme celui de son père. A voir.
    Un point important. Ce que dénonce très justement l’auteur de cet article n’est en rien spécifique à l’Iran. Le régime bolchevique a recruté et en nombre des policiers et des officiers ayant servi dans la Russie des Tsars : on ne crée rien à partir de zéro. Adolfo Suárez, figure centrale de la Transition espagnole, a occupé des postes importants dans l’Espagne franquiste, etc.

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